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août 2008

Rencontre avec le graveur nahua Nicolás de Jesús

Guerrero, Mexique

vendredi 21 septembre 2012, par Marisol Wences Mina, Nicolás de Jesús

« L’art ne doit pas être sous-estimé, il a le pouvoir de remuer les consciences, tout en étant le reflet du plus intime de l’artiste », affirme Nicolás de Jesús, graveur du Guerrero.

De l’indignation à la lutte, de l’enseignement aux voyages à travers le monde, de la volonté de perpétuer l’art des indigènes du Haut-Balsas à la certitude que la création artistique est une manière de se guérir de ses propres démons, Nicolás de Jesús, originaire d’Ameyaltepec, un des plus remarquables artistes graveurs mexicains, a annoncé qu’à partir de septembre 2008 il entamait une série d’activités à travers les États-Unis, parmi lesquelles une exposition rétrospective ainsi que la présentation d’une vidéo et d’un atelier de gravure à l’université luthérienne du Texas. Lors de l’interview qu’il nous a accordée, Nicolás de Jesús nous a communiqué sa vision du monde et en particulier des cultures indigènes.

Il évoque notamment la disparition des langues indigènes, que les locuteurs actuels enseignent de moins en moins à leurs enfants : « C’est très triste pour moi, parce que cela signifie qu’une langue va se perdre, et on sait qu’une langue ne peut pas renaître. Ma propre expérience m’enseigne qu’une discrimination certaine existe. »

Fiesta de los muertos (Fête des morts)
(gravure de Nicolás de Jesús)

Il insiste sur le fait qu’il faille diffuser les valeurs de la culture en général : « Dans la langue, dans l’art, pour que l’on sente que nos valeurs sont importantes, que les rituels que nous effectuons et que nous avons hérités de nos ancêtres constituent des valeurs authentiques de respect de la terre et de nos semblables. »

Il accuse donc les gouvernants de n’en tenir aucun compte, mais affirme également que les indigènes « ne doivent pas avoir honte de leurs racines culturelles et de leur identité », ce qui procède de la « même négation de l’identité ».

— Selon vous, une telle perte d’identité découle-t-elle d’une décision collective, familiale, ou individuelle ou est-ce affaire des institutions ou de l’État ?

— Moi, je pense que nous sommes une société et qu’en tant que telle nous devons être attentifs aux politiques qui sont appliquées et comprendre d’où elles viennent. Ce ne sont pas les gouvernants qui prennent réellement les décisions, mais les multinationales : en fait, c’est une religion que l’on nous inculque à travers les messages de consumérisme.

— C’est ainsi que vous l’envisagez dans votre savoir-faire artistique et dans le mouvement de l’art dans le Haut-Balsas ?

— J’ai toujours compris l’art comme devant être porteur d’un message. J’ai pu voir de quelle façon les gens se battaient pour avoir un avenir meilleur. Cela m’a fait prendre conscience, de la même façon que lorsque mon père a été assassiné quand j’avais quinze ans. Dans un pareil cas, on se demande ce qu’il faut faire, on se demande pourquoi les coupables ne sont pas en prison ? L’art sert à nous guérir et à expulser tout ce malaise et cette révolte que l’on éprouve devant une telle situation.

« C’est comme ça que l’on va du personnel au familial, puis au communautaire », dit Nicolás.

Selon lui, l’art est aussi le reflet de sentiments intimes : « Je suis préoccupé par la construction du barrage de La Parota contre l’avis des habitants, par les indigènes emprisonnés à Ayutla, par les femmes qui luttent pour leurs maris à Rincón de Chautla. Je ressens de la rage et de l’impuissance. Un créateur n’a pas d’autre choix que refléter tout cela dans des images pour stimuler une prise de conscience. Dans bien des cas, les gens sont obligés d’obéir au cacique local ou à l’argent qu’impose le gouvernement pour acheter leur silence. »

À la question de savoir ce qui pouvait expliquer le recours à la violence, Nicolás de Jesús a répondu : « Comment se fait-il que le peuple doive se mobiliser et lutter au point d’employer la violence ? Parce que c’est à cela que pousse le gouvernement en refusant de satisfaire les exigences sociales. »

« En ce sens — souligne-t-il —, l’art est une catharsis, une libération du refoulé en même temps qu’un reflet du message de la société : il est à même de refléter les intérêts des puissants, la manière dont ils écrasent tous les autres. »

« On ne doit pas sous-estimer l’art, il a un certain pouvoir, nous possédons tous une grande force et si nous prenions conscience de la grande valeur que nous possédons, nous pourrions sortir de la situation dans laquelle nous sommes plongés. »

Une de ses gravures porte sur la lutte contre la privatisation du pétrole au Mexique, nous explique Nicolás de Jesús : « Là, par exemple, on voit un personnage maniant une machine qui déverse des crânes d’un tonneau semblable à un baril de pétrole, qui expulse en quelque sorte la mort ; à proximité, on voit des représentations de zapatistes, de l’organisation que les gens se sont donnée pour manifester contre cette privatisation. C’est un mélange de souvenirs personnels et d’évocations qui remontent à l’expropriation du pétrole en 1938. »

Parmi ses prochaines activités, une exposition tripartite Canada, Mexique et États-Unis consistant en un dossier sur le pétrole, dont l’inauguration est prévue le 10 octobre sur le port de la ville : il se compose de vingt et une gravures, sept par pays, dans lesquelles les artistes, en fonction du vécu de chacun, reflètent les problèmes et les inquiétudes issus de la production d’hydrocarbures.

Trampa global (Piège global)
(gravure de Nicolás de Jesús)

Dans l’exposition que nous avons parcourue, Nicolás de Jesús avait inclus deux gravures, dont l’une, intitulée Trampa global (Piège global), « représente une sorte de réseau qui nous tient prisonniers, situation à laquelle nous a conduits le gouvernement mexicain, sans compter l’ONU et la guerre inventée par les États-Unis contre l’Irak ».

Marisol Wences Mina
La Jornada Guerrero, 28 août 2008.
Traduit par Ángel Caído.

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