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Congrès national indigène

Déclaration d’Uweni Muyewe

dimanche 4 avril 2010, par CNI

XXVIIe Réunion plénière du Congrès national indigène, région Centre-Pacifique
Communauté autonome wixárika, Bancos de San Hipólito,
Commune de Mezquital, Durango

Congrès national indigène
Région Centre-Pacifique

Convoqués et réunis pour réaliser la XXVIIe Réunion élargie du Congrès national indigène, région Centre-Pacifique, dans la communauté autonome wixárika d’Uweni Muyewe (Bancos de San Hipólito), État de Durango, les autorités et les représentants indigènes appartenant aux peuples Wixárika, Cora, Odam, Coca, Nahua, Purhépecha, Triqui, Ñahñu, Tzotzil et Mixtèque des États de Durango, Nayarit, Jalisco, Michoacán, État de Mexico, District fédéral, San Luis Potosí, Chiapas, Puebla, Guerrero et Tlaxcala ; accompagnés sur le chemin par la lune montante qui marque le début des semailles et nous accorde la force et la juste parole pour nous parler et parvenir à des accords dans ce Congrès national indigène qui est la maison de nos peuples ; et considérant que :

1. Deux cents ans après qu’a éclaté la révolution d’indépendance et cent ans après la révolution mexicaine, nos peuples, nations et tribus, ceux-là mêmes qui ont apporté leur vie et leur sang pour la victoire de ces luttes, aujourd’hui comme depuis cinq cents dix-huit ans sont toujours méprisés et discriminés, leurs droits fondamentaux ne sont pas reconnus, ce qui fait de nous de véritables inconnus sur nos propres terres. Sachant que les Constitutions de 1824, 1857 et 1917 non seulement n’ont pas reconnu l’existence de nos peuples, mais ont visé en outre à leur disparition, leur extermination, leur exploitation et leur mort, nous demandons : qu’avons-nous à fêter ?

Notre fête à nous, c’est le cri de ¡Ya basta ! du soulèvement armé de nos frères zapatistes en 1994 ; l’autonomie et la libre détermination que nos peuples bâtissent dans les faits est pour nous l’autre politique, qui se construit à partir d’en bas et à gauche, contre le capitalisme.

2. L’histoire actuelle de nos peuples est une histoire de spoliations et de répression, en conséquence nous allons raconter une partie de cette autre histoire des nations, peuples et tribus qui constituent le Congrès national indigène, où nos luttes de résistance sont criminalisées et où ceux qui luttent sont transformés en délinquants par une justice corrompue et des institutions vicieuses.

Les 22 et 23 février 2010, la communauté de Tuapurie-Santa Catarina Cuexcomatitlán du peuple wixárika a été réprimée lors de son pèlerinage traditionnel : alors qu’elle se trouvait pour une cérémonie sur le site sacré de Wirikuta, la police d’État de San Luis Potosí a menacé et harcelé quinze heures durant les pèlerins qui accomplissaient leur cérémonie ancestrale, elle s’est moquée et a porté atteinte à notre mémoire collective, ce qui n’est pas un dommage causé seulement à la communauté de Tuapurie, mais aussi à tout le peuple wixárika et à tous les peuples indigènes. Par là, l’État mexicain viole la Convention de Vienne sur les plantes psychotropes et la Convention 169 de l’OIT.

Signalons que Tuapurie a été l’objet de multiples agressions et harcèlements depuis que, faisant usage de son droit territorial et de son autonomie, elle s’est opposée victorieusement à l’imposition du projet routier Amatitán-Bolaños-Huejuquilla en 2008 ; c’est le cas des comuneros professeurs qui ont été destitués et changés de poste et de zone avec la complicité du syndicat et des autorités éducatives, de la diffamation et du harcèlement contre ses autorités, et des menaces de mort contre des comuneros de la part de groupes paramilitaires organisés par le mauvais gouvernement.

Le 18 mars, la police municipale de Huejuquilla, dans une course-poursuite digne de gangsters, a tiré contre un véhicule de la communauté de Tatei Kie - San Andrés Coamiata dans la localité appelée San Antonio de Padua, Zacatecas, blessant par balle quatre comuneros.

Le 23 février dernier, les comuneros nahuas de Santa María Ostula, Gerardo Vera et Javier Martínez, ont été enlevés par un groupe fortement armé sans que jusqu’à ce jour on sache où ils se trouvent ; nous avons la certitude que cet acte a été commis par un groupe paramilitaire dans le but de freiner la lutte d’Ostula pour la récupération de ses terres. De même, ces derniers jours, divers comuneros ont été poursuivis et menacés par des groupes armés liés au narcotrafic, sans la moindre réaction du gouvernement.

Au cours des trente années de parcours du Mouvement d’unification et de lutte triqui (MULT) ont été assassinés plus de 350 frères et sœurs ; rappelons notamment la mort de Guadalupe Flores Villanueva surnommé « le maître-né », de Paulino Martínez Delia, Luis Flores García, Roberto Merino, Hilario González Domínguez, Juan Alfonso Robles, et des leaders naturels Ramón Celestino et Camilo Cirilo Castañeda. Ils ont tous été tués par des pistoleros à gages sans que justice soit faite jusqu’à présent.

À San Antonio Ebulá et Candelaria, État de Campeche, nos frères ont été frappés et emprisonnés dans le but de les spolier de leurs terres et d’empêcher leur résistance contre les tarifs exorbitants qu’impose la Commission fédérale d’électricité (CFE).

De même toutes les régions indigènes des États de Guerrero et Oaxaca ont été fortement militarisées. Signalons en particulier la guerre d’extermination contre les peuples mepha et mixtèque d’Ayutla, Guerrero, le harcèlement contre le peuple amuzgo de Xochistlahuaca et sa radio Ñomndaa, ainsi que la persécution contre le Conseil indigène et populaire d’Oaxaca Ricardo Flores Magón (CIPO-RFM).

Le 3 janvier de l’année en cours, le frère rarámuri Pedro Moreno Carrillo, membre de la communauté indigène de Huitosachi, État de Chihuahua, a été retrouvé mort après avoir été durant les mois précédents menacé, poursuivi et canardé parce qu’il défendait les terres de sa communauté.

Le 28 février de cette année, l’armée fédérale s’est introduite dans la communauté indigène du peuple ézar de Misión de Chichimecas, État de Guanajuato ; divers comuneros ont été frappés et arrêtés alors qu’ils essayaient d’empêcher l’élection imposée de leur délégué municipal. Dans les jours suivants, huit comuneros de Misión de Chichimecas, y compris le président des biens communaux, ont été arbitrairement arrêtés sur ordre du ministère public de San Luis de la Paz, accusés de spoliation au détriment du groupe d’entrepreneurs qui depuis des années leur arrache leurs terres.

Actuellement, douze frères de la communauté nahua de Chimalaco, État de San Luis Potosí, sont poursuivis en justice pour le délit de spoliation, après avoir récupéré il y a deux ans les terres dont précisément ils avaient été spoliés par celui qui les accuse aujourd’hui. Ils ont même été accusés de façon absurde d’inhumation clandestine de têtes de bétail.

Aujourd’hui se trouve en prison et condamné à 112 ans de réclusion le frère Ignacio del Valle, de la communauté nahua de San Salvador Atenco, État de Mexico, et du Front des peuples en défense de la terre (FPDT), accusé des délits de spoliation et attaques aux voies générales de communication. Pour les mêmes délits se trouvent incarcérés et condamnés à 67 ans de prison les frères Felipe Álvarez et Hector Galindo Gochicoa. Pour finir, neuf autres membres du FPDT sont condamnés à 37 ans de prison.

3. La guerre contre-insurrectionnelle contre les communautés zapatistes du Chiapas continue à s’intensifier avec l’expulsion massive de communautés entières et la menace constante du groupe paramilitaire OPDDIC à l’encontre de ces communautés, et d’autres communautés indigènes qui, sans être zapatistes, participent à l’Autre Campagne et résistent à la spoliation de leurs terres qui vise à imposer des projets routiers et touristiques.

4. Dans le but de faciliter la dépossession de nos territoires et de nos cultures, l’État mexicain, avec la participation de tous les partis politiques, a modifié la Constitution et a approuvé un ensemble de lois et de politiques publiques qui permettent aux grandes entreprises la destruction de la terre mère et l’appropriation de tout ce qu’elle recèle, comme l’eau, les sources, les lagunes, les ruisseaux, les fleuves, les montagnes, nos plantes, les animaux, les forêts, les côtes, les minéraux, l’air, la pluie, les îles, notre maïs et nos savoirs, nos danses, nos cérémonies, notre musique, nos langues, nos vêtements, nos pèlerinages et tout ce que nous avons construit et sauvegardé depuis des milliers d’années dans notre relation avec la terre mère.

5. Pour ceux d’en haut, le bicentenaire et le centenaire représentent une fête joyeuse car ils sont en train de dévorer nos peuples et notre pays ; pour nous, ceux d’en bas, ils représentent la mort et une profonde préoccupation. ¡Ya basta ! Pour affronter tant d’injustice, nous considérons qu’un autre chemin est nécessaire : celui de l’autonomie, de la libre détermination, du rassemblement avec tous ceux d’en bas.

En conséquence de tout ce qui a été exprimé plus haut, nous faisons la déclaration suivante :

1. Nous saluons et reconnaissons les autorités autonomes élues récemment de la manière traditionnelle par la communauté d’Uweni Muyewe (Bancos de San Hipólito) ; nous nous félicitons également des importantes réussites organisationnelles et juridiques obtenues de façon autonome par cette communauté ; nous reconnaissons que sa lutte ne vise pas seulement à la récupération des 10 720 hectares dont elle a été dépossédée, mais aussi à la reconnaissance réelle de son droit à la propriété sur le territoire qu’elle habite depuis des temps immémoriaux, ce qui représente une lutte pour la reconnaissance des droits fondamentaux des peuples indigènes du Mexique et du monde.

Nous reconnaissons dans leur lutte une lutte sacrée pour continuer le travail commencé par les ancêtres quand ils accouchèrent la vie dans le monde.

2. Nous faisons savoir que la tentative d’imposer la route Amatitán-Bolaños-Huejuquilla sur le territoire de la communauté de Tuapurie-Santa Catarina Cuexcomatitlán passe par la répression, les fraudes et les mensonges du mauvais gouvernement ; c’est pourquoi nous signalons qu’en tant que peuples indigènes organisés nous ne permettrons pas cette spoliation, sachant que la défense du territoire doit s’exercer par tous les moyens nécessaires, en défendant aussi les lieux sacrés et leur pèlerinage ancestral.

3. Nous dénonçons la tentative de dépossession d’une superficie de 800 hectares de la communauté Waut+a (San Sebastián Teponahuaxtlán) par le village Puente de Camotlán, État de Nayarit, en collusion avec l’Institut national de statistiques, géographie et informatique (INEGI) et d’autres instances du gouvernement qui, profitant des problèmes de limites entre les États de Jalisco et Nayarit, prétendent légitimer cette spoliation. Nous exigeons une solution immédiate à l’invasion agraire par de riches éleveurs de Chimatitlán (Jalisco) et La Yesca (Nayarit), qui prétendent faire valoir des écritures apocryphes pour des petites propriétés, et nous exigeons l’annulation définitive de toutes les concessions d’eau à des particuliers et des gouvernements envahisseurs.

4. Nous condamnons l’attaque armée digne de délinquants qu’ont réalisée des policiers de Huejuquilla, État de Jalisco, contre des comuneros de la communauté wixárika de Tatei Kie (San Andrés Comiata), en avertissant que c’est une menace et une provocation contre tout le peuple wixárika à laquelle nous répondrons en conséquence.

5. Nous dénonçons l’assaut d’envahisseurs qui volent des secteurs du territoire de la communauté indigène coca de Mezcala, État de Jalisco, comme c’est le cas d’El Pandillo, La Zalatita, La Cuesta, La Clavillina ; ils les font surveiller par du personnel armé, aussi nous les rendons responsables de tout attentat contre les comuneros et autorités de cette communauté, car notre lutte est pour la conservation de notre territoire. De même nous répétons une fois encore que nous ne permettrons pas que le cœur du peuple coca, l’île de Mezcala, soit transformée en attraction foraine sous prétexte de fêter le bicentenaire.

6. Nous exigeons le respect de la totalité des terres appartenant à la communauté indigène d’Ostula, État de Michoacán, y compris le secteur connu sous le nom de Xayakalán, ainsi que le respect de la police communautaire et de la garde communale du peuple nahua de la côte du Michoacán, et la présentation en vie des comuneros Javier Martínez et Gerardo Vera. Nous nous prononçons contre le plan de développement d’ensemble pour la côte du Michoacán.

7. Nous exigeons l’arrêt de la répression gouvernementale contre le peuple triqui et ses organisations qui luttent pour le respect de leurs droits, ainsi que le châtiment de ceux qui organisent les groupes paramilitaires qui sévissent dans la région.

8. Nous dénonçons la persécution gouvernementale à l’encontre de la communauté nahua de Chimalaco, État de San Luis Potosí, et nous exigeons le respect des terres qui lui reviennent et qu’elle a récupérées ces dernières années de façon pacifique et légale.

9. Nous dénonçons l’invasion par des compagnies minières du territoire de la communauté nahua d’Ayotitlán, ainsi que l’occupation des terres de la communauté nahua de Tuxpan par de grandes entreprises de production d’avocats et de culture sous serres, et nous exigeons le respect de l’autonomie territoriale du peuple nahua du sud du Jalisco.

10. Nous dénonçons la militarisation de la communauté ézar de Misión de Chichimecas, État de Guanajuato, et l’emprisonnement de huit comuneros appartenant à cette communauté pour avoir défendu leurs terres et empêché qu’elles soient fractionnées par des groupe immobiliers de San Luis de la Paz.

11. Nous dénonçons le harcèlement contre la Radio Ñomndaa du peuple amuzgo de Xochistlahuaca et nous exigeons le respect du libre fonctionnement des radios indigènes qui opèrent dans tout le pays.

12. Nous exigeons la dévolution de leurs économies plus les intérêts correspondants aux anciens ouvriers agricoles originaires des États d’Oaxaca, Puebla, Tlaxcala, San Luis Potosí, Mexico, Guerrero et du District fédéral qui ont travaillé aux États-Unis, économies qui leur ont été retenues par ce pays entre les années 1942 et 1964.

13. Nous refusons l’élaboration actuelle dans les États du Chiapas, de Sonora, Puebla, du Michoacán et dans le District fédéral, de diverses initiatives de lois indigènes qui violent les droits que la Convention 169 de l’OIT établit en faveur de nos peuples, et nous répétons que nous continuerons à appliquer les Accords de San Andrés dans les faits, sans reconnaître la contre-réforme constitutionnelle en matière indigène de 2001 ni les différentes lois qui ont été approuvées en la matière au niveau fédéral ou à celui des États.

14. Nous nous opposons à l’imposition par le gouvernement mexicain et les grandes entreprises transnationales de divers projets routiers, touristiques, immobiliers, miniers, agro-industriels, de plantation de semences transgéniques, de construction de barrages et de champs d’éoliennes sur tous les territoires de nos peuples ; nous faisons savoir que, sur la base des droits qui sont les nôtres et de l’exercice de l’autodéfense indigène, nous empêcherons l’exécution de ces projets sur les terres de nos peuples.

15. Nous nous démarquons formellement de toute tentative de « réarticulation » du mouvement indigène national qui proviendrait de personnes et organisations intégrées au gouvernement fédéral ou aux gouvernements des États, comme c’est le cas de la convocation à réaliser un congrès indigène le 10 avril dans la ville de Mexico, et nous faisons savoir que nous défendrons de toutes nos forces l’autonomie et l’indépendance du mouvement indigène et du Congrès national indigène par rapport à tout gouvernement et aux partis politiques.

16. Nous exigeons que cessent immédiatement la militarisation et la paramilitarisation des régions indigènes et du pays ; de même nous nous prononçons contre la criminalisation des luttes sociales et nous exigeons la libération des prisonniers indigènes, de Víctor Herrera Govea et de tous les prisonniers politiques du pays, ainsi que la présentation en vie des disparus politiques. Nous appelons tous les peuples indigènes du pays à participer les 3 et 4 mai à la Journée nationale de lutte pour la liberté des prisonniers politiques convoquée par le Réseau contre la répression et l’Autre Campagne.

17. Nous exigeons l’arrêt de la guerre contre-insurrectionnelle contre les communautés zapatistes du Chiapas, ainsi que la fin des agressions, menaces et expulsions gouvernementales et paramilitaires contre les bases de soutien zapatistes et contre les communautés indigènes du Chiapas adhérentes à l’Autre Campagne.

Nous appelons les peuples indigènes du pays à continuer à renforcer le Congrès national indigène et à accroître, aux côtés de tous ceux d’en bas et à gauche, la lutte anticapitaliste et contre le néolibéralisme.

À Uweni Muyewe, commune de Mezquital, État de Durango, territoire du peuple wixárika, le 28 mars 2010.

Bien à vous.

Pour la reconstitution intégrale de nos peuples.
Plus jamais un Mexique sans nous.

Les peuples, nations et tribus présents à la XXVIIe Réunion élargie
du Congrès national indigène dans la région Centre-Pacifique

Traduit par el Viejo.

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