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Oaxaca

APPO ?... APPO ?... Quelle APPO ?

dimanche 27 septembre 2009, par Gustavo Esteva

Le sang coule encore à Oaxaca. L’incident à San Pedro Jicayán, une agression de membres du PRI contre des maîtres de la 22e section [du Syndicat national des travailleurs de l’éducation, SNTE] a mis l’indignation à fleur de peau, et on a vu à nouveau des manifestations et des barricades pour défier l’impunité, la répression, la destruction systématique de l’état de droit. Sur le papier, cette manche a été gagnée. Trahissant les siens, le gouvernement [de l’État] rendra 58 écoles à la 22e section, délivrera des mandats d’arrêt contre les agresseurs et décrétera la disparition des pouvoirs dans les municipalités concernées.

Tout cela est l’expression de la normalité nationale. Le jeu de dupes continue, l’hypothèse qui résoudrait la prétendue énigme de la permanence d’Ulises Ruiz au pouvoir. Plusieurs gouverneurs et Felipe Calderón lui-même doivent être en train de se dire : s’il a été possible de soutenir l’imprésentable Ulises, en serrant les rangs autour de lui, pourquoi pas moi ?

Rien de tout cela n’est une nouveauté. Mais l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), qu’est-ce qui se passe avec l’APPO ? Quelle APPO est à nouveau descendue dans la rue ?

On discute encore pour savoir si ce qui s’est passé en 2006 a été une simple révolte populaire, à présent éteinte, ou un mouvement de mouvements qui pourrait se réactiver n’importe quand.

Ça a été les deux. En 2006, le mécontentement a éclaté en une éruption spectaculaire. La répression a éteint l’éruption, mais le magma volcanique continue à bouillir dans les entrailles de la société, et il reste les traces de la lave qui a débordé lors de l’éclatement et s’est largement étendue.

La révolte a été l’expression de divers mouvements sociaux (ceux qui émergent du tissu social oaxaquègne et les manifestations locales de mouvements nationaux et internationaux). Ces mouvements s’articulent et se désarticulent continuellement, pour une grande variété de raisons et de circonstances. Celle de 2006 aura été une de leurs articulations les plus étendues et spectaculaires.

Caractériser l’APPO n’est pas une affaire théorique, mais pratique. Depuis qu’elle est née, elle est traversée par un conflit entre deux courants politiques et idéologiques qui s’expriment vigoureusement en son sein. Tous deux essaient de donner à l’APPO la configuration et l’orientation qui à leur avis sont appropriées. Et ainsi sont interminablement disputés ou adoptés des accords instables.

Pour cette raison et d’autres, l’APPO n’est pas parvenue à exister. Elle n’est ni une organisation ni un mouvement. Il n’est pas vrai que « c’est nous tous » : on n’y trouve pas tous ceux qui devraient en être, alors qu’y figurent des participants à l’existence réelle problématique. On ne peut pas non plus la réduire à ses mécanismes d’articulation.

Le courant orienté de façon traditionnelle vers la « prise du pouvoir » en a affronté à chaque pas un autre, extrêmement hétérogène. Issu de l’expérience des peuples indiens, et non d’un groupe d’illuminés, d’une idéologie, d’un dirigeant ou d’un parti, il était unifié par la méfiance vis-à-vis des schémas de sommet de l’action politique et des structures organisationnelles verticales et centralisées, ainsi que par un grand désenchantement envers les élections, la démocratie formelle et les institutions existantes.

Il essayait de projeter vers l’ensemble de la société la forme d’existence sociale et d’organisation politique des communautés indigènes. Il s’est articulé autour de l’assemblée, la figure qui a donné son nom à l’APPO, mais il ne la voyait pas seulement comme un mécanisme de prise de décisions ou un exercice rituel, mais aussi comme la composante centrale de la lutte elle-même et du régime politique qui en surgirait : c’était un dispositif qui évitait la séparation des moyens et de la fin, et qui maintenait l’exercice de l’autonomie dans tout le processus. Cela manifestait une exigence d’innovation qui n’a pu être satisfaite, mais qui a donné lieu à une constante expérimentation, en particulier en ce qui concerne la tension et la contradiction entre présence et représentation.

L’APPO a été jusqu’à présent une possibilité, une tentative. Elle n’a pas encore d’existence ni de réalité. Mais ce n’est pas un fantôme. À sa manière, bousculée et dispersée, ce que nous continuons d’appeler APPO exprime la vigueur et la vitalité d’une façon d’être et de penser qui constitue une tendance politique profondément enracinée parmi les peuples de l’Oaxaca.

Par son origine, en tant qu’intention et espoir, l’APPO tend à être une assemblée d’assemblées. Pour qu’elle le soit réellement, il faut d’abord que les communautés indigènes, les quartiers métis et tous les groupes qui forment le tissu social bigarré de l’Oaxaca d’aujourd’hui se constituent en assemblées capables d’exprimer convenablement la volonté collective, et que toutes ces assemblées se regroupent en une autre, qui les articule toutes démocratiquement, conformément au principe du Congrès national indigène : être réseau quand nous sommes séparés et assemblée quand nous sommes ensemble, et non suivant le principe de représentation. En chemin pourra disparaître le sigle pléonastique, entre autres pour contribuer à la réconciliation dans une société violemment polarisée.

Il faudra encore de grands efforts pour que toutes les volontés qui vont dans cette direction se généralisent et que toutes confluent dans l’APPO, c’est-à-dire qu’elles décident conjointement et simultanément de donner réalité à ce rêve amplement partagé.

Gustavo Esteva

Tribune parue dans La Jornada
du 9 septembre 2009.

Traduit par el Viejo.

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