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Opposition au Forum international du tourisme solidaire et du commerce équitable

Face à la biopiraterie, accès libre à la biodiversité

mars 2006

En regard de la fin de l’ère du pétrole, du développement de la biotechnologie et la découverte du potentiel industriel et énergétique de la biodiversité, les dernières ressources de la terre et les connaissances traditionnelles qui y sont associées - non encore privatisées - sont soumises à la pression croissante de la part des corporations et des pays du Nord, qui souhaitent les utiliser. La désindustrialisation du Mexique incite d’autant plus nos gouvernements néolibéraux à considérer ce secteur comme le dernier actif national sur lequel faire main basse.

Trois actions
Deux actes de résistance et une proposition

De la résistance

I. À l’adresse des « nôtres » : il s’agit de lâcher les formules et connaissances traditionnelles liées à notre biodiversité convoitées par les grandes puissances et les entreprises transnationales. Rendre ces connaissances publiques pour éviter leur brevetage (l’acquisition de droits de propriété intellectuelle) par des peuples, des organisations, des groupes indigènes ou paysans permettra d’éviter les divisions et affrontements ; la privatisation de leur utilisation et la légitimation du système de brevets. La divulgation des formules et les connaissances associées ne se fera pas par la distribution publique de feuillets ni par le biais d’Internet mais à travers des organisations et communautés alliées (locales, nationales, internationales) à qui des dossiers spécifiques contenant ces informations, seront confiés pour qu’ils en prennent soin mais aussi pour qu’elles leur servent.

II. Face aux tiers, il s’agit de former un réseau de communautés et d’organisations allant de la sierra au sud de Puebla jusqu’au Guatemala qui englobe les zones les plus riches en biodiversité de l’Amérique du Nord (à tel point qu’on parle de seconde Amazonie). Le but sera pour les détenteurs des connaissances de se coordonner pour en réguler explicitement l’accès et l’utilisation par des tiers. En aucun cas, une entreprise « de capital » où ses employés déguisés en protecteurs de l’environnement ou en chercheurs, ne pourra accéder à ces connaissances. De cette manière, la plus que probable promulgation (selon le principe du libre commerce et du brevetage) de lois concernant l’accès à ces ressources naturelles ou la mise en place de programmes exécutifs allant dans le même sens, pourra être neutralisée.

Proposition

III. Créer, à partir de ce réseau initial, une plate-forme sociale plurielle et indépendante (non gouvernementale) établissant les bases et les conditions minimales à prendre en compte pour inviter à la réflexion, la discussion et un accord concernant la gestion, l’usage, la conservation et les bénéfices de la biodiversité nationale et les connaissances associées. Partant de la base, définir les prémices d’un grand débat et d’un accord ayant valeur de résolution nationale sur ces thèmes.

Les principes de cette plate-forme

1. On ne peut breveter le vivant, sous aucune de ses formes.
2. Les ressources naturelles (dans ce cas la biodiversité) sont stratégiques et relèvent du domaine national. Ils ne peuvent être échangés dans le cadre de lois relevant du libre commerce.
3. Les connaissances associées à ces ressources stratégiques sont également stratégiques et appartiennent à la nation mais ceux qui les possèdent en sont les dépositaires.
4. L’échange ou l’exportation de ressources et connaissances traditionnelles liées à la santé humaine ne peut se faire dans le cadre des règles du marché.

L’objectif général de la réunion est :

1. de dénoncer et neutraliser des actions prises par l’exécutif où des projets législatifs concernant les ressources naturelles stratégiques (projet de loi sur l’accès aux ressources génétiques) et les systèmes de propriété intellectuelle associés (loi fédérale sur ce thème et de nouveau, le projet de loi sur la conservation de la biodiversité et la protection de l’environnement de l’État du Chiapas).
2. dénoncer le fait que les méthodes de saccage de la biodiversité sont désormais reprises par le biais de l’agenda multilatéral de l’Union européenne de réaménagement territorial et culturel, notamment à travers son projet pilote global au Chiapas, le Prodesis.
3. Faire connaître le réseau [1] d’organisations et communautés (situées dans des territoires à très grande biodiversité et pour autant possibles objets de bioprospection) et sa plate-forme de défense ainsi que l’appel à définir, depuis la base, les termes de l’utilisation et les bénéfices de la biodiversité
4. Rendre publique l’initiative de divulgation relative (dépôt auprès d’autres organisations) des formules liées aux plantes médicinales et autres savoirs associés à la biodiversité du Chiapas que possèdent actuellement les membres du Compitch.

Une réunion se tiendra pour réfléchir à la manière de faire face aux effets que les distorsions climatiques exercent sur la biodiversité (sources pharmaceutiques) mais aussi sur les effets des changements nutritionnels sur la santé des communautés qui causent chaque jour plus de maladies. Il s’agira également de partager les expériences, les inquiétudes, les points de vue, les matériaux (naturels ou préparés) et les connaissances des différentes régions ainsi que de se mettre d’accord sur la stratégie d’alliances, de résistance et de mobilisation postélectoral (quel que soit le vainqueur).

Cette initiative s’inscrit dans un contexte où l’on observe une augmentation inusitée de l’intérêt (et du pouvoir économique) pour le capital biotechnologique - firmes pharmaceutiques et semencières. Dans la mesure où le capital définit une nouvelle ère productive et dans le cadre de la désindustrialisation croissante des économies du tiers monde en raison du déplacement des investissements manufacturiers vers les marchés asiatiques, les « actifs biologiques » (forêt, biodiversité, eau) se convertissent en ressources globales, les plus et les mieux cotées, la frontière biocoloniale en puissance, selon les termes employés par Vandana Shiva. Ces biens qu’en raison de leur importance, il convient de qualifier « biens de l’humanité » afin d’en céder la gestion à la « juridiction internationale » comme le réclament à grands cris les États de la vieille Europe (la France et l’Allemagne en tête).

Le Chiapas est le noyau biosphérique de l’Amérique du Nord, le pont à très grande biodiversité entre les deux hémisphères du continent, le lieu où l’on trouve les espèces endémiques domestiquées d’importance majeure sur le marché des denrées (tomates, courges, annones, avocats, maïs, piments, haricots, cacahuètes, coton, etc.)

Depuis 2000, date qui a marqué la fin de l’administration du PRI tant au niveau fédéral que de l’État, le gouvernement actuel a mis en marche diverses dispositions légales liées à l’utilisation et la régulation de la production dans le secteur primaire : récupération de terres ; libération d’organismes génétiquement modifiés ; développement durable ; développement forestier ; produits agricoles et d’élevage non traditionnels ; tourisme ; biocombustibles. Toutefois, il n’a pas agi de même (malgré les pressions transnationales) en ce qui concerne les normes légales concernant l’accès aux ressources génétiques et à la propriété intellectuelle sur les savoirs traditionnels qui y sont associés.

Il reste six mois aux administrations fédérales et de l’État du Chiapas avant que, en juillet prochain, de nouvelles élections mettent fin à leur mandat de six ans. Ils essaieront donc de faire passer ce qu’en raison de divers obstacles qui se sont présentés à eux, ils n’ont pu obtenir durant ces cinq dernières années. Pour ce qui est de la loi d’accès aux ressources génétiques, après avoir été approuvée par le Sénat, elle figure sur la liste des lois en attente d’être votées par le Parlement. Il en est de même pour la loi sur la propriété intellectuelle. Au niveau de l’État, la loi pour la conservation de la biodiversité et la protection de l’environnement de l’État du Chiapas, qui prévoit le brevetage et la privatisation de forêts, est également sur le point d’être discutée. En tous les cas, pour les autorités fédérales et de l’État, l’avenir de ces trois projets de loi se joue dans ce qui reste de cette législature.

D’autre part, le programme de médecine Indienne élaboré par le gouvernement du Chiapas (PRD) qui est sur le point d’être rendu public (et auquel le Compitch a déjà eu accès), prévoit l’ouverture de marchés de plantes médicinales (par le biais de plantations pharmaceutiques) et l’assignation de registres de propriété intellectuelle (brevets, droits d’auteurs) pour les possesseurs de savoirs traditionnels associés (au matériel biologique comptant pour le marché). Nous craignons que ce modèle soit celui envisagé par la prochaine administration nationale.

Enfin, après la rupture du système multilatéral par son remplacement par l’unilatéralisme militariste du gouvernement des États-Unis, le gouvernement fédéral en accord avec celui de l’État du Chiapas, se sont mis d’accord avec l’Union européenne (concrètement avec ses principaux axes : la France et l’Allemagne) - en raison de la demande croissante d’actifs génétiques stratégiques pour les corporations biotechnologiques - pour mettre en place (en 2004) le projet pilote global de l’Union européenne, concernant l’environnement et les ressources naturelles associées. Ce projet se situe dans les parties médiane et orientale (les mieux conservées) de la forêt Lacandone, au Chiapas (y compris la réserve de Montes Azules). À la fin de 2005, un agent de ce projet, de nationalité allemande, a contacté le Compitch pour évaluer les possibilités d’avancer dans la commercialisation - sous le label du commerce équitable - de plantes médicinales dans la région couverte par le projet.

Le Compitch a toujours refusé de pactiser de quelque manière que ce soit avec les corporations transnationales (biotechnologiques ou liées à la commercialisation) où les représentants des métropoles dont elles sont originaires, qui au cours de visites, ont fait part de leurs intentions. Parmi eux, on compte le gouvernement des États-Unis, d’Israël, du Pérou et l’Union européenne par le biais d’un de ses agents ainsi que la transnationale Sanofi Aventis, un laboratoire italien et un allemand. En outre le Compitch a refusé de cautionner des propositions (émanant de l’exécutif comme du législatif) et décliné l’invitation à légitimer par sa participation, divers sommets et colloques, tels ceux des pays à très grande biodiversité - Cancún 2002 ou du Couloir biologique méso-américain (à l’invitation de la Fondation Rigoberta Menchú et de la Banque mondiale).

Au cours des sept dernières années, plusieurs actions publiques à l’initiative de cette organisation ont débouché sur la neutralisation efficace et en temps voulu, de programmes ou dispositions gouvernementales (fédérales et de l’État), de projets transnationaux ou multilatéraux visant à un aménagement territorial qui permette la gestion néolibérale de l’environnement, de la médecine indienne, la bioprospection, l’accès aux ressources génétiques, le système de propriété intellectuelle (sur le matériel biologique et les savoirs associés) et la commercialisation à grande échelle - sous le label équitable ou non - des plantes médicinales. Les tactiques de mobilisation et les faits que nous avons dénoncés de manière ponctuelle et opportune ont, en général donné des résultats effectifs, dont nous avons été nous même surpris.

Le Compitch est l’organisation de médecins indiens traditionnels la plus importante du Chiapas, qui rassemble des personnes de toutes les langues, appartenance politique et croyances, distribués dans toutes les régions à très grande biodiversité de l’État, possesseurs et gardiens d’une bonne partie des savoirs biologiques locaux. Tous ces éléments donnent une valeur ajoutée aux dénonciations et mobilisations, même s’il faut préciser que ce « plus » a toujours été accompagné, d’une rigueur dans l’analyse des faits dénoncés.

Le Compitch se prépare à lancer une initiative au niveau national - depuis le réseau et la plate-forme - mais aussi de portée globale afin de construire les bases d’un accord national, régional et global, impulsé depuis la base par les acteurs sociaux possesseurs (et indépendants) vers un modèle souverain, national et social, communautaire de gestion, utilisation et usufruit (bénéfice) de la biodiversité et des connaissances qui lui sont associées.

San Cristóbal de Las Casas,
Chiapas, Mexique, 23 mars 2006.

Notes

[1Inclut également d’autres organisations et réseaux alliés dans le monde, avec lesquels existent des accords minimaux sur les principes de la plate-forme.

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