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Bien le bonjour d’Oaxaca, le 24 novembre 2006

mardi 28 novembre 2006, par Georges Lapierre

Bien le bonjour,

Nous avions noté dans notre compte-rendu sur le Congrès que les délégués de la Sierra Norte, conséquents avec leurs pratiques communautaires, n’avaient pas désigné leurs représentants au Conseil de l’APPO à la fin du Congrès, laissant ce soin à l’assemblée régionale. Cette assemblée s’est tenue à Guelatao ce dimanche 19 novembre. San Pablo Guelatao est le village natal de Benito Juárez. Nous pouvons visiter sa maison ou plutôt la reconstitution de sa maison natale, modeste cahute d’adobe (brique d’argile durcie au soleil) au sol en terre battue, qui se dresse auprès d’un petit lac aux rives boisées et fleuries. L’endroit est agréable dans les contreforts de la Sierra Norte dite aussi Sierra Juárez, à une heure de route d’Oaxaca. Il fait froid ce dimanche matin dans la montagne et il brouillasse, heureusement la tradition des Indiens veut que le village qui reçoit offre avant toute réunion le petit déjeuner, puis ensuite le déjeuner et parfois le souper, c’est que les gens viennent de loin, certains sont partis à 2 heures ou 3 heures du matin, ce sont des hôtes que l’on respecte, on prend soin d’eux, comme eux prendront soin de nous, et cet accueil attentionné et aimable est propice au développement heureux du débat : un petit verre de mescal pour réchauffer l’esprit, la musique des bandas mixes et zapotèques pour réchauffer le cœur et un caldo de pollo (bouillon de poule) pour réchauffer l’âme et nous voilà d’attaque pour participer, comme invités, à l’assemblée régionale des peuples mixe, zapotèque et chinantèque de la Sierra Juárez.

Les réunions sont toujours très formelles et elles se déroulent entre un début et une fin qui sont clairement marqués par quelques phrases conventionnelles, qui précisent l’heure d’ouverture et l’heure de la conclusion. Toute assemblée digne de ce nom commence par un petit rituel, c’est Juana Vázquez, la linguiste zapotèque que nous connaissons, qui est chargée d’évoquer les esprits des ancêtres qui nous accompagneront durant les débats et les délibérations. Participent à cette assemblée les principales autorités (environ 150) de 42 communes indiennes de la Sierra Norte. Elle est chargée de désigner les 24 conseillers qui la représenteront auprès du Conseil de l’Assemblée populaire.

Avant de lancer les discussions, l’assemblée va écouter un certain nombre d’interventions. Zenén Bravo en tant que membre du Conseil fait un bref compte-rendu des conclusions auxquelles est parvenu le Congrès : les méfaits de l’impérialisme qui se traduit dans la région par le Plan Puebla-Panama, les méfaits du totalitarisme politique qui s’exprime par la non-séparation des pouvoirs, le pouvoir exécutif commandant le législatif et le judiciaire. Il précise ensuite que l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca est l’organe suprême des prises de décision avec un fonctionnement démocratique communautaire : « Qu’Oaxaca arrive à avoir dans un futur proche un pouvoir différent, non celui des seigneurs haut justicier (señores de horca y cuchillo) qui nous gouvernent maintenant, mais un modèle inspiré de la communauté indigène, car là se trouve l’embryon de la vraie démocratie. » Adelfo Regino, du Service du peuple mixe, intervient ensuite pour parler des principes fondateurs de l’Assemblée (cf. lettre 12) et pour faire le point sur le système des représentations au sein du Conseil : faire en sorte que tous soient représentés : les différents secteurs de la société, les colonies et les barricades, les groupes et les associations, les communautés et les régions, avec pas moins de 30 % de femmes. Un philosophe fait ensuite un discours passionné au sujet de la profonde mutation sociale qui se prépare ici, à Oaxaca, et qui voit l’émergence du principe directeur de l’identité, de la diversité des cultures, face aux forces unificatrices de la globalisation. Il me semble malheureusement que la montagne a accouché d’une souris quand, en conclusion, il recommande d’établir des relations directes avec les régions autonomes d’Europe comme la Catalogne. Il est applaudi, mais j’ai remarqué que les Mexicains applaudissent plus le ton énergique et passionné d’un discours que son contenu, ils applaudissent la performance. Précisons tout de même que les applaudissements au cours d’un débat extériorisent un consensus quant au contenu, lorsque celui-ci est exprimé avec conviction. Une jeune femme parle ensuite avec sensibilité de la différence de comportement entre la souris des champs et la souris des villes. Je laisse ici, rassurez-vous, le seigneur Jean de La Fontaine.

Au cours du débat qui suit, plusieurs grands axes vont apparaître. La revendication de l’autonomie communale et, avec elle, le rejet de tous les partis politiques revient souvent sur le tapis. Une autorité du secteur d’Ixtlán, je crois, se montre particulièrement ferme sur ce sujet : « Nous, nous avons l’argent que nous envoient les gens de la commune qui ont immigré aux États-Unis, et nous ne demandons plus rien à l’État, nous finançons nous-mêmes nos projets. » Tiens, tiens, cela fait penser aux zapatistes et aux immigrés africains en Europe ou comment l’immigration, quand la tradition communautaire est encore forte, permet de construire ou de renforcer l’autonomie des villages. Ceux qui sont allés appuyer Ulises Ruiz, au cours d’une manif organisée par ce personnage à laquelle furent contraints de participer tous ceux qui travaillent pour le gouvernement ou pour une municipalité contrôlée par le PRI, ont été qualifiés d’opportunistes et de compañeros maiceados (compagnons corrompus, manipulés) et vont être exclus des assemblées communales.

L’idée de constituer formellement une assemblée régionale des peuples de la Sierra Norte prend corps peu à peu : « Nous devons une chose à URO (Ulises Ruiz Ortiz), il nous a secoué la tête et il nous a réunis ; pour la première fois, nous sommes ensemble, les quatre districts de la Sierra. » Il s’agit de reconstituer l’unité régionale à partir des assemblées communautaires et en relation avec les associations d’immigrés qui se trouvent aux États-Unis, dans la capitale de l’État ou du pays. Il faut profiter de cette occasion unique, avance Joel Aquino, et si certaines autorités municipales refusent par opportunisme de participer, il est toujours possible de créer des associations citoyennes (comité de parents d’élèves, association culturelle) qui pourront nommer des délégués à cette assemblée des peuples de la Sierra Norte : « C’est une opportunité unique que nous ne pouvons pas laisser passer parce qu’elle ne se représentera pas avant dix ou vingt ans. C’est vrai, nous ne sommes pas tous là, mais à mesure que nous avancerons, d’autres s’uniront à nous. Il n’y aura pas un pauvre qui refusera de participer à la lutte des pauvres. »

Précisons que la Sierra de Juárez comprend quatre districts, Ixtlán, Villa Alta, Mixe et Choapas, qui furent historiquement terres des grands caciques priistes. Le PRI a perdu graduellement le pouvoir dans les communautés pour ne plus contrôler que 10 % des municipalités. Le grand moment de cette journée fut donc la constitution formelle de l’Assemblée des peuples mixe, zapotèque et chinantèque de la Sierra Juárez, premier pas, mais un pas très important à mon sens, vers l’unité des peuples indiens de l’État d’Oaxaca, qui comprend, je le rappelle, seize peuples indigènes. Les délégués au Conseil seront désormais responsables devant cette assemblée et devront défendre le droit à la libre détermination et à l’autonomie des peuples, « avec conviction », est-il précisé.

La journée est déjà bien avancée et nous avons sauté le repas de midi, la nuit s’est installée dans la bruine et le froid. Chaque secteur de la montagne se réunit pour nommer ses représentants au Conseil estatal, en tout 24 conseillers. Après le discours d’investiture, au cours duquel un ancien rappelle le sens de leur charge, l’assemblée passe à la discussion d’un plan d’actions. Plusieurs propositions sont retenues, dont celle d’une déclaration publique ou Pronunciamiento, ce sera la « Déclaration de Guelatao », lue et discutée un peu plus tard dans la soirée. Il n’y est pas seulement question de la destitution d’Ulises Ruiz, de la condamnation des violences et des abus de la police, du rejet des forces militaires, ou du refus des partis politiques, la déclaration fait aussi allusion à un pacte social et à une profonde transformation de la société à la recherche de ses principes directeurs à travers le dialogue, la libre détermination et l’autonomie : « Nous appelons à l’unité des autorités et des membres des peuples zapotèque, mixe et chinantèque afin de faire triompher nos exigences et nos aspirations à mener la vie que nous souhaitons... Pour que cette grande assemblée des peuples zapotèque, mixe et chinantèque soit une réalité, nous devons renforcer et étendre les attributions de nos assemblées communautaires, municipales et régionales, pour en faire des organes de débat et de décision... Dans l’assemblée réside notre force et notre légitimité. » (Cf. « Déclaration de Guelatao ».)

Il fut aussi décidé de fermer les délégations et les diverses administrations gouvernementales qui se trouvent dans la montagne et de s’emparer de la radio de Guelatao, « Voz de la Sierra », qui est administrée actuellement par la Commission nationale du développement indigène (CNDI) afin de pouvoir informer les habitants sur la lutte, ou les luttes, en cours. Enfin, il fut décidé de participer à la grande manifestation du 25 novembre qui partira de Santa María Coyotepec, où se trouve le palais du gouvernement, pour le zócalo, mais avec les fanfares municipales et avec la présence des autorités avec leurs bâtons de commandement.

Avec la participation des peuples indiens de la Sierra, l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca passe dans une autre dimension du temps et la patience, le temps indien, prend le pas sur l’urgence et l’impatience « révolutionnaire » du monde occidental. C’est une partie d’échec où les coups et les avancées sont mûrement réfléchis en fonction d’une stratégie à long terme, mais où il s’agit aussi de saisir l’occasion quand celle-ci se présente. Le 28 et le 29 novembre se tiendra dans la ville le forum des peuples indigènes d’Oaxaca.

Oaxaca, le 24 novembre 2006,
Georges Lapierre

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