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Trois lettres sur la situation en février 2000

lundi 28 février 2000, par SCI Marcos

Février 2000

À la presse nationale et internationale,
Mesdames et Messieurs,

Voici diverses lettres qui ne peuvent s’expliquer indépendamment et que je ne pense pas expliquer ici.

Chaque fois que Zedillo vient au Chiapas, l’armée amplifie ses patrouilles aériennes et terrestres. C’est logique, car ce monsieur n’est ni ne sera pas bienvenu sur ces terres. Le 20 février, nous avons bénéficié d’un intense va-et-vient d’avions, d’hélicoptères, de tanks, de camions et de troupes dans toute la zone que le baleineau gris Rabasa appelle « zone de conflit ». Nous pensions qu’il s’agissait d’une nouvelle visite conjugale de Zedillo au Croquette, mais non. Ce jour-là, ce fut Labatista et non Zedillo qui est venu répéter les morosités qui le caractérisent.

Un doute : la mobilisation des fédéraux, est-ce parce qu’ils considèrent Labatista comme leur « chef suprême » ? ou parce que Labatista est le candidat officiel ? Ou est-ce parce que les militaires ne trouvent pas où se cacher pour ne pas entendre les discours d’une campagne qui va, comme les avions des Forces aériennes mMexicaine sur les communautés indigènes, c’est à dire, au ras du sol ?

Bien. Salutation et que le drapeau où l’aigle dévore le serpent néolibéral vive toujours (au cas où vous l’auriez oublié, le 24 février est le jour du drapeau. De rien).

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, février 2000.

Lettre à don Fernando Benítez

Lettre 6.b.

21 février 2000.

À : don Fernando Benítez.

De : sous-commandant insurgé Marcos.

La mort se nomme comme n’importe qui lorsqu’elle arrive, et il n’y a pas moyen que tu y échappes... J’ai fait un rêve très rare.. Comme des diables et des animaux que je n’avais jamais vus... Mais ne crois pas que cela était mauvais... C’était des chevaux de fer qui labouraient les champs. (...) Ensuite quelques grandes jarres de pierre, remplies d’eau, pour regarder une infinité de champs que tu ne peux imaginer... des jarres aussi grandes que des collines, qui me paraissaient faites pour des bains de géants... Et je voyais que la terre était à tous... et que tous se regardaient contents... Je me disais : derrière quoi serai-je ? Serait-ce ce Mexique ? Et c’était le Mexique, c’était le Mexique, c’était le Mexique ! Ce fut alors que je me souvins...

Zapata, scénario cinématographique de José Revueltas.

Don Fernando,

C’est avec une douleur amère que nous avons appris votre décès. Il y a à peine quelques jours, je vous avais écris une lettre de félicitation pour votre anniversaire. Janvier avançait à peine que la Mar attira mon attention sur la note dans le journal où ils vous félicitaient pour votre anniversaire et, ensemble, nous nous sommes souvenus de la lettre de votre précédent anniversaire. Dans celle que je vous écris maintenant, je pourrais redire ce que vos très proches (et pas si proches) ont dû vous dire, mais je ne vais pas vous épuiser avec des choses que vous saviez et connaissiez. Destinées à l’origine à vous féliciter, ces lignes sont aussi maintenant pour vous souhaiter bon voyage.

Peut-être vais-je oser me rappeler, vous rappeler, que mes pères nous ont enseigné à lire (je ne parle pas d’alphabétiser, mais de lire) avec ce « toujours ! » de don José Pagés Llergo et, concrètement, avec ce supplément que vous dirigiez et qui s’appelait « La culture au Mexique ». Là, nous avons appris à lire Poniatowska, José Emilio Pacheco, le philosophe Monsiváis, et beaucoup d’autres. Là nous avons appris. Bien des années plus tard, nous avons trouvé vos pages sur « Les Indiens au Mexique », et votre passage dans d’autres suppléments culturels. Je ne sais s’il est encore temps, mais je voulais vous dire « merci » de nous avoir enseigné à lire. Vous êtes-vous proposé une fois d’apprendre à lire à quelqu’un ? Eh bien, c’est pourtant ce qui s’est passé, parfois les choses se font sans les avoir proposées.

Don Fernando, nous voudrions vous envoyer quelque chose, quelque chose de simple mais de très « nôtre ». Nous n’avons pas beaucoup de choses, don Fernando. En fait, ce que nous avons est très peu. La seule chose que nous possédions en abondance est la mémoire, et par elle, nous vous envoyons ce cadeau qui pour vertu qu’il n’occupera pas beaucoup de place dans vos bagages et vous servira pour rire de ce que quelques-uns uns appellent « mort ».

Pour vous le porter, arrive ce récit avec lequel nous essayons aussi de nous souvenir de ceux qui ne sont plus avec nous, mais qui l’ont été avant et rendirent possible qu’aujourd’hui nous soyons ce que nous sommes. Par lui, don Fernando, vous êtes maintenant nôtre, vous aussi.. Bon, allons y :

Ce jour...

À Pedro, six ans après, vingt-six ans après.

Je me souviens de ce jour. Le soleil ne cheminait pas droit, mais plutôt sur le côté. Je veux dire que... oui il allait d’ici à là, mais comme de côté, comme ça, sans se percher sur ce dont je ne me souviens plus maintenant comment cela s’appelait, mais une fois le Sup nous l’a dit. Le sol était comme froid. Bien, ce jour-là tout était froid. Enfin, pas tout. Nous étions chauds. Comme le sang ou quoi que ce soit que nous ayons à l’intérieur du corps, avec de la fièvre. Je ne me souviens pas comment a dit le Sup, « le zénith » ou quelque chose comme ça, en tout cas c’est lorsque le soleil arrive au plus haut. Mais pas ce jour-là. Plutôt comme s’il se déplaçait en se penchant. Nous avancions de même. Moi, j’étais déjà mort, couché ventre en l’air et je vis bien que le soleil ne cheminait pas droit, mais qu’il s’en allait de côté. C’est pour cela que le Sup écrivit : « Nous sommes les morts de toujours, mourant une autre fois, mais maintenant pour vivre. » Quand précisément nous nous mourrons tous ? Après je ne me souviens plus de la vérité, mais en ce jour où le soleil cheminait de côté, nous étions déjà tous morts. Tous et toutes, parce que des femmes marchaient aussi. Je crois que cela ne nous faisait pas peur de mourir, parce qu’en nous, nous étions déjà morts. Le matin de ce jour était un vomissement de gens. Je ne sais si c’est parce que la guerre commençait ou parce qu’ils virent tant de morts avançant, cheminant comme toujours, sans visage, sans nom. Bien, tout d’abord les gens couraient, ensuite ils ne couraient plus. Ensuite ils s’arrêtaient pour entendre ce que nous disions. Quelle idée ! Ils virent que j’étais vivant. Comme un crétin, j’allais me rapprocher pour entendre ce que disait un mort ! On penserait que les morts n’ont rien à dire. Car ils sont morts. Et le travail des morts est d’effrayer et non de parler. Je me souviens que sur mes terres, on disait que les morts cheminaient encore parce qu’ils avaient des choses en suspens et pour cela n’étaient pas tranquilles. C’est ainsi que l’on disait sur mes terres. Je crois que ma terre s’appelle Michoacán, mais je ne me souviens pas très bien. Je ne me souviens pas bien non plus, mais je crois que je m’appelle Pedro ou Manuel ou je ne sais qui, je crois qu’en soit, le nom d’un mort n’a aucune importance, puisqu’il est mort. Peut-être est-ce important lorsqu’il vit, mais déjà mort, non.

Au matin, nous avions pris la ville. À midi nous nous préparions à aller vers une autre. J’étais déjà couché au midi, mais je vis clairement que le soleil n’allait pas droit et je vis qu’il faisait froid. Je le vis mais je ne le sentis pas, parce que les morts voient mais ne sentent pas. Je vis qu’il faisait froid parce que le soleil était comme éteint. Très pâle, comme s’il avait froid. Tous marchaient d’un côté et de l’autre. Moi non, je restais couché sur le dos, voyant le soleil et essayant de me souvenir de ce que disait le Sup que l’on disait quand le soleil restait seul en haut, et c’est alors qu’il cessa de monter et commença à se laisser tomber de côté. Comme si sa peine le pénétrait et qu’il s’en allait se cacher derrière ces collines. Et lorsque le soleil s’en fut se cacher, je ne m’en rendis pas compte. Ainsi, comme j’étais, je ne pouvais tourner la tête, je pouvais seulement regarder par en haut et, sans me retourner, le peu que j’attrapais d’un côté et de l’autre. C’est pourquoi je vis que le soleil n’allait pas droit, mais de côté, comme avec peine, comme avec peur de se percher sur ce que maintenant je ne me souviens plus comment l’on dit ce que disait le Sup, mais parfois je me le rappelle pour un moment.

Je me suis souvenu tout de suite parce la pierre se fissura un peu et une fente se créa comme une blessure au couteau, et alors, je pus voir le ciel et le soleil se promener encore une fois comme ce jour-là. Une autre chose ne peut se voir. Couché comme je suis, c’est à peine si j’atteins le ciel. Il n’y a pas beaucoup de nuages et le soleil est comme pâle, où peut-être qu’il fait froid. Et alors je me souviens de ce jour où les morts que nous sommes ont commencé cette guerre pour parler. Oui, pour parler. Pour quelle autre chose les morts feraient-ils une guerre ?

Je leur dis que par cette fente on arrivait à voir le ciel. Il y passe des hélicoptères et des avions. Ils vont et viennent, chaque jour, parfois jusqu’à la nuit. Eux ne le savent pas, mais moi je les vois, je les vois et les surveillent. Je ris aussi. Oui, parce que, en fin de compte, ces avions et ces hélicoptères viennent là parce qu’ils ont peur de nous. Oui, je sais que normalement les morts font peur, mais ces avions et ces hélicoptères, ce dont ils ont peur, c’est que les morts que nous sommes, nous nous mettions à avancer de nouveau. Et je ne sais pas pourquoi tant de raffut, car enfin ils ne pourront rien faire puisque nous sommes déjà morts. Aucun risque qu’ils nous tuent. Peut-être est-ce parce qu’ils veulent se rendre compte et aviser à temps celui qui les commande. Je ne sais pas. Mais je sais que la peur se sent et que l’odeur de la peur du puissant est comme celle de sa machine, d’essence et de métal et de poussière et de bruit et... et... et de peur. Oui, la peur sent la peur, et ces avions et ces hélicoptères sentent la peur. L’air qui vient d’en haut sent la peur. Celui d’en bas, non. L’air d’en bas sent bon, comme lorsque les choses changent, que tout s’améliore et se fait très bien. L’espérance, c’est ce que sent l’air d’en bas. Nous sommes d’en bas. Nous et beaucoup d’autres comme nous. Oui, là est donc le problème : dans ce pays les morts sentent l’espérance.

Je vois tout cela par la fente et j’écoute tout cela. Je pense, et mes voisins sont d’accord (je le sais parce qu’ils me l’ont dit), qu’il n’est pas bon que le soleil avance de côté et qu’il faut le redresser. Parce que s’il chemine de côté, tout est alors pâle et frileux. Alors que le travail du soleil est de donner la chaleur, pas le froid.

Et s’ils m’inquiètent, eh bien je leur joue à l’analyste politique. Regardez, je dis que le problème de ce pays est qu’il n’est que pures contradictions. Ici donne un soleil pâle, et les gens insouciants vont et laissent faire comme s’ils étaient morts, et le criminel est juge, et la victime est en prison, et le mensonge est gouvernement, et la vérité est poursuivie comme une maladie, et les étudiants sont emprisonnés, et les voleurs sont en liberté, et l’ignorant étale sa science, et le savant est ignoré, et l’oisif possède des richesses, et celui qui travaille n’a rien, et le moins commande, et les plus obéissent, et celui qui a beaucoup a plus, et celui qui a peu a moins, et l’on récompense le mal, et l’on punit le bien.

Et pas seulement, ici en plus les morts parlent et cheminent et font des choses rares comme d’essayer de redresser un soleil qui a froid et le regarder seulement s’en aller de côté, sans arriver à ce point dont je ne me souviens plus comment il s’appelle, mais le Sup nous l’a dit une fois. Et je crois qu’un jour je vais me rappeler.

Bien, don Fernando, donc nous vous souhaitons d’être heureux et beaucoup plus. Recevez une accolade de nous tous et toutes, et une spéciale de cet anonyme disciple de la fenêtre que vous avez été et êtes dans la culture au Mexique. Portez-vous bien et ne nous oubliez pas. Il y aura toujours pour vous une fente dans notre mémoire.

Bien. Salutation et un jour les choses avanceront droit, les morts les redresseront sûrement.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, février 2000.

Lettre à don Pablo González Casanova

Lettre 6.c

Février 2000.

À : don Pablo González Casanova

De : sous-commandant insurgé Marcos.

Moi, qui ait une jeunesse pleine de voix,
d’éclairs, d’artères vives,
qui couché dans mes muscles, attentif à la façon dont court
et pleure mon sang,
à la façon dont mes angoisses affluent
comme des flux amers
ou comme d’épaisses dalles d’insomnie,
j’entends que se joignent tous les cris
tels une forêt d’étroits cœurs serrés ;
j’entends ce que nous disons encore aujourd’hui,
tout ce que nous dirons encore,
à force d’élancements graves,
par la bouche des arbres, par la bouche de la terre.

José Revueltas, Chant irrévocable.

Don Pablo,

Nous vous saluons tous et toutes. Pas seulement pour votre attitude courageuse des jours derniers, mais aussi pour elle. La ferme distance que vous avez marquée face à l’attitude violente et autoritaire de ceux qui sont à la tête du gouvernement et de l’UNAM compte beaucoup, surtout en ces temps où la congruité est un sarcasme et la dignité un malentendu.

Savez vous que le fait d’avoir été près de vous nous rempli de fierté. Votre « aujourd’hui » n’est autre que la confirmation de ce qu’a été votre vie. Déjà au temps où vous exerciez comme membre de la Commission nationale de médiation (Conai), vos paroles nous ont aidés à comprendre cette douleur que nous appelons « Mexique ». Déjà à la Conai, au côté de ses grands hommes et femmes qui la formaient, votre engagement dans la recherche d’une solution pacifique, juste et digne à la guerre, était ferme en tout temps. Par ici, j’ai lu que l’ex-secrétaire du gouvernement et aujourd’hui candidat officiel à la présidence, Francisco Labastida Ochoa, s’est plaint de ce que la Conai était « portée » d’un côté. Si les « côtés » étaient la guerre et la paix, il est évident que ceux qui formaient la Conai étaient « portés » du côté de la paix. Tant l’évêque Samuel Ruíz García, que doña Concepción Calvillo Viuda de Nava, les poètes Oscar Oliva et Juan Bañuelos et vous, vous vous êtes efforcés d’arriver à la paix dans le Sud-Est mexicain de la seule façon possible : avec respect, justice, dignité et vérité. Il est clair que le señor Labatista devra affronter beaucoup de Mexicains qui, comme vous, sont « portés » vers le côté des solutions pacifiques et contre l’usage de la violence.

Votre explicite et implacable condamnation de l’usage de la violence pour affronter les demandes du mouvement étudiant de l’UNAM n’est autre que la conséquence logique de ce que vous êtes en permanence. Nous sommes certains que votre exemple sera suivi par d’autres intellectuels qui, de leurs propres manières, feront savoir que l’usage de la violence comme argument de gouvernement ne le sera pas impunément, et, aux étudiants qui se trouvent aujourd’hui en prison ou poursuivis, que celui qui souffre d’une injustice n’est plus seul. Les uns et les autres devront écouter les voix et les pas que, « par la bouche des arbres, par la bouche de la terre », nous disons et dirons : liberté et dialogue.

Aujourd’hui, malgré les moyens électroniques de communication, une vague d’indignation populaire s’est levée pour exiger la liberté des universitaires prisonniers et la reprise du dialogue. Mené par les courageux pères de famille, ce mouvement incorpore le meilleur des organisations sociales, des partis politiques de gauche, des artistes et intellectuels, des religieux et religieuses, des gens, des universitaires. Leur objectif commun, ce qui les unit, est l’exigence de justice. Et cela, la justice, ne pourra être accompli tant qu’un seul des universitaires restera derrière les barreaux. Le meilleur de la gauche partisane l’a non seulement compris, mais est un de ces principaux moteurs.

À contre-courant de ce sentiment qui se traduit par une mobilisation, les moyens électroniques de communication prennent goût aux ressources que leur destinent les partis politiques pour la publicité de leurs campagnes, et croient qu’ils ont l’autorité morale, la légitimité, pour se convertir simultanément en procureur, juge, juré et bourreau de tous ceux qui n’ont pas de temps payé dans leur programmation. Vous l’avez subi dans votre propre chair, don Pablo, et des millions de Mexicains l’ont subi par leurs propres yeux et oreilles. À l’entrée du XXIe siècle, la télévision applaudit la double image du Mexique « démocratique » actuel : une université pleine de militaires et une prison remplie d’étudiants (l’intensité de la vie démocratique d’un pays se mesure à la quantité de spots publicitaires, pas au nombre de prisonniers politiques). Au pays de la télévision, la Carta Magna n’est pas la Constitution, mais la grille des programmes (qui facture la cacophonie en horaire triple A) et il n’y a pas de conseillers de l’IFE plus réels que les directions des actualités.

De cette façon, en dehors de l’horaire des feuilletons télé, les gens (ceux qui ne comptent pas s’ils n’ont pas un conseiller en publicité et autres techniques de marché) se bougent pour protester, comme vous don Pablo, contre la répression. D’après ce que nous avons pu lire dans la presse écrite, la marche du 9 février fut la plus grande de ces derniers temps. La clameur était une : liberté pour les prisonniers politiques. Il y a six ans, en 1994 et un 12 janvier, il y eut une grande mobilisation similaire. Comme aujourd’hui avec le mouvement universitaire et hier avec le soulèvement zapatiste, les gens descendent dans la rue pour se faire entendre.

Alors, dans ce janvier de sang et de poudre, nous avons dû décider de la façon de « lire » cette grande mobilisation. Nous pouvions la lire comme une manifestation en appui à notre guerre, comme un aval sur le chemin de la lutte armée que nous avions choisi ; ou nous pouvions la lire comme une mobilisation qui appuyait non pas notre méthode, mais nos demandes, et qui se manifestait contre la répression gouvernementale.

Nous sommes isolés, repliés dans les montagnes, chargeant nos morts et nos blessés, préparant le combat suivant. Ainsi, loin, très loin, et dans ces conditions, nous avons dû choisir. Et nous avons choisi de « lire » que ces gens dans la rue étaient contre l’injustice, contre l’autoritarisme, contre le racisme, contre la guerre, qu’ils étaient pour le dialogue, pour la paix, pour la justice, pour la solution pacifique de nos demandes. C’est ce que nous avons lu et cela a marqué notre chemin passé.

Aujourd’hui, le mouvement étudiant universitaire (et le CGH) affrontent une situation identique. Ceux qui le forment peuvent « lire » la mobilisation du 19 février comme une manifestation d’appui à la grève, ou comme une exigence de justice (en libérant les prisonniers) et de dialogue. Ce n’est pas la même chose.

Par la « lecture » choisie, le mouvement étudiant universitaire devra décider de sa suite. Ils choisiront et le feront bien. Ils ne sont pas isolés et ont l’intelligence et les ressources pour arriver à une lecture correcte.

Nous ? Comme toujours, don Pablo : à tous ceux et celles qui forment le mouvement étudiant, à leurs pères et à leurs mères, à leurs maîtres, à ceux qui les appuient et sont près d’eux, nous disons que nous les aimons, nous les admirons, ils vont gagner.

Pour tout cela, don Pablo, aujourd’hui, nous vous saluons. Vous et tous ceux et celles qui, comme vous, ont manifesté leur désaveu à l’entrée des militaires déguisés en policiers (« paramilitaires » au sens strict) sur le campus universitaire.

Nous savons que votre voix et votre démarche se sont unies à celles de tous pour ce que nous demandons, ce qui est urgent et nécessaire : la libération de tous les universitaires prisonniers.

Bien. Salutation et que jamais nous ne renoncions à l’espérance.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, février 2000.

P-S : D’ici, j’ai lu que les étudiants prisonniers ont demandé qu’on leur envoie des livres. Envoyez-leur celui qui s’appelle La Démocratie au Mexique. Il est tout aussi valable aujourd’hui qu’hier et il est de ces livres qui produisent des douleurs fertiles.

Lettre à René Villanueva

Lettre 6.d

Février 2000.

À : René Villanueva.

De : sous-commandant insurgé Marcos

René, frère,

Nous avons été informés par ici que tu étais malade. Sur ces terres, lorsque quelqu’un a un parent (parce que tu es parent de nous tous, les zapatistes) qui est malade, la coutume veut qu’on lui colle tous les remèdes possibles (et les impossibles aussi) pour qu’il guérisse. Comme le fait d’être malade est quelque chose de commun et fréquent dans ces montagnes, de tous côtés vont et viennent des recettes qui abondent en sirop, thé, potions, pastilles, vaporisateurs et, horreur !, piqûres. (Lucha, notre grande sœur à tous, possède un répertoire médical varié et bien réel qui ferait trembler les monopoles pharmaceutiques - de rien - Lucha, mais n’oublie pas de partager lorsque tu brevetteras tout cela.)

Bien que tu sois notre frère, nous ne pouvons te donner quelque chose. Encore moins si ce quelque chose est une piqûre, cet instrument sophistiqué de torture qui, bien que nous soyons entrés dans le troisième millénaire, n’a toujours pas été interdit, par aucune organisation mondiale qui soit. Ici, par exemple, Olivio a proposé que la consigne pour la marche des femmes zapatistes du 8 mars prochain soit « Chocolats, oui ! Piqûres, non ! ». Je lui ai dit que cela ne rimait pas, et il m’a répondu que les piqûres ne rimaient avec rien mais, qu’en échange, « chocolat (chocolates) » rimait avec « jouets (juguetes) ». (Olivio s’en va essayer de convaincre la Mar pour qu’elle mette sa consigne dans la marche des zapatistes.)

Non señor, nous ne pouvons te donner des piqûres. Sûrement des chocolats non plus. Non seulement parce que Olivio se les ait enfilés, mais aussi parce qu’ils sont sûrement fait avec de l’atole. Nous avons donc consulté notre livre spécial de médecine qui s’appelle « Remèdes et Recuartos » [1], et nous y avons trouvé quelque chose qui, bien qu’il ne te guérisse pas, ne va sûrement pas empirer ton mal (ce qui, en ces temps de « médecines modernes », est un avantage) : une accolade ! Cette accolade, nous te l’envoyons tous et toutes. On peut l’appliquer à discrétion, mais n’en abuses pas parce ce que cela peut provoquer une dépendance, et des accolades comme celle que nous t’envoyons, il y en a bien peu.

Voilà donc. Ne te fais pas tremper, prends tes médicaments sans faire la tête et soigne-toi, parce que ton absence et celle de Béatrice dans le « Courrier illustré » ont fait que le rating (cote) de ces pages est au ras du sol (je suis tombé, j’ai fait une étude trrrrrrrrès scientifique).

Bien. Salutation et n’oublie pas que les accolades doivent être comme les regards : larges et franches.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, février 2000.

Notes

[1Recuartos : jeux de mots, remedios = remèdes, mais, re-medios = re-demis, alors re-cuartos = re-quarts.

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