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Hommage à Mohamed Saïl

mardi 7 février 2017

Article paru dans Le Libertaire, n° 390, 20 mai 1954

Voici un an disparaissait notre camarade Mohamed Saïl, militant exemplaire

Quelques semaines avant sa mort, il collait encore le Lib à Aulnay. Nous lui disions de se reposer, nous le sentions faible. Il n’y avait rien à faire. Il voulait militer, il voulait se battre jusqu’au bout.

Sa vie a été un éternel combat. Il a vécu notre idéal, il a été de toutes les actions. Il a payé durement.

Pour notre idéal, il a passé onze années de son existence brève dans les prisons et les camps de la République. Même là il trouvait le moyen de convertir. Partout, à tout instant, il n’avait qu’un seul but : répandre autour de lui, les graines de la révolution.

Il incarnait l’anarchisme social, le communisme libertaire, pour lui les deux termes étaient synonymes. Son combat était prolétarien et révolutionnaire.

Il souffrait au plus profond de lui-même la vie injuste, la vie mauvaise imposée par les puissants de l’heure. Il souffrait surtout pour ses frères algériens, pour ses frères colonisés du monde.

Voici ce qu’il leur disait (Lib n° 273) :

« Toutes les plaines fertiles sont enlevées aux travailleurs, et en récompense, le colon bourgeois “élu” octroie généreusement un salaire de famine et des journées de labeur de dix à quatorze heures. Gare aux fortes têtes ! Oser déclencher une grève revendicatrice avec occupation d’usine est puni non de prison, mais de la balle salutaire d’un CRS… au nom d’une civilisation bienfaisante ! De plus, en l’absence du présumé coupable, l’arrestation d’otage est coutumière. Voilà les exploits courants des colonialistes assassins, avides de carnage…

Que tous reconnaissent que les travailleurs originaires des pays d’outre-mer, venant chercher en France un peu plus de bien-être et de liberté, sont vraiment des hommes braves qui méritent bien des égards.

Malheureusement, au contact de leurs frères de misère de la métropole, qu’ils distinguent nettement des tueurs d’outre-mer, ils se heurtent souvent à l’incompréhension ou au dédain. D’où leur méfiance vis-à-vis des “roumis” (sans toutefois généraliser).

Cependant, les travailleurs nord-africains fuient les partis politiques de France, car ils se souviennent de l’exploitation. Les syndicats, de même, ne les intéressent guère. Et pourtant, ces travailleurs savent être, au cours des grèves, à l’avant-garde du combat de classe. Ils combattent avec acharnement aux côtés des travailleurs contre l’État et le patronat, et aussi contre les bourriques républicaines. Le 1er mai l’a montré !

La révolte gronde dans ces hommes ulcérés. Les anarchistes, qui, seuls, ont le droit d’affirmer qu’ils mènent le bon combat, ne manqueront pas de faire connaître aux travailleurs d’outre-mer qu’en tout état de cause ils sont à leurs côtés face aux hyènes déchaînées.

Camarades nord-africains, il existe une catégorie de “roumis”, totalement désintéressés, qui luttent, sans merci pour le bien-être et la justice sociale contre les discriminations raciales. Oui ! sachez, camarades, que les anarchistes sont vos réels amis qui ne vous demandent rien d’autre que d’être à leurs côtés, pour mener la lutte contre le Capital, l’État, et le Colon, qui ne sont qu’un seul monstre, sous un même bonnet. »

La perte de Mohamed Saïl a causé vraiment un grand vide. Il savait entraîner les jeunes. Il savait faire d’eux de vrais militants révolutionnaires. Sa présence se fait encore sentir parmi nous.

Sa vie a été un complet abandon de sa personne en faveur de l’idée qu’il défendait.

En 1914, très jeune, il était réfractaire à la guerre qu’on lui imposait et il passait des moments très difficiles (internement).

En 1934 il était à l’avant-garde de la lutte contre le fascisme, il était interné et la CGT promenait de larges panneaux : « Libérez Saïl ! »

En 1936 il partait en Espagne et se révélait un combattant infatigable dans la colonne Durruti. Il jouait un grand rôle au Groupe international. Blessé il revenait en France et communiquait à tous les camarades son enthousiasme pour les magnifiques réalisations communistes libertaires espagnoles.

En 1939, après une distribution de tracts contre la guerre, il était encore interné et commençait sa dixième année de prison. On perquisitionnait chez lui et on volait une partie de sa bibliothèque qu’il affectionnait particulièrement.

C’est un autre aspect de Mohamed Saïl : le désir de connaissances. Toute sa vie, il a travaillé pour se cultiver. Il avait été très peu à l’école mais en remontrait sur bien des points à ceux qui se piquent d’avoir de l’instruction.

Pendant l’occupation nazie, il fabriquait de fausses cartes d’identité pour permettre aux camarades en danger de fuir.

Il y a un an Mohamed Saïl entrait à l’hôpital Franco-Musulman de Bobigny et Georges Fontenis devait lui dire bientôt un dernier adieu après quelques incidents dus à la persistance de sa famille à lui faire des obsèques religieuses.

Nous tenons ici, à rendre hommage à sa compagne courageuse qui continue, depuis sa disparition, à diffuser notre cher Lib.

Le Groupe Mohamed Saïl d’Aulnay-sous-Bois

Mohamed Saïl en 1936 en Espagne (au premier rang, au milieu)
avec des membres du Groupe international de la colonne Durruti.

Nous empruntons cet article
au site de Nedjib Sidi Moussa [سي نجيب]
qui vient de publier aux éditions Libertalia
La Fabrique du musulman.

« L’œuvre du militant anarchiste
Mohand Ameziane Saïl revisitée »

Liberté (Algérie)

« Tawrirt n Divan se prépare
à ressusciter Mohand Ameziane Saïl »

Béjaïa News

« Étranges étrangers »
Jacques Prévert récite son poème
accompagné à la guitare par Henri Crolla

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières.
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.

Jacques Prévert a dédié ce poème
— paru en 1951 dans le recueil

Grand bal de printemps —
à Mohamed Saïl.

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