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Guerrero : les fantômes du passé

La violence continue plus de trente ans après la « guerre sale »

samedi 28 février 2004, par John Ross

Horacio Zacarías Barrientos, soixante-cinq ans, a vieilli en continuant à essayer de gagner sa vie avec sa parcelle de café près de Rincón de las Parotas sur le chemin d’El Paraíso, un village de montagne de l’État du Guerrero, au sud du Mexique.

C’est là, précisément, que l’on a retrouvé Zacarías Barrientos au cours de l’après-midi du 26 novembre. Son corps avait été criblé de 15 balles par trois inconnus.

À notre époque, quand un ancien est assassiné sur le chemin d’El Paraíso, il s’agit généralement de quelque chose qui a à voir avec les fantômes du passé. Ce que l’on a appelé la « guerre sale » contre la subversion interne au Mexique a précédé d’au moins cinq ans les guerres sales plus célèbres en Argentine et au Chili . Après le massacre de centaines d’étudiants en 1968 sur la place des Trois-Cultures dans la ville de Mexico, quinze cellules de guérilla différentes ont vu le jour dans tout le Mexique.

Dans le Guerrero, le soulèvement était mené par deux professeurs de l’école rurale, Genaro Vázquez et Lucio Cabañas. Le Parti des pauvres, dirigé par Cabañas, est né après un massacre collectif dans une école primaire du village d’Atoyac en 1967 et regroupait des petits paysans.

Cabañas avait une base à Rincón de las Parotas qui était en pleine expansion, lorsqu’un jour de septembre 1974, Zacarías Barrientos fut capturé par une patrouille de l’armée sous le prétexte qu’il fournissait de la nourriture aux rebelles.

Le paysan captif fut remis au tout nouveau chef de police du Guerrero, un impitoyable officiel de l’armé appelé Mario Acosta Chaparro.

Ce qui s’est passé ensuite n’est pas très clair mais Zacarías Barrientos est vite apparu à Rincón de las Parotas comme un « donneur » ou un espion d’Acosta Chaparro. Les villageois se souviennent qu’il a dénoncé six hommes comme étant des partisans de Cabañas et que ceux-ci ont été faits prisonniers par l’armée. On ne les a plus jamais revus.

Acosta Chaparro et le général Francisco Quirós ont été accusés par un conseil de guerre militaire de la disparition de 143 personnes soupçonnées d’être des partisans de Cabañas.

Selon une liste établie par la Commission nationale des droits humains (CNDH), au moins trois cents personnes ont disparu pendant cette période rien qu’à Atoyac, mais les gens de l’endroit disent qu’elles sont presque six cents.

Comme par miracle, Zacarías Barrientos a pu revenir à son village deux ans plus tard. Ses voisins savaient qu’il avait été torturé brutalement et qu’il avait été obligé de donner des noms. Ils le laissaient donc vivre sa vie. Il n’avait apparemment pas d’ennemis.

En 2001, peu après que le nouveau président Vicente Fox annonce la nomination d’un procureur spécial pour les mouvements sociaux et politiques du passé (FEMOSPP), Zacarías Barrientos commença à rendre visite au procureur spécial, Carrillo Prieto, et à devenir son témoin principal.

« Il a été un élément fondamental dans notre enquête parce qu’il avait été impliqué et connaissait de près le fonctionnement de la sale guerre dans le Guerrero », a déclaré Carrillo Prieto au journal La Jornada.

Carrillo Prieto n’a octroyé aucune protection policière à Zacarías Barrientos en dépit des demandes des groupes locaux de victimes de la sale guerre. Son assassinat a découragé d’autres témoins à déposer.

« Ici, les gens se sont tus pendant longtemps », a affirmé Tita Radilla, vice-présidente de l’Association des familles de détenus et de disparus du Mexique. « Maintenant, ils vont se taire à nouveau ».

Zacarías Barrientos a été assassiné à peine trois semaines après que la Cour suprême eut annoncé que Carrillo Prieto avait le droit de juger deux coupables de violations de droits humains au cours de la sale guerre, Miguel Nazar Haro et Luis de la Barreda, membres de l’ex-Direction fédérale de sécurité. Quelques heures à peine après le crime, un juge fédéral d’Acapulco a donné l’ordre d’arrêter l’ex-chef de la police judiciaire du Guerrero, Isidro Galeana, accusé de la disparition forcée d’au moins onze partisans de Cabañas, dont le professeur Jacob Nájera en 1974.

Galeana, comme beaucoup d’autres protagonistes de cette longue histoire dramatique, était vieux et malade. Malgré les « autocongratulations » de Carrillo Prieto pour être parvenu à cette arrestation après deux années de frustration, Galeana est dépeint par des proches de Nájera comme « un homme de main » qui a fait le sale travail du gouverneur Rubén Figueroa et des présidents Luis Echeverría (1970-1976) et José López Portillo (1976-1982). Les deux ex-présidents, tous deux octogénaires, ont refusé de répondre aux questions de Carrillo Prieto concernant leur rôle dans la guerre sale.

Quand la police procéda enfin à l’arrestation, Galeana s’était évaporé. En dépit du fait que, dans des interviews publiques, Carrillo Prieto accusait Galeana de l’assassinat de Zacarías Barrientos, il a également affirmé que celui-ci n’avait jamais accusé l’ex-chef de police de la disparition de Nájera.

Galeana n’est toutefois pas l’unique suspect pour la mort de Zacarías Barrientos. On estime que durant les presque trois années au cours desquelles Zacarías Barrientos était la « donneuse » d’Acosta Chaparo, il a dénoncé plus de trente agriculteurs des montagnes d’Atoyac, et, au Mexique, la vengeance peut être terriblement lente.

Après la mort de Cabañas lors d’une embuscade de l’armée en décembre 1974, Le Parti des pauvres avait formé une « commission de jugement » qui liquidait ceux qui étaient considérés comme des soplones (des donneurs) et, particulièrement, ceux dont on pensait que les informations avaient abouti à la mort de Cabañas.

Le successeur du Parti des pauvres dans cette région, l’Armée populaire révolutionnaire (EPR), née en 1996 après le massacre de dix-sept agriculteurs sur la côte de l’État du Guerrero, était dirigé par le fils du gouverneur appelé également Rubén Figueroa. Elle n’a pas été plus tendre avec les personnes suspectées d’être des informateurs.

John Ross

Traduction : Anne Vereecken,
pour RISAL.

Source : Noticias Aliadas,
5 février 2004.

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