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En mémoire de Joaquina Dorado Pita
¡Salud compañera !

dimanche 14 mai 2017, par “Régénération”

Survenue le 14 mars 2017 à Barcelone, la mort de Joaquina Dorado Pita clôt une lumineuse séquence de l’histoire populaire. À presque cent ans, les sentiments de révolte de sa petite enfance contre l’injustice l’habitaient toujours intensément. Née le 25 juin 1917 dans un quartier de pêcheurs de La Corogne, en Galice, elle eut très tôt conscience du malheur réservé aux classes laborieuses. En voyant aller pieds nus la plupart des enfants du quartier, puis en assistant un jour du haut de son balcon à la féroce répression qui s’abattait sur des travailleurs en grève.

Émigrée à Barcelone en 1934 avec ses parents, elle a tout juste dix-sept ans quand, immédiatement après son embauche comme tapissière, elle est la première dans l’entreprise à adhérer au syndicat CNT du bois et de la décoration. À partir du coup d’État militaro-fasciste de juillet 1936, elle passe à l’action révolutionnaire. Quelques semaines avant de s’éteindre, son regard flambait encore quand elle évoquait les jours qui suivirent la victoire du peuple des barricades, dont elle fut. Elle fit alors partie d’une délégation du syndicat qui faisait le tour des usines et ateliers. Elle adorait raconter... « Qui est le patron ? » « Moi ! » s’écriait quelque vanité. « Eh bien, hors d’ici ! s’entendait-elle répondre, le temps des maîtres est terminé ! » La toute jeune Joaquina n’allait pas tarder à se voir confier les fonctions du secrétariat de l’Industrie du bois socialisée.

Un mélange de courroux, de regrets et de nostalgie marquait son visage à l’évocation des événements de mai 1937 au cours desquels « sans l’appel au cessez-le-feu des “camarades ministres” nous aurions écrasé les mal nommés communistes. Ça aurait changé pas mal de choses... ». Il fut question un moment de former des pilotes de chasse. Joaquina se porta candidate, mais Moscou veillait. Jamais les avions n’arrivèrent.

En février 1939 elle traverse les Pyrénées parmi les centaines de milliers de gens qui fuient la barbarie, bombardés et mitraillés au long des routes par l’aviation franquiste. Internée dans un camp de concentration du côté de Briançon, elle réussit à s’en évader. Elle demeure alors quelque temps à Montpellier dans le château où le botaniste Paul Reclus, neveu d’Élisée, offre refuge à bon nombre d’anarchistes arrivés d’Espagne. Elle fait là la connaissance de Simon Radowitzky, avec qui elle établit rapidement des liens d’amitié.

Ensuite c’est Toulouse puis à nouveau l’internement ; dans deux camps dont celui du Récébédou (Portet-sur-Garonne) d’où encore elle s’évadera. À la Libération elle prend une part très active dans la réorganisation de la CNT et de la FIJL (Fédération ibérique des jeunesses libertaires) avant de retraverser clandestinement les Pyrénées avec Liberto Sarrau Royes, depuis quelques mois son compagnon, pour continuer à combattre la dictature. C’est à cette époque qu’elle, Liberto, Raúl Carballeira Lacunza, trois autres compagnons et une camarade forment le groupe d’action Tres de Mayo. Le 24 février 1948 Joaquina et Liberto sont arrêtés puis torturés au cours des dix-huit jours pendant lesquels ils restent aux mains de la police. Condamnés, puis relâchés en liberté conditionnelle suite à l’invalidation du Conseil de guerre, ils sont repris le 11 mai 1949 alors qu’ils s’apprêtent à repasser en France.

Condamnée à douze ans de prison, Joaquina est transférée à l’hôpital fin 1950 et doit subir l’ablation d’un rein gravement détérioré par les tortures auxquelles elle fut soumise dans les locaux de la police. Devant un diagnostic de mort imminente, l’administration pénitentiaire s’empresse de l’envoyer décéder chez elle, afin de s’éviter d’éventuelles tracasseries. Un médecin naturiste lui sauve la vie grâce à de très onéreux achats de pénicilline financés par les compagnons du syndicat clandestin du textile. Une fois sa santé récupérée Joaquina réintègre la prison pour en finir avec sa peine dont, à la suite d’amnisties générales, il ne lui reste plus que trois mois à accomplir. Le 13 février elle sort en liberté conditionnelle, pour aussitôt rejoindre la clandestinité, aux côtés de Francisco Sabaté Llopart, qu’elle secondera dans ses activités de propagande et pour qui elle se chargera de trouver des planques. C’est avec lui qu’elle rejoint la France, à pied une fois de plus en 1956. Après avoir combattu la dictature elle devra encore se frotter aux penchants légalistes des bureaucratiques continuateurs de « l’anarchisme » de gouvernement. Elle et quelques autres irréductibles devront en effet faire montre d’une ferme résolution à l’encontre des autorités cénétistes de Toulouse pour que Francisco Sabaté obtienne un aval de la Confédération destiné à lui éviter d’être extradé en Espagne. Elle militait au sein de la deuxième union régionale de la CNT de France quand en 1977 un secrétaire général s’arrogea la luxueuse prérogative d’exclure de son propre chef cette union, alors la plus nombreuse. Union dont le congrès qui suivit refusa d’entendre une délégation. A-t-on jamais rien vu d’aussi furieusement décadent en terrain antiautoritaire ? Les luttes intestines qui déchiraient la CNT d’Espagne en exil n’y étaient sans doute pas étrangères.

Son insuffisance rénale devant être palliée par dialyse, Joaquina se fixa définitivement à Barcelone où elle pouvait profiter de meilleures conditions d’habitat qu’à Paris. C’est avec grand courage, le même que face à la dictature et à toutes les adversités, qu’elle affronta sa maladie. « Avec du courage les choses finissent par s’arranger ! » aimait-elle à rappeler.

S-S.C
Régénération n° 21
printemps 2017

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