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Salut à toutes et tous d’Oaxaca, le 8 décembre 2006

vendredi 8 décembre 2006, par Manu

Salut à toutes et tous,

Je vous avais laissés vendredi 1er décembre alors que se déroulait la marche et je vous confiais mes doutes au sujet de la mobilisation. Ce jour-là, malgré la présence évidente de flics en civil dans la manifestation et des patrouilles de la PFP à proximité, cinq mille personnes sont descendues dans la rue, défiant la peur et le gouvernement pour réclamer la libération des détenus, la fin de la répression et l’éviction du satrape Ulises Ruiz. Depuis et jusqu’à aujourd’hui, la situation n’a pas vraiment changé ici par rapport à celle que je vous décrivais.

Même si la PFP a libéré le zócalo, sa présence dans le centre-ville est pesante et inquiétante et elle occupe toujours le Llano et le parque, mal nommé pour la circonstance, de l’Amour. Les patrouilles circulent dans toute la ville, dans les quartiers périphériques et dans les municipalités qui sont considérées dangereuses aux yeux de l’autorité. Les arrestations de sympathisants au mouvement se poursuivent jours après jours. Beaucoup d’entre eux se sont planqués et certains sont entrés en clandestinité. Radio Mapache, qui fait signer des pétitions pour demander sa légalisation, continue d’émettre des appels au lynchage et à la délation. Dans ce climat tendu de persécution et de répression, samedi dernier des inconnus ont mis le feu au palais municipal de Miahuatlan qui était aux mains de sympathisants de l’APPO (ceux-ci l’avaient déserté quelques jours avant devant l’arrivée de la PFP et des polices locales).

Des profs du secteur d’Ocotlan ont décidé de suspendre les cours dans 200 écoles de différents niveaux pour protester contre le harcèlement de la PFP et des corporations policières de l’État. Devant les menaces des paramilitaires et des groupes de sicaires payés par le PRI pour enlever et remettre aux autorités les profs impliqués dans le mouvement et pour demander la libération de cinq des leurs détenus à Nayarit, 4 500 maîtres d’école de la région des Cañadas n’ont toujours pas repris les cours. Lundi à Zaachila, des profs ont été détenus. Après l’incursion violente des flics à l’école primaire de San Isidro Zautla, dans la commune de Soledad Etla, des maîtres d’école ont été appréhendés. À Oaxaca, là encore, trois profs de la région de la Mazateca ont été capturés... Le leader de la section 22 du Syndicat national des travailleurs de l’éducation, Enrique Rueda Pacheco, qui vit planqué de crainte d’être détenu à son tour, ne reconnaît pas la répression et le harcèlement que subissent les profs, et disqualifie la grève que mènent les maîtres de la région des Valles Centrales. Ce qui permet au directeur général de l’Institut de l’État de l’éducation publique d’Oaxaca, Abel Trejo Gonzalez, d’affirmer qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas de persécution ni d’arrestation arbitraire ni non plus de chasse aux sorcières...

Des membres du centre de droits humains Yax’kin ont été suivis dans leurs déplacements par des flics en civil circulant dans des véhicules sans plaque d’immatriculation, ils ont été encerclés et pris en photos par les flics alors qu’ils sortaient de leur hôtel.

La Commission diocésaine de justice et paix et le Centre des droits humains Bartholomé Carrasco Briceño ont dénoncé le harcèlement et les menaces répétées dont sont victimes le mandataire de l’archevêché, Romualdo Wilfrido Mayrén Pelàez, et le curé de l’église de Siete Principes, Carlos Franco Lopez, pour leur soutien humanitaire aux blessés des manifestations précédentes.

Les familles des détenus se sont organisées en comité et ont manifesté dimanche dernier dans le centre-ville d’Oaxaca pour exiger la libération des prisonniers et le retrait de la PFP d’Oaxaca, puis, certaines d’entre elles se sont déplacées jusqu’à Nayarit, où elles ont renforcé un plantón (occupation permanente d’un espace public) devant le palais du gouverneur de l’État. Les autorités pénitentiaires en charge de l’établissement de moyenne sécurité de Nayarit refusent toujours aux familles et aux avocats d’avoir accès aux détenus pour éviter le scandale sur les méthodes qu’utilise l’État pour en finir avec les luttes sociales. Peu à peu nous parviennent des témoignages et nous savons que les détenus ont été cruellement torturés plusieurs d’entre eux ont eu les doigts brisés sous l’effet du supplice, d’autres encore ont subi des violences sexuelles ou ont été menacés d’être tués, de disparaître sans laisser de traces...

Une fois de plus, en totale violation des traités internationaux qu’a signés le Mexique, les autorités pénitentiaires de Nayarit refusent l’attention médicale aux détenus blessés (certains sont dans un état grave et ont besoin d’attention médicale). Parmi les 141 détenus qui ont été déportés jusqu’à Nayarit se trouvent 3 mineurs qui ont été déclarés formellement prisonniers et incarcérés en ce lieu en absolue infraction avec les lois qui les protègent, de même que les 34 femmes détenues dans cette taule qui est un établissement exclusivement masculin. En clair, les autorités se contrefoutent des lois et des règlements qu’elles ont elles-mêmes conçus. Les trois juges du Centre fédéral de réadaptation social de Nayarit ont fixé des cautions jusqu’à 4 millions de pesos pour la libération des prisonniers qui ont été accusés, sans investigation sérieuse sur leur culpabilité, de sédition, d’association de malfaiteurs, incendie, etc., des charges qui peuvent entraîner jusqu’à vingt ans de condamnation...*

La persécution la plus brutale, la torture, la fabrication de délits, l’emprisonnement, les disparitions, les meurtres comme réponses aux expressions de mécontentement, l’impunité et la protection aux répresseurs et aux assassins.

Si on te frappe tend l’autre joue... En début de semaine, à l’initiative de l’artiste bien connu Francisco Toledo, des écrivains, des intellectuels, des journalistes, des défenseurs des droits humains, des avocats et des représentants de l’Église catholique ont créé le Comité de libération 25 Novembre, qui se propose d’aider à la libération des prisonniers qui n’auraient pas commis d’acte de vandalisme, et qui n’auraient pas agressé les forces de l’ordre...

Lundi soir, à Mexico, quelques heures après que l’APPO eut annoncé que se tiendrait le lendemain le premier contact avec le gouvernement de Calderón par l’intermédiaire du tout nouveau secrétariat du gouvernement**, quatre conseillers de l’APPO ont été appréhendés en sortant d’une réunion (Flavio Sosa, son frère Horacio, Ignacio Gracia Maldonado et Marcelino Coache Verano, porte-parole de l’APPO et secrétaire général du syndicat indépendant du conseil municipal d’Oaxaca). Flavio Sosa, que les médias persistent à présenter comme le « dirigeant » ou le « leader » de l’APPO, a déclaré faire parti du PRD (quelques jours auparavant, on pouvait lire, dans une interview qu’il avait donnée, qu’il regrettait d’avoir démissionné de ce parti pour soutenir Fox durant la campagne présidentielle de 2000). Le message que fait passer le gouvernement avec l’arrestation des quatre conseillers de l’APPO qui étaient venus pour négocier est qu’il se sent suffisamment fort et qu’il réglera les problèmes sociaux et les protestations populaires en les criminalisant, en les réprimant, et en persécutant tous ceux qui n’adhéreront pas aux projets néolibéraux du pouvoir.

Le leitmotiv du gouvernement et de ses amphitryons résonne comme une menace : « Rien ni personne au-dessus des lois » (sauf pour eux-mêmes, leurs complices et leurs chiens de garde, bien entendu).

Oaxaca est un laboratoire d’expérimentation répressive dont les résultats pourront être étendus au reste du pays si besoin est.

Bon, et bien voila... je suis bien conscient que je vous ai dressé un bien sombre et déprimant tableau de la situation. Mais il est bien certain que les gens ici ne se sont pas soumis à l’ordre fascistoïde qui s’est imposé impitoyablement ; de plus, les problèmes de fond, sociaux et politiques, ne sont pas résolus et les revendications demeurent.

Dimanche prochain (le 10) une énième mégamarche est prévue pour exiger la destitution du despote, la libération des prisonniers, la réapparition des disparus, l’annulation des ordres d’appréhension et le retrait de la PFP d’Oaxaca. On y attend plusieurs centaines de milliers de personnes.

ATENCO, OAXACA,
NOUS TOUTES, NOUS TOUS !
À bientôt,
M, Oaxaca, vendredi 8 décembre 2006.

* Aux dernières nouvelles : les autorités pénitentiaires de Nayarit obligent les familles à signer un document dans lequel elles s’engageraient à retourner à Oaxaca après avoir visité leurs proches détenus (138 à ce jour).

** Le nouveau titulaire du poste est l’ancien gouverneur de Jalisco Francisco Ramirez Acuña, qui s’était fait remarquer durant le troisième sommet des chefs d’État et de gouvernement d’Amérique latine, Caraïbes et Union européenne, à Guadalajara en mai 2004, pour son zèle à réprimer les altermondialistes qui protestaient (détentions arbitraires, tortures, jugements injustes... certains sont encore en taule plus de deux ans après...).

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