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Association indigène du nord du Cauca, Colombie :
« La vraie paix des peuples,
c’est la liberté de leurs territoires »

jeudi 16 août 2012, par ACIN

Quand nous, les indigènes, nous déclarons à tout le pays que nous ne voulons plus de groupes armés sur nos territoires, nous savons que cela ne sera pas la fin de la guerre sur notre territoire. Il est clair pour nous que ce n’est qu’un pas vers le retour à notre Terre Mère.

Pour les Nasa comme pour les autres communautés indigènes, afros et paysannes, également touchées, il est très clair que cette guerre est provoquée par les multinationales avec l’aide du gouvernement. Pour que nous vivions en paix, les multinationales doivent s’en aller !

Le président et ses délégués doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas prétendre à une négociation pour changer la guerre des balles et du sang en guerre froide de la soumission et de l’exploitation de la Terre Mère par les entreprises multinationales. Car les abus que subit notre peuple ne datent pas d’aujourd’hui, cela fait dix ans que nous affrontons l’intensification du conflit. Avec toute la douleur et le sang que ça nous a coûté, nous voulons que cela soit bien clair : qu’ils ne peuvent sous-estimer ce processus, car il s’agit d’un processus et pas d’un mouvement conjoncturel, que nous, les indigènes du nord du Cauca, nous ne voulons pas la paix dont parlent Santos [1] et Timochenco [2], nous ne voulons pas la paix de ceux qui utilisent notre lutte et nos efforts pour nous réduire au silence et nous donner des ordres. La paix que nous voulons est celle de l’harmonie de la Terre Mère, harmonie qui signifie la sortie de tout ce qui porte atteinte à la vie, la sortie définitive des transnationales qui produisent la guerre afin de piller notre territoire et de commercialiser ses richesses.

Nous déclarons au pays tout entier que nous ne voulons plus de guerre chez nous. La réponse du gouvernement, représenté par le ministre de l’Intérieur, est de ne pas tenir parole en ne venant pas à la réunion avec les autorités indigènes à Popayan, avec l’excuse de participer à une autre réunion à Bucaramanga. La réponse de la guérilla par la lettre de Timochenco est aussi irrespectueuse ; avec un certain cynisme, il dit que la lutte de la guérilla est la même qu’assume le mouvement, et esquive les exigences des autorités indigènes face aux attaques continues contre la population civile et au recrutement des enfants et des jeunes, tout en disant : « Si l’armée s’en va, nous nous en allons aussi. » Le jeu de la violence continue, leurs réponses prétendent nous placer où, supposément et irrémédiablement, il n’y a que deux chemins, par lesquels ce seraient eux qui décideraient pour nous. Et comme si ça ne suffisait pas, les paramilitaires réapparaissent maintenant, menaçant nos autorités et nos territoires, d’une manière peu différente de celle de l’armée et de la guérilla, comme s’ils avaient un accord, car tous sont gênés par une communauté organisée et en résistance.

Car les communautés indigènes ne reçoivent pas d’ordres qui ne soient pas de leur propre communauté, elles gouvernent en obéissant (comme le disent si bien les zapatistes), l’orientation pratique de la communauté étant définie par la communauté elle-même. La communauté exige la sortie de toutes les transnationales, car ce sont elles qui mettent à profit les dommages faits à la Terre Mère.

Les peuples originaires, tous, veulent en finir avec la guerre sur leurs territoires. La lutte des Nasa pour expulser les acteurs armés est la même lutte que celle des Awa dans le Nariño, qui dans l’exercice de la loi d’origine et de la juridiction spéciale indigène ont expulsé l’entreprise minière La Esperanza, située illégalement dans le resguardo La Turbia, communauté de Peña Caraño. La communauté Awa a déjà reçu des menaces du fait de ces actions mais affirme qu’elle continuera d’expulser toutes les entreprises minières qui envahissent et spolient les territoires.

C’est la même lutte que celle des indigènes, afros et paysans du Putumayo, qui ont décidé de se mobiliser pacifiquement et de freiner les violations que leur a imposées le gouvernement national avec les projets de développement d’infrastructures et d’extraction de ressources, sans consultation aucune des communautés, dus à l’essor de l’expédition de licences pour l’exploitation minière, d’hydrocarbures et de ressources naturelles qui rend vulnérable leur territoire et leur culture.

C’est la même lutte que mènent d’autres peuples du continent. Les frères Mapuches se sont mobilisés pour refuser les politiques racistes, violentes et discriminatoires de l’État — élaborées lors d’un « Sommet de la sécurité » — et afin de définir les mesures qui leur permettent de faire face à la forte attaque qui a affecté gravement leur communauté ces derniers jours. Ils ont dû supporter la brutalité de la police qui a grièvement blessé des enfants et des personnes âgées, et fait de fausses accusations, ainsi que l’intensification de la militarisation des zones où ils mènent les récupérations pacifiques des terres collectives.

C’est la même lutte que nos frères péruviens qui se sont soulevés contre le projet Conga de l’entreprise Yanacocha (consortium formé par l’entreprise américaine Newmont, qui détient 15 % des actions, la péruvienne Buenaventura, qui en détient 43 %, et la Corporation financière internationale, une institution qui appartient à la Banque mondiale et possède 5 %). Malgré l’agression brutale du gouvernement aux mains de l’armée contre le peuple de Celendin, les entreprises et le gouvernement n’ont rien pu faire contre Cajamarca car aujourd’hui les communautés de tout le Pérou se mobilisent à Cajamarca pour la défense de l’eau.

De la même manière, les frères zapatistes du Chiapas affrontent un grave risque d’agression et de déplacement de presque deux cents membres des bases soutenant l’EZLN, dans la communauté indigène de San Marcos Aviles, étant donné que depuis les élections mexicaines en juillet les menaces à l’encontre de cette communauté ont augmenté. Mais leur mobilisation continue. Après plusieurs jours de caravane, ils sont arrivés à la capitale du pays pour enchaîner avec une marche « dans le but d’exiger le respect de leurs droits à la terre comme peuples originaires et qu’ils ne soient pas spoliés de 130 hectares par la commune et le gouvernement de l’État ».

La lutte des Nasa n’est pas un projet séparatiste, c’est une lutte pour le droit à l’exercice autonome de contrôle territorial et ce n’est pas un soulèvement récent mais un processus ancestral. La défense de la vie et de l’harmonie de la Terre Mère n’est pas seulement une lutte pour le peuple nasa ou pour les peuples indigènes qui la défendent mais pour tous et toutes. Cette lutte n’est pas seulement pour expulser les entreprises minières avalisées par le gouvernement et celles qui envoient leurs armées pour réprimer les peuples qui sont un frein à leur commerce macroéconomique. Nous sommes fatigués qu’ils viennent tous nous parler de la paix, quelle paix ? Il y a beaucoup de paix selon chacun des intérêts. La seule paix que nous voulons, c’est celle de nos territoires libres d’entreprises d’exploitation et de concessions minières. Dehors les multinationales, allez-vous en de notre Terre Mère !

1er août 2012.
Tissu de communication
des cabildos indigènes
du nord du Cauca,
ACIN, Colombie

Traduction en français :
Solidarité avec le peuple nasa

Notes

[1Juan Manuel Santos Calderón, président de la République de Colombie depuis août 2010.

[2Rodrigo Londoño Echeverri, « Timochenco », commandant en chef des FARC (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia) depuis novembre 2011.

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