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Le cheval de Zapata

lundi 10 avril 2000, par SCI Marcos

10 avril 2000.

À Don Félix Serdán, major honoraire.

« Alors il apporta le rapport à Zapata. Celui-ci était en train de manger dans la maison de Santiago Posada, lorsque lui parvint le rapport disant que le gouvernement le traquait. Il sortit sur son cheval et s’arrêta dans l’atelier entouré par quinze hommes armés. Déjà le gouvernement arrivait sur lui avec quatre cents hommes armés. Il descendit de cheval, pris sa carabine et commença à tirer. Monté sur son cheval, il se retourna avec quelques-uns et sortit. Ils partirent trois, deux plus lui. Il s’en fut par la colline et alors commença la lutte. »

Próspero García Aguirre, général de l’Armée libératrice.

(Extrait de L’Irruption zapatiste. 1911, Francisco Pineda Gómez.
Éditions Era - au fait, félicitations pour le quarantième anniversaire
de la triade Espresate-Rojo-Azorín et la bande qui les accompagne.)

Ceci est une histoire pour les enfants et les chevaux. Elle vient à point en ces jours où nous nous souvenons du général Emiliano Zapata et aussi parce que avril est le mois des enfants. Également parce que Zapata venait de l’État de Morelos et qu’à Morelos se trouve une fillette, Ixchel, et un garçon, Balam, qui ont soutenu la consultation d’il y a un an. À ce moment-là, Ixchel allait sur ses sept ans et Balam sur ces trois ans. Pour elle et pour lui, et à travers eux pour tous les enfants, voici cette histoire qui parle d’un cheval, du cheval d’Emiliano Zapata.

On a beaucoup écrit et dit sur Emiliano Zapata, et ce qu’il a fait n’est pas rien. Il y a cependant d’autres aspects de la lutte zapatiste qui sont passés inaperçus aux historiens. Je ne suis pas historien (je suis un guerrier, un peu enfant et beaucoup cheval), mais j’ai eu les moyens de connaître des histoires grandes et petites qui tournent autour de mon général. Celle que je vais vous conter maintenant me fut rapportée, à son tour, par un cheval néozapatiste : Marinero.

Marinero n’est pas l’unique cheval néozapatiste, beaucoup d’autres forment les files d’insurgés et il y en a même un qui est sous-commandant (mais c’est une autre histoire). J’ai eu plusieurs chevaux. Presque tous, invariablement, se sont appelés « Lucero ». Lorsque parfois ils ont coïncidé dans le temps et l’espace, ils ont été renommés de façon évidente : « Lucero », « Lucerito », « Lucerote », « Lucerón », et ainsi de suite. Maintenant mon cheval se fait appeler « Lucerotote » ou « Grande » et, comme son nom l’indique, c’est un équidé petit et pataud qui trébuche presque autant que moi lorsque, ensemble, nous grimpons et descendons des collines, poussières et boues dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Le cheval de Tacho s’appelle « Diamante » et celui du major s’appelle « Cacarizo ». Le cheval de la cellule « Chómpiras » s’appelle « Marinero ». Avant « Marinero » il y eut « Príncipe », un cheval blanc et de bonne hauteur qui mourut d’une forte douleur de panse, sans que nous sachions si ce fut à cause des parasites ou pour avoir écouté à la radio une des déclarations de Zedillo (il est vrai que « Principe », n’apprécia jamais vraiment les mules).

Mais ce que je vais vous raconter n’est pas l’histoire de « Lucero », ni de « Diamante », de « Cacarizo » ou de « Príncipe ». Ce n’est pas non plus, au sens strict, l’histoire de « Marinero » (même s’il en prend une part importante), mais l’histoire du cheval du général Emiliano Zapata.

Pour comprendre ce que je vais raconter, il faut être enfant, cheval ou bien enfant et cheval. Ils disent qu’il y a des chevaux qui parlent. Je n’en connais aucun, mais ils disent cela, et s’ils le disent, c’est pour quelque chose. Ce que je sais par contre, c’est qu’il y a des chevaux qui savent lire et écrire. Je sais qu’il y aura des adultes qui, en lisant cela, feront la moue et, au mieux, passeront à la section politique nationale, parce que quant à lire des contes incroyables, il n’y a pas mieux que ceux que raconte Labatista dans sa campagne électorale. Mais les enfants comprendront que ces choses arrivent, je veux dire, qu’il existe des chevaux qui savent lire et écrire. Alors, comme aval à mon récit, je le dédie seulement aux enfants et aux chevaux qui savent que le monde est plein de merveilles qui, le plus souvent, passent inaperçues.

Bref, le fait est qu’il y a des chevaux qui savent lire et écrire. Ils ne sont pas nombreux ou bien je n’en connais pas beaucoup. Marinero est l’un d’eux. Les chevaux qui savent lire, écrivent ainsi, comme des gribouillages de tout petits enfants et il semble qu’on ne les comprenne pas. Ou peut-être que les adultes ne comprennent pas, mais les enfants, si. Pour donner un exemple, Marinero écrivit un poème qui disait plus ou moins ceci : « Gori, gori, blfr / titi, titi, ta / Gori, blfr, tita ». Il est clair que la rime et la métrique sont d’une qualité appréciable, mais je doute qu’il y ait une académie ou un cercle de poètes qui ne fassent pas la grimace face à ces vers sincères. Seuls les enfants et les chevaux pourraient jouir de la magie que renferme ce « gori » répété. Mais enfin, ce n’est pas un traité de poésie chevaline, mais un récit qui se rapporte au fait qu’il y a des chevaux qui savent lire et écrire. Pour cela, ils prennent le stylo dans la bouche, serré dans les dents, et se mettent à la tâche jusqu’à remplir des pages et des pages, bien sûr, s’ils ont des cahiers aux feuilles vierges. Ils ne le font pas devant n’importe qui. Ils montrent seulement ce qu’ils savent lorsqu’ils sont certains que la personne est comme eux, seulement si c’est un enfant ou un cheval, c’est peut-être pourquoi, avec moi, Marinero se dévoile. Mais pas devant tous. Je m’en rendis compte parce qu’un jour je réunis la troupe et leur dit. « Ce cheval sait écrire et lire », et je mis alors un crayon dans la bouche de Marinero qui commença à le mastiquer et à vouloir l’avaler et que pour finir, comme il s’étouffait, Tacho vint lui retirer les morceaux de crayon de la gorge. Tous me regardèrent avec un air de dire « Ah ! Ce Sup, quelle idée de donner un crayon au cheval ! ». J’avais l’air idiot, ce qui n’arrive pas si l’on est enfant ou cheval.

Ensuite, je grondais Marinero qui m’expliqua qu’il ne montrait pas ses connaissances devant n’importe qui. Ainsi si vous, les enfants qui lisez cette histoire, vous trouvez un cheval qui sait lire et écrire, n’allez pas répandre la nouvelle et ne lui demandez pas de le montrer à d’autres, parce que le cheval va avaler le crayon et que tous vont commencer à dire que vous êtes malades et qu’ils vont vous donner des sirops, des pastilles et, même pire, des piqûres !

Bon, le fait est que ce cheval sait lire et écrire. Mais ce n’est pas tout, il envoie et reçoit aussi des lettres. Ce n’est pas pour les mettre en avant, mais Marinero a échangé des courriers avec le cheval de mon général Zapata. Oui, je me réfère à Emiliano Zapata, général en chef de l’Armée libératrice du Sud (et aussi de l’EZLN). Je vous raconte maintenant comment je l’ai su.

Parfois, lorsque je sors me promener à l’aube, je rencontre Marinero. Il se met au garde-à-vous et salue, car les chevaux qui sont dans les armées rebelles ont une façon de faire très militaire. Habituellement je réponds à son salut et continue mon chemin, après m’être arrêté pour lui demander comment il va ou s’il y a quelque chose de nouveau. Une de ces fois là se trouvaient quelques papiers à côté de la main gauche de Marinero. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait et Marinero pris (ou mordis) le stylo et écrivit sur une feuille propre. « Lettres ». Bien sur il n’a pas mis « lettres », mais son équivalent en langage infantile. « des lettres ? », lui ais-je demandé.

Marinero se remit à écrire : « Oui. D’un ami, d’un cheval qui est un ami. » Je ne demandais pas à Marinero comment est-ce qu’il recevait des lettres d’un autre cheval, suffisamment de choses rares arrivent dans ces montagnes pour que je ne m’attarde pas à savoir le pourquoi de chacune d’entre elles, aussi je me limitais à lui demander de quel cheval il s’agissait. Marinero répondit, toujours en écrivant. « Le cheval de Zapata. » Je fis la même tête que vous devez être en train de faire en lisant cela.

Marinero remua la tête pour acquiescer et commença à m’écrire une explication que je ne compris pas entièrement. Cependant, je pus tirer au clair que le cheval de Zapata changeait de nom, ou peut-être ne s’appelait-il pas comme on l’appelle mais prend-il un nom clandestin parce que, si l’on savait qu’il est le cheval de Zapata, alors il n’en finirait pas. Je ne compris pas d’où écrivait le cheval de Zapata, mais il ne m’importait pas beaucoup de le savoir parce que je compris tout de suite que la discrétion était importante. Marinero, je crois, apprécia mon geste et, en retour, me montra quelques lettre que lui avait envoyées le cheval de Zapata.

Ce que je lus était long et merveilleux. Ici, par manque d’espace et de temps, je vous transcris seulement quelques-unes unes des choses que raconte le cheval de Zapata. Bien, allons-y.

"Mon général n’était pas encore général lorsque je galopais avec les chevaux. Mon général aimait beaucoup les chevaux, bien qu’il ne fût pas encore mon général. Et il savait beaucoup sur les chevaux, il savait comment leur parler et il savait les comprendre. Mon général avait beaucoup de jugeote. Moi, il me connaissait lorsque nous allions aux taureaux. Parce que mon général aimait beaucoup toréer. Une fois, il affronta un taurillon de bonne taille qui lui abîma une jambe. Mais mon général se massa seulement un peu et alla manger avec les siens. Moi je vis là que mon général, en plus d’avoir beaucoup de jugeote, avait ce courage que l’on ne soupçonnait pas et qui, pour cela, n’en brillait que davantage.

À peu de temps de ce taureau que je vous conte, nous nous sommes soulevés en armes contre le mauvais gouvernement... Nous nous sommes soulevés parce que l’injustice dont souffraient les nôtres était grande ainsi que la misère des indigènes. Nous n’avions rien lorsque nous nous sommes soulevés contre le gouvernement et mon général disait que « (...) lorsqu’il s’était lancé dans la révolution il avait laissé à la maison, pendus à un clou, les vieux pantalons avec lesquels était resté le peu de peur qu’il ait eu dans sa vie » (Ibid).

Je me rappelle qu’une fois où nous passions par l’État de Puebla nous avons attaqué Atlixco y Metepec. L’entreprise textile Compañía Industrial de Atlixco SA avait trois étages (un de filature et de tissus, un autre de blanchissage et le troisième d’impression). Dans le combat de Metepec, beaucoup d’ouvriers se sont incorporés dans nos rangs. Je me souviens, au fait, qu’un ouvrier du textile, Fortino Ayaquica, arriva au grade de général dans notre Armée libératrice du Sud. Et je sus que se trouvait par ici un révolutionnaire espagnol qui s’appelait Sebastián San Vicente sans que je sache où il était passé après, jusqu’à ce que je le retrouve, organisant des ouvriers dans ce même État de Puebla. C’était un homme bon ce Sebastián, je te raconterais dans une autre lettre ce que je sais de lui. Le fait est qu’avec nous, en plus des paysans, il y avait des ouvriers. Et même quelques diplômés, de ceux qui ont leurs études et leurs grandes paroles, mais qui ne rechignaient pas à l’heure de mettre la main à la carabine où aux bombes de cuero, lorsqu’il s’agissait d’affronter les tueurs du vieux don Porfirio.

Notre armée, la Libératrice du Sud, était une armée très grande. Je ne me réfère pas seulement au grand nombre que nous étions, mais à ce qu’il y avait des gens de tous genres et de pensées très diverses.

Ce que nous avions tous en commun, hommes, femmes et chevaux, était le courage pour avoir vu tant d’injustice et tant de pauvreté dans les gens du peuple, et tant d’orgueil et tant de richesse dans les maisons de quelques-uns.

À la présidence du Mexique se trouvait un tyran nommé Porfirio Díaz. Ce monsieur n’était que trop resté, faisant des lois et commandant des troupes, toujours portant préjudices aux pauvres, toujours bénéficiant aux riches. De même que maintenant, bien qu’au lieu d’une personne ce soit aujourd’hui un parti, le PRI, celui qui se charge que tout aille bien pour les puissants, bien que cela signifie que tout sera pire pour les humbles.

Díaz ne put se maintenir en place et dut s’en aller. Arriva alors le señor Madero, mais les choses ne changèrent pas et mon général Zapata dit que nous devions continuer jusqu’à ce que soit accompli ce que nous voulions : Terre et liberté ! Je me souviens que lorsque nous assiégions Cuautla, Morelos, les combats furent très durs, nous y allions dur et eux aussi. Par ici allait quelqu’un qui se nommait Octavio Paz Solórzano. Il avait ramassé des témoignages de ces luttes et, par la suite, s’incorpora à nos rangs.

Le manquement à sa parole du señor Madero provoqua beaucoup d’affronts dans nos troupes. Je me souviens que là-bas, vers août 1911, le señor Madero vint nous voir à Morelos. Il voulait nous calmer et que nous cessions la lutte. Nous allâmes le recevoir à la gare. Alors il grimpa (Madero) en haut d’un wagon de train et commença à nous haranguer, à dire : « Compagnons de l’État de Morelos, je vous suis reconnaissant de m’avoir aidé à renverser le gouvernement de don Porfirio Diaz, mais, en même temps, je veux vous dire que les terres sont celles des propriétaires et que celui qui veut une terre, qu’il travaille. » C’est ce que dit Madero et alors tous les zapatistes, hommes, femmes et chevaux lui crièrent : À mort Madero ! (Ibid. Félix Vázquez Jiménez. Major de la cavalerie de l’Armée libératrice du Sud). Et le señor Madero continua comme un entêté, essayant de convaincre mon général de se rendre. Bien mal en prit au señor Madero parce que nous les zapatistes, nous ne nous rendons pas, nous ne nous vendons pas.

C’est pourquoi, bien que nous ayons projeté le petit señor Diaz hors de la chaise présidentielle, nous repartîmes pour la sierra. Nous allâmes donc à Ayoxuxtla. Je me souviens bien de la date. C’était le 25 novembre et l’année 1911 s’en allait. Mon général seul faisait les cent pas et disait à celui qui écrivait : « Que manque-t-il, compère, que manque-t-il ? » Mais par la suite il sembla qu’il ne manquait plus rien parce qu’il nous a appelés et nous a dit : « Voici, ici se trouve ce que nous sommes, ce que nous voulons, et cela s’appelle le Plan d’Ayala. Alors les sept généraux zapatistes signèrent, et ensuite, Zapata nous dit à tous : »Señores, que celui qui n’a pas peur vienne signer, mais vous savez que vous allez signer le triomphe de la mort." Moi, j’allais passer pour le signer, mais je ne le fis pas parce que après ils allaient penser du mal de moi, un cheval qui sait lire et écrire, c’est pourquoi je hennis seul, pour bien marquer que j’étais aussi d’accord pour la lutte et pour que personne ne soupçonne que j’étais un cheval qui savait lire et écrire.

Mon général continua donc la lutte. Le señor madero croyait encore qu’il allait le contenter avec de petites paroles, qu’il s’était déjà arrêté, que nous avions gagné, qu’il resterait calme, mais mon général se mit en colère et écrivit une lettre très dure et très belle. J’en ai eu connaissance car c’est moi qui la porta vers son destin. Dans le peu de temps qu’il me donna, j’eus la chance de pouvoir copier quelques paroles. Voici ce qu’elles disaient : « Moi, comme je ne suis pas politicien, je ne comprends rien à ces triomphes à demi ; à ces triomphes où les vaincus sont les gagnants ; à ces triomphes où, comme dans mon cas, on m’offre, on exige de moi, qu’après être sorti triomphant de la révolution, je parte non seulement de mon État, mais aussi de ma patrie... Je suis résolu à lutter contre tout et contre tous sans autre bastion que la confiance, l’affection et l’appui de mon peuple, faites-le donc savoir à tous ; et à don Gustavo (Madero) il dit en réponse, ce que j’approuvais, que l’on n’achète pas Emiliano Zapata avec de l’or. Aux compagnons qui étaient prisonniers, victimes de l’ingratitude de Madero, il leur dit de ne pas faire attention, qu’il y avait encore ici des hommes qui avaient honte et que l’espoir de leur rendre leur liberté n’était pas perdu » (Emiliano Zapata à Gildardo Magaña, 6 décembre 1911. Ibíd.)

Après vint la trahison de Victoriano Huerta et le señor Madero fut assassiné. Les années passèrent. Nous les avons passées à combattre contre Huerta et il fut promptement renversé. Mais alors un monsieur Carranza mit son acharnement à prendre le pouvoir sans faire cas des demandes du peuple, des paysans, qui avait fait leur le plan d’Ayala. Dans le nord, le général Francisco Villa avait fini par briser l’armée huertiste à la bataille de Zacatecas. D’un autre côté, Carranza et ses généraux se voyaient déjà gouverner sans que personne ne les « estrobar ». Mais les révolutionnaires qui étaient avec le peuple se réunirent pour s’assurer qu’un bon gouvernement arrive et guide notre patrie sur le bon chemin. À Aguascalientes, les principaux chefs révolutionnaires se réunirent et ils donnèrent à leur réunion le nom de « Convention ». Aux débuts de la Convention d’Aguascalientes, nous les zapatistes n’étions pas présents, mais ensuite, ceux qui étaient réunis ici décidèrent d’envoyer une commission pour nous inviter. J’étais présent lorsque le général Felipe Angeles, à la tête du groupe, arriva jusqu’au quartier zapatiste pour inviter mon général Zapata.

Mon général envoya Paulino Martínez, un homme droit, bon de cœur et de paroles. Je n’y suis pas allé, mais d’autres me dirent que don Paulino porta bien la parole zapatiste et, rapidement, la Convention fit sienne notre Plan d’Ayala.

Les conventionnistes allèrent voir le señor Carranza, chef des forces armées qui s’appelaient « constitutionnalistes », pour lui demander d’abandonner ses ambitions et de remettre le pouvoir qu’il avait pris de force. Selon ce que disait notre Plan d’Ayala, le nouveau président devait sortir d’un accord des chefs révolutionnaires et il fallait organiser une élection pour que le peuple choisisse son gouvernement. Carranza fit comme s’il était d’accord, mais sa ruse fit qu’il voulait extraire de la lutte et du pays les généraux Francisco Villa et Emiliano Zapata. Carranza savait que, sans eux, personne ne l’empêcherait de prendre le pouvoir.

Par l’ambition de Carranza il n’y eut pas d’accord, et alors le désordre continua, désormais entre conventionnistes et constitutionnalistes. C’est ainsi qu’ils se nommaient, mais en vérité c’était la guerre entre ceux qui voulaient que les choses changent pour le bien du peuple, c’est-à-dire Villa et Zapata, et ceux qui voulaient que tout continue comme avant, c’est à dire Carranza et Obregon.

Nos troupes avancèrent vers la capitale du pays et, après que mon général eut rencontré Villa à Xochimilco, nous sommes entrés dans la ville de Mexico le 6 décembre 1914. Nous étions là, seulement pour faire demi-tour, puisque nous n’étions pas entrés en lutte parce que nous voulions le gouvernement, ou de l’argent, ou pour avoir des choses. Non, nous avions lutté pour la terre et la liberté. C’est pourquoi ensuite nous sommes sortis de la ville de Mexico, pour continuer à nous préparer pour la lutte.

Les années suivantes ne furent pas faciles. Carranza eut l’appui des réactionnaires et put armer convenablement ses armées. Obregón vaincu Villa à la bataille de Celaya et l’armée constitutionnelle devint la plus puissante. Pour essayer de gagner plus de monde à ses côtés, Carranza promulgua la loi du 6 janvier 1915, qui reconnaissaient quelques-unes unes des demandes agraires de notre peuple, non parce qu’il pensait les accomplir, mais bien parce qu’il voulait tromper les zapatistes. Carranza arma aussi des groupes d’ouvriers pour combattre la révolution. Au total, les choses devinrent de plus en plus difficiles pour nous et notre lutte. En 1917, Carranza organisa une nouvelle Constitution, ce qui représente les lois les plus grandes d’un pays. Là, grâce à la forte lutte des zapatistes, quelques droits des peuples paysans furent reconnus.

Mais Carranza ne peut oublier que mon général Zapata est un révolutionnaire, qui ne va pas cesser de se battre jusqu’à ce que le Plan d’Ayala soit accompli. C’est pourquoi il fait un plan pour assassiner mon général Emiliano. Comme ils ne pouvaient l’acheter avec de l’or, ou lui faire peur avec la guerre, ni le vaincre avec tant d’armées, il monte un plan de trahison. Le général carranciste Pablo González ordonna à un subordonné, le colonel Jesús María Guajardo, de faire comme s’il désertait les rangs gouvernementaux et passe du côté des zapatistes. Mon général n’y crut pas vraiment et remit diverses preuves à Guajardo, jusqu’à ce qu’il le convainque un peu. Alors arriva ce qui se passa à Chinameca, dans le courant de l’année 1919, et c’était le mois d’avril.

Dans l’Hacienda de Chinameca, Morelos, il ne s’est pas passé ce qu’ils disent qu’il s’est passé. Ou bien si, cela se passa ainsi, mais pas seulement ainsi. Il est vrai que le dénommé Guajardo retourna sa veste et tendit un piège à mon général, mais il n’est pas sûr que celui-ci mourut ici, ce 10 avril 1919. Non, mon général fut méchamment blessé, c’est certain, mais j’ai été doué pour le tirer et nous enfuir ensuite comme des dératés, profitant de la confusion et de la poussière que tant de tirs des tueurs soulevaient.

Les choses se passèrent ainsi. Le 9 avril, Zapata fut élevé au grade de général par Guajardo et celui-ci, pour le remercier, lui offrit un cheval alezan et l’invita à manger à l’hacienda de Chinameca. Tandis qu’il se rendait au repas, parvinrent des rumeurs qu’un homme de Carrancia appelé Ríos Certuche, rodait dans l’hacienda. Mon général demanda à faire une reconnaissance et ne trouva personne. Mais alors, je me rendis compte que quelque chose n’allait pas bien et j’allais rôder vers le centre de l’hacienda. Mon général entre, monté sur l’alezan offert par Guajardo. J’entends clairement que les trois coups de clairon sont sonnés pour le salut militaire. Le troisième coup s’éteint à peine que la fusillade commence. Rapide, sans réfléchir davantage, je me lance vers la porte et entre au galop. Mon général était à terre et à ses côtés était tombé Agustín Cortés, son assistant. Je ramassais mon général et m’en fut en le tirant. Ces idiots crurent qu’Agustín Cortés était Zapata et ils continuèrent de lui tirer dessus, et dans la confusion, je partis en tirant mon général avec les dents.

Je ne le tirais pas vers le campement, parce que je pensais que, sûrement, les hommes de Carrancia se rendraient là-bas. Ce que je fis alors fut de l’emporter vers la maison de quelques indigènes et je le laissais là pour qu’ils le soignent. Je m’en allais parce que, si je restais dans le coin, ils me reconnaîtraient sûrement et trouveraient mon général. Je sus après que mon général Zapata s’était bien remis et s’était traîné vers le Sud-Est, mais c’est une autre histoire.

Comme ci comme ça, j’allais d’un côté et de l’autre et maintenant je suis ici, attendant que mon général m’appelle et que nous chevauchions de nouveau ensemble. Durant ce temps, j’ai toujours été du côté des plus mal foutus, ceux que personne n’écoute, ceux dont personne ne fait cas. C’est pourquoi je sais que notre lutte n’est pas terminée, qu’il faudra encore beaucoup lutter pour arriver à ce que nous avons dit dans les montagnes de Morelos et qui fut, et est, notre drapeau : Terre et Liberté !

Bon Marinero, je te quitte. Allez.

Mes meilleures salutations.
Le cheval d’Emiliano Zapata.

C’est ce que j’ai lu dans la lettre du cheval. Lorsque je demandais à Marinero s’il en savait plus, il prit le crayon et écrivit :

« Par ici va le cheval de Zapata. Il dit qu’il ne cherche pas un cavalier qui le monte. Non, il dit qu’il cherche celui qui comprend. »

Je dit adieu à Marinero et retournai vers la plage de blé où la mer se repose.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, le 10 avril 2000,
pour l’anniversaire de mon général Emiliano Zapata.

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