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Résistance au Catatumbo,
une lutte historique pour une vie digne

mercredi 9 octobre 2013, par Mochila Ambulante

Texte sur le soulèvement des paysans du Catatumbo, pendant l’été 2013, écrit par un étudiant de l’école organisée par le Tejido de Comunicación de l’ACIN qui participe maintenant à la Mochila Ambulante, média alternatif colombien.

Depuis quelques semaines un nom peu connu hante les médias et les couloirs des institutions gouvernementales et des organismes internationaux. Il s’agit du Catatumbo, une région de Colombie, au nord-est, dans le nord du département de Santander, où naît la rivière qui porte son nom, qui court tout au long des montagnes de la cordillère orientale colombienne et débouche sur le lac de Maracaibo, au Venezuela.

On dit que l’origine du mot catatumbo proviendrait de la langue catatumbari qui signifie Lumière constante du ciel, ou, selon une autre version, du nom d’un arbre y qui pousse, le catatú. Quelle est l’importance de ce territoire ? Pourquoi a-t-il été le centre des débats du pays ces derniers mois ?

La réponse est claire, même si elle n’est pas simple. Les paysans de ces montagnes mènent une grève avec blocus des routes depuis presque un mois. Ils se sont mobilisés par désespérance, à cause de la faim, à cause de la stigmatisation et de la violence qui leur est infligée depuis plus de cinquante ans, quand des centaines de colons-paysans provenant des régions voisines et des autres zones du pays sont arrivés dans ces montagnes et forêts chaudes.

Cependant, ces terres sont exploitées depuis bien avant. Durant la première invasion européenne, les Bari, peuples originaires de cette zone, ont mené une dure résistance contre les Espagnols, résistance qui a duré presque deux siècles, jusqu’à ce que l’invasion idéologique et mentale réussisse à les enfermer dans les centres coloniaux où ils furent évangélisés. Ce qui a eu pour résultat la destruction à petit feu de leur tissu social, décimant leur population et mettant en péril leurs traditions culturelles.

Toutefois, durant le XXe siècle, le Catatumbo a été violemment envahi. Le général Rafael Reyes, président de Colombie, concéda au général Virgilio Barco Martinez les terres du Catatumbo, celles étant supposément des « Friches nationales », une figure juridique appelée plus tard la « Concession Barco ». Mais cette concession ne s’est pas faite avec des fleurs et des cadeaux... ou peut-être quelques-uns... Ils ont offert des bombes et des balles aux indigènes barí qui résistaient avec leurs flèches et leurs dards, pendant que les habitants et les communautés étaient bombardés et mitraillés par les avions du « progrès ».

Puis, les explorations pétrolières ont commencé, avec elles l’exploitation du pétrole brut et l’enfer pour les habitants du Catatumbo. À ce jour, quatre-vingt-trois ans ont passé sans que soit améliorée la vie des catatumberos et catatumberas.

Avec l’exploitation pétrolière est arrivée la colonisation, et des centaines de familles paysannes ont commencé à défricher la forêt, à monter leurs fermes et établir leur vie dans ces montagnes et forêts. C’est de cette manière que la population paysanne commence à s’implanter dans la zone, laboure la terre, cultive la yuca (sorte de manioc), les bananes légumes, maïs et fruits qui leur suffisent à peine pour survivre, car malgré les grandes richesses que l’on trouve sur ce territoire, ses habitants n’ont rien vu d’autre que la pollution et l’ignorance de l’État et des entreprises d’exploitation.

Dans les années 1980 les mouvements insurgés se sont installés dans la région, historiquement en lien avec les zones de colonisation et les économies déclarées illégales par l’ordre en place. Présence qui s’enracine dans les montagnes et les forêts du Catatumbo, à travers les guérillas des FARC, de l’ELN, en plus, selon ce qui se dit, d’une dissidence de l’EPL démobilisée aux débuts des années 1990.

Par celles-ci, les cultures de coca se sont généralisés, surtout sur les communes montagneuses, où cette plante est largement cultivée et de laquelle vivent des milliers de paysans, car les productions de cultures vivrières et d’autres produits agricoles sont difficilement commercialisées étant donné que les prix sont décidés par un intermédiaire ou commerçant, profitant du fait que les routes et l’infrastructure en général de la zone sont réellement précaires. Une preuve de plus que l’exploitation par les multinationales et les grandes entreprises capitalistes n’amène rien d’autre que la pauvreté aux habitants des terres exploitées et richesse et « prospérité » pour les propriétaires terriens et industriels.

Des dizaines d’années d’exploitation n’ont laissé que pauvreté et violence pour les habitants. Dans cette région, les rivières abondent mais l’eau n’est pas potable car elle est polluée par l’exploitation pétrolière, à cela s’ajoutent la contamination et la désertification de la terre qu’engendre l’agrobusiness de la monoculture de palme (pour l’huile) qui s’est implantée suite aux massacres et incursions paramilitaires des années 1990 et 2000.

Car durant ces années-là sont arrivées la terreur démesurée et la tronçonneuse néolibérale qui veut s’approprier et expulser les paysans du Catatumbo, pour permettre l’entrée des monocultures de palme. Monocultures qui ont principalement bénéficié à Carlos Murgas, ministre de l’Agriculture de Pastraña, qui s’est enrichi avec les terres qu’ont habitées autrefois plus de onze mille paysans assassinés lors de plus de soixante massacres et d’assassinats sélectifs, en plus des centaines de milliers de déplacés qui ont dû fuir de leurs parcelles, terrorisés par les sévices et la cruauté avec laquelle ils furent dépossédés de leurs terres pour que s’installe le grand capital. Toute cette vague de violence et d’expropriation a commencé à la fin des années 1990, quand le Bloc Catatumbo des Autodéfenses unies de Colombie (AUC, paramilitaires) est entré dans la région sous les ordres de Salvatore Mancuso, lequel a admis et raconté, en version libre, les crimes susmentionnés.

C’est précisément après l’installation du paramilitarisme au Catatumbo que la foire aux terres pas chères a commencé et que le business agro-industriel s’est développé de manière vertigineuse. La vieille stratégie du capitalisme, de génération de richesse par l’expropriation de tiers, la fameuse accumulation par dépossession, ouvrait un nouveau chapitre au Catatumbo.

Mais ce n’est pas un cas isolé. Dues à l’action de groupes paramilitaires, particulièrement dans le nord et l’est du pays, les monocultures se sont étendues, créant une espèce de ceinture composée principalement par la palme qui va depuis l’Uraba jusqu’à l’ouest et jusqu’au Catatumbo, sur la frontière avec le Venezuela, en passant par le Magdalena Medio, les monts de Maria et le sud de Bolivar, lieux qui ont été particulièrement affectés par la violence contre les mouvements sociaux et les paysans qui a ouvert la porte à l’instauration des monocultures, entre autres, d’un bout à l’autre du pays.

La grève

Comme en 1985, 1986, 1996 et 1998, les paysans ont recommencé à s’organiser, à hausser la voix et à se manifester par des actions directes après des dizaines d’années d’abandon étatique. Encore une fois, la seule manière d’être écouté a été le blocage des routes et la grève. Plus de treize mille paysans se sont mobilisés sur deux endroits dans le nord de Santander, Ocaña et Tibú. Le premier endroit : une commune par laquelle passe l’unique route jusqu’à la côte caraïbe ; le second : un des endroits les plus proches de la République bolivarienne du Venezuela.

Les premiers jours du blocage, des routes d’accès et de sortie de ces communes ont été bloquées par les paysans, qui exigent la déclaration de la Zone de réserve paysanne du Catatumbo, la détention immédiate et indéfinie des éradications forcées et violentes des cultures de coca par les forces publiques et un investissement social adapté à la région, en plus de l’arrêt de la stigmatisation, persécution et emprisonnement des paysans qui cultivent et récoltent les feuilles de coca.

Des millions d’hommes et de femmes se sont mis en marche et maintiennent les routes bloquées dans cette partie du pays, ce sont pour la majorité des jeunes orphelins de la guerre attisée par les groupes armés de la région, en particulier des victimes des dizaines de massacres et des milliers d’assassinats et de disparitions causés par le paramilitarisme, qui a permis au grand capital de se faire sa place dans ce coin du pays.

Les paysans ont trouvé une voie de communication et d’action politique, il s’agit de l’Ascamcat, l’Association paysanne du Catatumbo, qui regroupe de manière organisée les deux cents hameaux des sept communes qui composent le territoire du Catatumbo (El Tarra, San Calixto, Tibú, Hacarí, Teorama, El Carmen et Convención). L’Ascamcat est née en 2005 « en tant que proposition associative de reconstruction du tissu social dans l’idée de créer des conditions de vie dignes pour les Catatumberos, qui se sont regroupés de nouveau pour la défense permanente du territoire ; le respect des communautés indigènes, des anciens, des enfants et l’éradication des acteurs socio-économiques qui ont amené à la culture de coca ; la défense des ressources naturelles et la protection de l’environnement ; la récupération de nos traditions culturelles, la participation à la prise de décisions qui sont en jeu dans les campagnes, le respect à la vie et en général la défense des droits fondamentaux des habitants du Catatumbo ». L’Ascamcat s’est fondée pour canaliser la lutte pour la terre et pour que les paysans et paysannes restent sur leur territoire, dans le Catatumbo.

Ce fut un processus de formation dur et complexe, étant donné qu’après l’assaut des paramilitaires le tissu social de la paysannerie de la région, comme dans beaucoup de régions du pays, a été pratiquement détruit, la peur et l’inaction politique et sociale se sont converties en dominateur commun des campagnes colombiennes, et même de beaucoup de villes.

Après la « démobilisation » des groupes paramilitaires du Catatumbo en 2004, la violence a diminué et a permis aux paysans de se réorganiser. Cependant, de nombreuses terres où se trouvaient leurs fermes sont maintenant d’immenses plantations de palme, des milliers d’hectares, jusqu’à l’horizon, comme des lignes de soldats, pareils à ceux qui massacrèrent la paysannerie du Catatumbo durant des années.

La palme africaine est apparue comme le fer de lance des nouveaux commerces des classes dominantes des différentes régions du pays, et le Catatumbo n’y a pas échappé. Des milliers d’hectares que les paramilitaires ont arraché aux paysans dans le sang, par le feu, la torture, les tronçonneuses de la mort et les fours crématoires, dans l’unique but de remplir les poches des « gens bien », « entrepreneurs » et qui fait de ce pays la « Colombie de la passion ».

Comment a commencé la grève ? Suite à l’assaut militaire appelé « Plan de consolidation » , les paysans se sont convertis en cibles pour les forces armées, qui les voient comme des délinquants et des « terroristes » parce qu’ils cultivent la coca, travaillent et vivent de celle-ci. Ce qui a provoqué — dans le contexte des éradications forcées et violentes réalisées par la force publique, comme l’arrosage au glyphosate et l’éradication manuelle — des arrestations de paysans sous prétexte de narcotrafic et dans le cadre de la loi 30, charges auxquelles s’ajoutent les montages juridique pour les accuser de rébellion. Mais cela n’est qu’un prétexte pour expulser les paysans de leurs terres et dépeupler le Catatumbo pour ouvrir la voie aux industries minières du gouvernement Santos, étant donné qu’en plus d’être un territoire où a été exploité pendant plus de quatre-vingts ans le pétrole, qui n’a provoqué rien d’autre que la misère, l’industrie minière à grande échelle est en train de s’implanter, en particulier le charbon, car, selon ce qui se dit, il s’y trouve des réserves pour créer une mine encore plus grande que celle du Cerrejón. C’est-à-dire la possibilité de creuser un énorme trou qui pollue les alentours et tue toute forme de vie mais qui remplit de milliers de millions les poches des « entrepreneurs » colombiens et étrangers pro « croissance économique » et « développement » du pays.

La campagne sans paysan est l’objectif du capitalisme national et transnational, ce qui motive la guerre qui sévit depuis tant de temps sur ce territoire. C’est aussi ce qui légitime la grève et la lutte de la paysannerie. Et d’ailleurs beaucoup seront contrariés de voir tant de jeunes qui bloquent les routes, brûlent des pneus, jettent des pierres et se battent à coups de bâton contre la police antiémeute Esmad.

Les habitants de ces terres sont depuis un mois en grève et réclament seulement un traitement digne, en tant qu’habitants d’un territoire qui peut apporter énormément à la société, mais à condition que l’on respecte leur culture, leurs façons d’être et d’exister. Cependant, le gouvernement colombien considère ces territoires seulement comme des réserves de richesses pour enrichir les patrons qui font croître l’économie du pays (selon eux), et le peuple comme un obstacle pour développer à toute vitesse les projets et commerces qu’ils ont en vue au Catatumbo. C’est la raison pour laquelle ils traitent de manière criminelle et militaire les paysans, qui font l’objet de menaces, persécutions et arrestations. Les paysans du Catatumbo sont stigmatisés parce qu’ils cultivent la coca, mais l’État ne leur donne rien, et sa présence se fait uniquement à travers les armes et la violence qui fait des paysans des sans-terre et des taulards.

Les paysans se sont donc soulevés, car leurs besoins passent en premier et les obligent à se manifester comme ils peuvent. Mais leur mouvement n’est pas une coquille vide : au début un panel de dix exigences a été revendiqué, ce qui aujourd’hui a été regroupé en quatre éléments clés pour les paysans.

En premier lieu, la constitution de la Zone de réserves paysannes du Catatumbo. Cette figure territoriale est encadrée par la loi 160 de 1994, qui établit la création desdites zones pour l’endiguement des latifundios et la stabilisation de la colonisation paysanne et de la frontière agraire, c’est-à-dire freiner l’expansion de celle-ci dans les territoires protégés, comme les parcs naturels et les réserves forestières, et garantir l’accès à la terre pour les paysans pauvres et exclus qui, dans beaucoup de régions du pays, sont ces mêmes colons qui ont été déplacés par la violence qui s’est perpétuée pendant des dizaines d’années contre la paysannerie colombienne.

Le deuxième point est la mise en marche et le financement adéquat du plan de développement durable de la Zone de réserves paysannes du Catatumbo. Document qui a été produit par les paysans et même financé par le gouvernement par l’intermédiaire de l’Institut colombien du développement rural Incoder. Avec ce plan, les paysans ont exprimé leur situation sociale, économique et politique, et, sur cette base, ont construit leurs projets de vie sur les territoires qu’ils ont travaillés et habités durant des générations, dans le but de garantir une vie digne à leurs enfants et petits-enfants dans le futur.

Le troisième point concerne l’éradication des cultures de coca. Les paysans exigent que le gouvernement subventionne d’un montant de 1 500 000 pesos mensuels, durant deux ans, les familles qui ont été affectées par les politiques qui ont permis l’envahissement de leurs parcelles par les pesticides, les laissant, entre autres, sans production vivrière, et engendrant une crise alimentaire, la criminalisation, persécution et emprisonnement de nombreux paysans, qui sont accusés de narcotrafic et de rébellion.

Toute cette politique est encadrée par le fameux Plan de consolidation. Pour le Catatumbo, une des sept zones stratégiques pour l’exploitation des ressources naturelles au service du grand capital, tout est défini dans le document Conpes 3906 qui établit la politique et la route de financement du plan en question. Celui-ci a deux composantes fondamentales : la militaire qui est centrée sur l’augmentation de la présence militaire et policière dans la région, avec la construction de nouvelles bases, avec des militaires américains en provenance d’Irak et d’Afghanistan pour conseillers, afin d’intensifier la guerre dans la région et contrôler les territoires qui feront l’objet d’exploitations minéro-énergétiques, d’implantation de monocultures et la construction d’infrastructures dirigées par l’Armée nationale de Colombie. De fait, il existerait des réserves de charbon et d’autres minéraux dans le Catatumbo, qui permettraient l’exploitation d’une mine à ciel ouvert, plus grande et productive que le Cerrejón. Tout cela s’accompagne d’une composante sociale qui sera aussi exécutée par les force armées et comprend la construction de mégacollèges, de centres culturels et sportifs, de télécommunications et de routes.

Enfin, comme les problèmes du Catatumbo ne concernent pas seulement les paysans, mais aussi la population en général, les besoins des habitants de la zone urbaine de Tibú, dont les conditions de vie sont aussi complexes, font également partie des revendications. Il est proposé de donné priorité à certains projets dans différents secteurs comme les infrastructures, la santé et l’éducation. Cette proposition inclut la construction d’un hôpital de niveau 3, la mise en service, le goudronnage et l’agrandissement des routes d’accès à Tibú par La Gabarra.

Tout cela est exposé dans le brouillon de l’accord proposé par le mouvement paysan du Catatumbo. Toutefois le gouvernement, à travers ses vice-ministres et hauts conseillers, a fait la sourde oreille durant un mois aux exigences de la paysannerie, répondant par la violence et les balles aux manifestants ; stigmatisant et persécutant les porte-paroles de la paysannerie. Causant la mort de quatre paysans assassinés par la force publique dans la commune d’Ocaña, et la persécution médiatique et politique, qui cherche à délégitimer la lutte et à envoyer en prison les leaders de la mobilisation, en particulier le compagnon César Jeréz, porte-parole des paysans et membre de l’Anzorc, Association nationale des zones de réserves paysannes, qu’ils ont accusé sans preuve ni justification aucune d’être un guérillero. Mettant en cause sa légitimité en tant que porte-parole parce qu’il est professionnel de géologie et qu’il a étudié dans l’ex-Union soviétique, et mis sa formation et ses connaissances au service de ceux qui le nécessitaient le plus.

La guerre politique est attisée et maintenue par l’ordre établi qui n’accepte pas d’autres formes d’être et de vivre, différentes de celles imposées par le capitalisme au niveau global, et c’est pour cette raison que ceux qui s’opposent à sa dictature font l’objet de persécution et d’emprisonnement. Il est temps d’accompagner le peuple du Catatumbo qui depuis des années a été exclu et réprimé. Il est temps de revendiquer les droits des paysans qui réclament juste de vivre en paix dans des conditions dignes, et une justice sociale.

La Mochila Ambulante
Tibú, nord de Santander,
16 juillet 2013.

Source du texte d’origine :
Agencia Prensa Rural
Traduction en français :
Solidarité avec le peuple nasa

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