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Association indigène du nord du Cauca, Colombie :
« Nous nous déclarons en résistance permanente »

jeudi 12 juillet 2012, par ACIN

À l’attention de l’opinion publique,
de la guérilla et du gouvernement national

Nous nous déclarons en résistance permanente jusqu’à ce que les groupes armés et l’armée s’en aillent de chez nous. Nous sommes chez nous et nous n’allons pas nous en aller, ceux qui doivent s’en aller sont les groupes armés et armées, légaux et illégaux, qui sèment la mort dans nos territoires.

Plus de quatre cents prises de Toribio [1] par la guérilla, en plus des morts, des blessés, des déplacés, des maisons détruites, des champs minés, des récoltes perdues, des étudiants sans école, de la douleur, la tristesse, des orphelins, des veuves, des menaces, des fausses accusations et de toutes sortes de violations qui œuvrent contre la vie, les normes, la dignité et la justice. Ce sont des raisons suffisantes pour dire : Assez de la guerre, assez des groupes armés et armées quels qu’ils soient, assez des violations, assez de l’invasion de notre territoire !

Laissez-nous tranquilles, laissez-nous en paix, seigneurs de la guerre ! C’est ce qu’exigent les communautés et les autorités indigènes du peuple nasa, dans le cadre de leur mandat, des groupes armés et armées qui combattent au milieu de la population civile depuis plus d’une semaine sur la commune de Toribio, Cauca.

Nous n’allons pas rester les bras croisés à regarder comment ils nous assassinent et détruisent nos territoires, nos communautés, nos plans de vie et notre processus d’organisation, et c’est pour cela que, avec la parole, la raison, le respect et la dignité, nous avons commencé à marcher en groupes jusqu’aux endroits où se cachent les groupes armés, pour leur dire, en face, dans le cadre de notre autonomie, que nous exigeons qu’ils s’en aillent, que nous ne les voulons pas, que nous sommes fatigués de la mort, qu’ils se trompent, qu’ils nous laissent vivre en paix.

Nous commençons aujourd’hui par Toribio, mais les gens se préparent à agir de manière pacifique dans tout territoire où sont présents les groupes armés et l’armée. L’idée est que les journées se déroulent de façon alternée dans toutes les communautés. Évaluons l’impact de la résistance à Toribio et agissons de nouveau si nécessaire jusqu’à ce que tout le territoire soit en harmonie.

Comme il s’agit d’une action risquée due au contexte actuel, nous exhortons la force publique et la guérilla installée dans la région pour qu’elles cessent les opérations militaires afin d’éviter de faire courir des risques aux personnes qui parcourent les localités, les bases et campements militaires.

Étant donné que Toribio est un des resguardos (réserves) qui est sous le coup de mesures de précaution déclarées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme depuis le mois de septembre, l’ACIN et les autorités indigènes tiennent pour responsable le gouvernement national et les commandements de la guérilla des FARC de ce qui advient de la population, car il n’y a eu aucune mesure de protection adéquate et les mesures sollicitées par la CIDH n’ont pas été respectées.

Cxhab Wala Kiwe - Territoire du Grand Peuple
Asociacion de Cabildos del Norte del Cauca, ACIN.
Santander de Quilichao
Cauca, 8 juillet 2012.

Maintenant c’est clair : ils veulent nous exterminer

Les choses n’ont jamais été aussi claires dans le nord du Cauca, en Colombie. Jamais. Nous avons manifesté, nous nous sommes mobilisés, avec toute notre force et notre conviction pour exiger que les acteurs armés s’en aillent du territoire. Lors de mobilisations, d’assemblées et d’audiences publiques, nous avons dénoncé les abus que commettent l’armée, la police, les paramilitaires et la guérilla sur tout le territoire. De plus, encore une fois, nous avons signalé et réitéré une vérité qui a orienté la Minga de résistance sociale et communautaire et qui devient encore plus évidente aujourd’hui lorsqu’ils convertissent notre territoire, par le biais de la terreur et de la guerre, en une Zone de consolidation, pour les intérêts d’exploitation des multinationales : cette guerre, d’où qu’elle vienne, a des motivations et bénéfices économiques. Ils nous exproprient pour nous forcer à partir, pour voler la Mama Kiwe (Terre Mère) et sa richesse, pour la soumettre et la tuer afin d’en finir avec notre processus et notre histoire sur ce territoire.

La dernière fois que nous l’avons déclaré ce fut à Miranda. Nous avons exigé du gouvernement qu’il retire ses bases militaires de la région. Le ministre de la Défense (des intérêts transnationaux) nous a répondu en nous accusant devant le monde entier d’être des guérilleros, des complices des terroristes et annonça qu’il ne retirerait pas les bases. De son côté, la guérilla a répondu au ministre et à la communauté mondiale en attaquant Jambalo, Toribio, Miranda, Cerro Tijeras, tout en continuant ses actions dans tout le nord du Cauca et dans tout le Cauca. En ce moment même, les habitants de ces communautés ont été déplacés de force, du fait de la menace proférée par les FARC : ils doivent s’en aller avant midi ou assument les conséquences. La réponse de fait de la guérilla au ministre de la Défense est claire et simple : ne retirez pas les bases, Monsieur le Ministre, il est justifié que vous les mainteniez. Il est nécessaire que votre armée reste en terres indigènes, qu’elle tue, maltraite, viole et vole car le prétexte nous le fournissons nous-mêmes, la guérilla des FARC. Un prétexte fait de balles et de bombes. Un prétexte fait de mort. Vous attaquez les indigènes et les accusez d’être des guérilleros, nous vous répondons et attaquons également les communautés indigènes, et si elles ne sont pas contentes, nous les accusons d’être des traîtres et « collabos », comme vous.

Ici tout est clair. Notre Cxab Wala Kiwe (Territoire du Grand Peuple), en vertu des plans économiques de spoliation et de destruction de la résistance et des peuples ancestraux, est devenu un véritable théâtre d’opérations militaires dirigées contre nous, par les bandes de combattants, afin de nous accuser, nous dénoncer, nous maltraiter, refuser notre présence et notre processus d’organisation, nous expulser et nous exproprier. En ce moment même se concrétise, selon les plans du Pentagone et du Plan Colombie, la transformation de ce qui a été notre foyer depuis des milliers d’années, en un espace contrôlé par des militaires s’emparant du pouvoir corporatif. L’État et la guérilla mettent fin à notre résistance et à notre processus millénaire, afin d’offrir ces terres aux intérêts économiques. Ils sont en train de nous tuer.

Mais il n’y a jamais eu seulement la guerre et la terreur, pas plus qu’aujourd’hui. En plus des mensonges et des tromperies des médias de masse et de la propagande que personne ne peut plus croire, il y a les politiques, les projets, la cooptation cachés derrière de nombreux masques et derrière les lois. Ils gouvernent, depuis le niveau local municipal, en passant par des programmes et des projets d’infrastructures, de santé, d’éducation, de développement économique, qui seront écrasées par les locomotives de l’expropriation. Sur notre propre territoire, alors qu’ils nous finissent à coups de balles et de terreur, ils implantent à l’intérieur et par le biais de nos organisations et communautés, à travers les plus diverses charges et fonctions, des projets d’expropriation sous couvert de bien-être et d’aide humanitaire. Ils profitent du fait que nous soyons occupés à demander des subventions et à organiser des activités, pour consolider leur plan d’expropriation. Cette forme d’institutionnalisation de notre processus fait partie du Plan de consolidation du gouvernement et de la guerre pour la spoliation qui nous fait disparaître en nous transformant en cible des intérêts étrangers. Pendant que nous sommes occupés à refuser la guerre, cette stratégie, plus efficace et perverse, nous exproprie de manière invisible et sans résistance. Les institutions qui profitent ou servent ces intérêts, d’où qu’elles viennent, exercent le « droit » de tout voler, et en trompent plus d’un ici, qui continuent de se battre pour des subventions accordées par ceux qui nous exproprient, tout en les présentant comme un bénéfice au nom de la résistance indigène, ou comme un soutien vital et urgent pour défendre les victimes. Ils nous rendent dépendants, victimes et incapables afin de nous empêcher de continuer à résister et à construire nos Plans de vie. C’est la colonisation de toujours, à travers le modèle actuel.

Bien sûr cet abus ne se produit pas seulement dans le nord du Cauca. Les Zones de consolidation ont été définies depuis longtemps dans le Plan Colombie, et vient le moment de leur application. Il s’agit d’un calendrier à long terme afin de semer la mort et le mensonge et institutionnaliser la spoliation dans tout le pays, mais c’est aussi le principal produit d’exportation colombien dans le monde, puisque, en ce moment, ils agressent violemment les indigènes, par exemple dans le Wallmapu, à Santiago del Estero, Salta et Tucuman (Argentine) par des répliques grossières et évidentes de ce qui se fait ici. Pendant qu’au Mexique, où ils appliquent le Plan Colombie sous un autre nom, ils imposent la terreur et truquent l’élection présidentielle (encore), en Bolivie le peuple s’élève contre le projet de route du TIPNIS (encore). À Cajamarca (Pérou), les policiers à la solde des transnationales minières ont assassiné cinq personnes faisant partie de « ¡Conga no va ! », la coalition populaire pour refuser le projet minier de Yanacocha ; cette guerre intégrale les extermine de la même façon que nous. Au Paraguay, les transnationales avec le soutien du Commandement Sud (États-Unis) ont fomenté le coup d’État, afin d’accéder aux ressources en eau, aliments, minéraux et biens collectifs du Cône Sud. Dans ces pays et ces communautés, ils résistent. Les gens prennent la rue. La conscience croît et la solidarité est appelée à se transformer en initiative de résistance. Voilà ce qu’il se passe, pendant que, de son côté, en Colombie, le gouvernement fait passer une résolution par laquelle il livre près de vingt millions d’hectares aux entreprises minières internationales.

Depuis que nous avons compris tout ça nous savons que les peuples et les processus populaires ont un droit sacré et essentiel. Le droit à résister, à défendre nos formes de vie, nos cultures, notre identité. Avant, nous devions mettre à profit toutes nos capacités et notre unité, pour éviter qu’ils convertissent notre territoire en théâtre d’opérations militaires et institutionnelles, tout en niant notre présence et nos droits. En nous transformant en victimes. Aujourd’hui, face à ces discours d’assassins qui nous méprisent, investissent nos maisons, nous expulsent de notre territoire et nous tuent, nous devons nous refuser à disparaître. Nous devons redevenir le « Grand Peuple » chez nous. Quiconque, à l’intérieur ou à l’extérieur de notre processus, a des intérêts différents de notre droit sacré à résister, quiconque a des intérêts différents de ceux de résister à ce Projet de mort au service de l’accumulation, rejoint le discours des violents, profite de notre mort et de notre souffrance dans le but de faire des bénéfices.

Comme on l’a entendu il y a peu de temps, il s’agit de la « Bataille finale du Cauca ». Une bataille entre eux, ceux qui gagnent par la guerre ou se complaisent dans le commerce, contre nous, les communautés, les membres de celles-ci, les peuples du monde qui revendiquons notre présence et notre Plan de vie. Nous nous sauvons du commerce, des balles et des mensonges, et nous prouvons que nous sommes toujours là, où nous avons toujours été, que nous sommes de cette terre et que nous continuerons d’être avec elle, que tous les acteurs armés doivent s’en aller, les profiteurs et les ennemis de l’héritage du peuple nasa. Notre résistance n’est pas une marchandise et n’est pas absente. Elle est nous-mêmes. Elle est la même, à notre façon, du fait de notre culture, que défendent les peuples de tout le continent et du monde. Avec l’angoisse et la douleur que nous inspirent ces paroles, alors qu’ils nous attaquent et nous volent, nous faisons cette déclaration et la diffusons : nous appelons toutes et tous à résister, à expulser de nos terres ceux qui nous exterminent. Tant que nous aurons la parole, nous continuerons à lutter contre la colonisation et pour notre véritable autonomie.

Tejido de Comunicación - ACIN

Notes

[1Toribio est un chef-lieu municipal de 26 000 habitants dans le nord du Cauca (note de « la voie du jaguar »).

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