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L’autonomie, une forme de patience face au non-respect des accords de San Andrés

lundi 22 juillet 2002, par Hermann Bellinghausen

Les plaintes des communautés en résistance pour agressions sont presque quotidiennes

Africa, Chiapas, 22 juillet 2002.

Sur les bonnes cartes commerciales de l’État du Chiapas apparaît Africa, mais pas Asia, la rancheria voisine, celle-ci comptant cinq ou six fois plus d’habitants.

Et ce n’est pas tout. Un écriteau métallique vert avec des lettres phosphorescentes blanches - un de ceux que les successifs secrétariats de communication ont planté à l’entrée des villages au bord des chemins - annonce l’apparition de quelques maisons de bois qui constituent Africa, dans le « toit » de la forêt Lacandone.

En revanche Asia - peut-être car ce village n’existe pas sur les cartes - n’a pas mérité l’écriteau vert officiel, les gens, dans leur soif d’exister, ont enfoncé une planche de bois dans l’arbre le plus fort qui peut se voir depuis le chemin. Ils ont écrit : Asia, rancheria.

Dans le hameau Africa vivent dix personnes, peut-être quinze. À Asia, plus de soixante. Les deux se situent à l’un des accès de la réserve de la biosphère, aussi appelé communauté Lacandone. Il s’agit d’implantations légales dans l’ère « critique » que, selon la nécessité de chaque moment, les autorités gouvernementales revendiquent comme propriété de la nation et parfois même de l’humanité, ou alors propriété du peuple décimé des Lacandons : les Montes Azules (les Collines bleues).

Maintenant en été, la végétation a tellement poussé qu’elle occulte les maisons d’Asia et d’Africa. Le paysage dévore complètement ces deux rancherias et les seules choses visibles sont les écriteaux avec leurs noms. Le reste est forêt.

Les communautés proches des casernes ont une vision peu connue de la militarisation. Une « perturbatrice » montre comment fonctionne, à moyen terme, la stratégie militaire du hearts and minds, qui cherche à conquérir « âmes et cœurs » de l’ennemi ou, du moins, des voisins de l’ennemi.

Pendant toutes ces années ont existé, de façon formelle, une loi pour la paix et la réconciliation au Chiapas, un mandataire présidentiel pour la paix et une commission de députés fédéraux et de sénateurs de la République. Cependant, les « mexicains contestataires » (expression de l’ex-président Ernesto Zedillo pour nommer les zapatistes dans un premier temps), ont toujours été traités comme des ennemis. Ici s’opèrent les techniques des manuels nord-américains de contre-insurrection, déjà bien testées dans les terres chaudes du Guatemala et du sud du Vietnam.

« On raccommode les uniformes militaires », annonce un petite pancarte sur la porte d’une maison de Cintalapa. Une belle porte. Une belle maison bien grande. On arrive à percevoir la machine à coudre Singer, une télévision aussi et une chaîne.

Sans être aussi grande que San Quitin ou Maravilla Tenejapa, Cintalapa est une des communautés importantes de la forêt ayant une affiliation priiste qui, comparée avec la majeure partie des villages de la région, est relativement prospère. Elle possède des infrastructures et des commerces. L’investissement social est une affaire rentable.

Il n’est pas rare d’entendre des histoires de filles de familles tzeltales qui ont eu des enfants avec des soldats de la caserne, située à 200 mètres du village. Certaines se sont mariées et sont parties quand il a fallu changer de caserne. Quelques-unes se sont prostituées. Beaucoup d’enfants sont devenues femmes avec l’existence d’une caserne à proximité.

Ces villages ont développé une certaine économie de marché. Ce phénomène existe aussi dans d’autres communautés comme Santo Domingo et Nueva Palestina qui, sans avoir de bases militaires proches, comblent constamment les besoins des soldats.

Une telle économie parallèle à la guerre explique le désenchantement de quelques communautés priistes proches des militaires quand, début 2000, le gouvernement a retiré quelques-unes des positions de l’armée fédérale (sept au total). Les villages de Cuxulja (proche de Moisés Gandhi) et du Carmen (proche de Guadalupe Tepeyac) ont ressenti ce départ en terme économique. D’autres communautés, aussi priistes mais plus traditionnelles, comme Jolnachoj (proche de San Andrés) ont, elles, ressenti un soulagement.

Le déplacement des troupes qu’à décidé le président Fox n’a impliqué en rien une réduction des effectifs dans la zone de conflit. Des témoignages récents suggèrent au contraire une augmentation du nombre de soldats ; réalité possible à occulter à l’opinion publique mais non dans la vie communautaire quotidienne.

Le gouvernement de Fox le nie mais, dans les faits, il maintient un état de guerre au Chiapas.

Sur ces terres d’Indiens mayas, l’autonomie est une forme de patience. Des villages ou il n’y a pas d’hôtels, de restaurants, de magasins de chaussures, de pharmacie, de bureaucratie fédérale et étatique, d’antennes de télévision. Dans ces villages on n’accepte pas de financement ni d’œuvre publique. Beaucoup d’entre eux n’ont
toujours pas d’électricité.

Il est facile d’identifier les communautés en résistance. Grâce aux écriteaux qui proclament leur appartenance à telle ou telle commune autonome. Ou grâce aux fresques où apparaissent Emiliano Zapata, les insurgés de l’EZLN, des paysages de leur histoire, des scènes de guerre ou des rêves idylliques, certains héros de la patrie et le Che Guevara, cette icône universelle. Normalement, il n’y a pas d’alcool ni de personnes saoules.

Mais ces villages sont aussi identifiables par leur plus grande précarité. Bien que leur fermeté et leur organisation collective rendent la chose moins évidente, les Indiens rebelles du Chiapas sont des pauvres parmi les pauvres.

Dans certaines communautés cohabitent des bases d’appui zapatistes et des paysans membres d’organisations officielles (comme à Roberto Barrios ou à Morelia). Dans les villages zapatistes, l’alimentation est très restreinte ; en ce qui concerne la construction, les maisons sont en bois le plus souvent, le peu d’argent va dans la tôle. Même ainsi, ils arrivent à construire des écoles primaires bilingues, des bibliothèques, des lieux de réunion, de petites cliniques dans lesquelles on trouve rarement un médecin. Ils tiennent depuis dix ans voire plus dans ces conditions et entre cinq et six ans en fonctionnant de façon autonome, ce qui leur a coûté des morts, des exils, la prison, des champs détruits, des rivières contaminées.

La résistance de centaines de communautés prouve trois choses : que leurs habitants se sont faits à l’idée ; qu’ils résistent pacifiquement à une guerre continue (militaire, paramilitaire, politique, économique) qui n’ose dire son nom ; que, comme ont l’habitude de le dire - via des communiqués publics - les différents conseils autonomes, ils n’acceptent pas de « miettes » du gouvernement.

Cependant la majorité des organisations et des communautés, et pas seulement les zapatistes, demandent la reconnaissance des accords de San Andrés. Le gouvernement insiste pour une réforme constitutionnelle qui ne satisfait pas les Indiens. Même le gouvernement de Pablo Salazar Mendiguchía refuse cette réforme (connue sous le nom de loi Bartlett-Cevallos), actuellement en révision à la Cour suprême de justice de la nation à cause des centaines de controverses constitutionnelles indiennes qu’elle a suscitées dans le pays.

Les communes autonomes diffusent de façon continue leurs plaintes. Presque chaque jour, la force publique - ou bien des gens ou des organismes qui sont liés à des partis politiques ou qui collaborent avec l’armée fédérale et d’autres instances d’un gouvernement qui s’est engagé à répondre à leurs demandes - entre en conflit avec les communautés.

Les années passent. La guerre avance. Les communautés en résistance continuent d’espérer. « Le gouvernement ne nous entend pas », répètent-elles sans cesse.

Hermann Bellinghausen
La Jornada (Mexico).

Traduction : CSPCL.

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