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Forum social de Caracas (suite et fin)

mercredi 22 février 2006, par Ké Huelga Radio

Le Forum social mondial se termine à Caracas.

En haut et en bas

28 janvier 2006 : débat « Du Chiapas au Venezuela »

Comme nous l’avons déjà évoqué, le FSM a lieu sur différents « niveaux ». Les activités cogérées et celles qui se font hors programme sont planifiées par les organisateurs du forum, tandis que les activités auto-organisées sont proposées par les participants, les organisateurs se limitant à leur assigner un endroit où elles auront lieu. Ces dernières sont d’ailleurs les plus nombreuses et, contrairement aux activités cogérées, une place est laissée pour le débat face à face. Du coup, ce sont elles qui font véritablement du FSM le lieu de rencontre des résistances dans le monde.

Le 28 janvier, des compañeras et compañeros d’Attac-Allemagne (au passage, un « Attac » très différent) ont organisé une journée de discussion sur le thème : « Du Chiapas au Venezuela. Débat sur les rapports entre les mouvements sociaux et l’État. » Comme prélude au débat, trois interventions : l’une portant sur l’Allemagne, l’autre sur le Chiapas et la troisième sur le Venezuela. J’aimerais évoquer ici la dernière, effectuée par Roland Denis, actuellement membre du Mouvement du 13 Avril - qui tire son nom du mouvement ayant fait avorter la tentative de coup d’État de la droite vénézuélienne, en 2002 -, qui a fait partie du gouvernement Chávez en deux occasions.

Roland Denis a commencé par énumérer les liens unissant les mouvements populaires et l’État au Venezuela. Après les luttes de guérilla des années 1970 et une crise des partis, on assista à une mobilisation populaire croissante dans les années 1980, qui n’est cependant pas parvenue à déboucher sur des mouvements plus organisés, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays d’Amérique latine. En 1989, l’insurrection populaire provoquée par un effondrement du niveau de vie ayant lieu dans l’indifférence totale du gouvernement, insurrection qui a pris le nom de « Caracazo » (coup de Caracas - comme on dit « coup de bâton »), illustre la fracture qui met en évidence la crise des institutions ne parvenant pas à achever l’introduction du néolibéralisme dans ce pays. La fin de cette période est marquée par la tentative chaviste de s’emparer du pouvoir.

C’est dans un tel contexte que ce que l’on appelle au Venezuela la « révolution bolivarienne » constitue la confluence des mobilisations et des insurrections populaires et du soulèvement de l’armée. Pour Roland Denis, la révolution qui a lieu n’est pas une révolution typique car le fer de lance du mouvement n’est pas formé par les organisations sociales et politiques, mais par un « caudillo égalitariste ». Le personnage de Chávez restant problématique au sein d’un tel processus, Roland Denis insiste sur l’importance du rôle qu’il a joué pour maintenir la mobilisation populaire, rôle qu’il illustre par une métaphore : « un pont tendu vers le passé pour aller de l’avant »...

Le « procès populaire constituant » s’oriente alors vers la construction d’une logique de partis avec l’apparition du Mouvement Quinta República (« Mouvement [pour une] cinquième République ») et l’arrivée de Chávez au pouvoir en 1999. Le rôle des partis continue cependant d’être faible et la dispute se joue presque exclusivement sur le terrain des mobilisations populaires.

L’étape récente et actuelle est caractérisée par Roland Denis comme celle de la « résistance contre le coup d’État permanent », dans laquelle s’unissent ponctuellement Chávez et ses partisans et les « cellules » des organisations de base au niveau local. Rappelons qu’au Venezuela, de nombreux mouvements de quartiers luttent pour le contrôle de l’eau, la construction autonome de logement, la création de services de base ou encore la réforme agraire. Cette nouvelle étape a vu le Mouvement du 13 Avril adopter une position défensive au sein de ce processus, dans le but de s’opposer à un coup d’État.

Les mobilisations sociales cherchent ainsi à radicaliser les changements en cours, ce qui les amène à s’affronter aux fonctionnaires du gouvernement, sans pour autant remettre en question le symbole d’unité nationale que représente Chávez. Selon Roland Denis, on vote de nos jours au Venezuela pour un symbole qui incarne un espoir, les critiques s’adressant au gouvernement et non à Chávez - chose que nous avons pu effectivement entrevoir lors de la marche indigène contre l’exploitation du charbon. Les rapports avec l’État, un État corrompu qui chancèle de toutes parts, sont donc fortement discutés au sein de débat portant sur l’orientation du processus actuel dans un avenir immédiat. En ce sens, conclut l’orateur, sa démarche est de soutenir à Chávez et de maintenir la mobilisation dans le but de permettre aux avant-gardes populaires de se consolider.

Le débat qui a suivi fut entrecoupé de plusieurs interventions de compañeros vénézuéliens qui ont permis d’entrevoir les profonds contrastes que connaît ce pays. Toutes coïncidaient sur un point, que nous estimons primordial : une profonde socialisation populaire confrontée à une droite belligérante essayant continuellement de stopper l’actuel processus de changement. Il y a aussi beaucoup été question des recettes de l’exploitation pétrolifère, qui donnent au gouvernement une importante marge de manœuvre, et des progrès qu’a permis la Constitution bolivarienne, consacrant la plus grande partie des droits des personnes, de sorte que les mobilisations populaires trouvent là un levier légal essentiel à la poursuite du mouvement.

Intervenant dans le débat, John Holloway fit part de deux idées générales :

Les gouvernements « progressistes » ont remis sur la table la question de la prise du pouvoir de l’État. Face à la montée des gauches (étatistes, et pour l’autonomie), il est possible que l’on entre dans une logique de confrontation destructrice. Le défi est donc dans l’immédiat de conserver l’unité autour d’objectifs communs. Et la marche à suivre pour y parvenir est de discuter ouvertement des différences. Si on veut bien partir du fait qu’il n’existe pas de modèles [à respecter], les diverses gauches pourraient construire le changement ensemble...

En ce qui concerne le Venezuela, John Holloway entrevoit un processus à la fois « étatistes et antiétatique », où la logique des mobilisations populaires et celle de l’État tantôt s’affrontent, tantôt coïncident. D’autre part, un autre phénomène paradoxal semble surgir en ce qui concerne les liens croissants du régime chaviste et de Cuba : en même temps que la solidarité se développe, les risques augmentent d’une absorption...

Pour finir...

29 janvier : positions des « mouvements sociaux » sur l’avenir du FSM.

Le 29, l’Assemblée mondiale des mouvements sociaux s’est tenue, ainsi qu’une de ces rencontres particulières avec le président Chávez. Revenant aux des tensions dues à l’orientation du FSM que nous évoquions précédemment, nous insisterons sur certaines des conclusions de ce forum qui furent reprises dans « L’appel des Assemblées des mouvements sociaux ».

En premier lieu, on remarquera l’appel à se mobiliser contre le chantage qu’exerce de façon répétée Repsol (la compagnie pétrolière espagnole) sur le gouvernement bolivien, ainsi que la déclaration d’autonomie des mouvements sociaux face aux gouvernements des « alternatives politiques liées à des processus de lutte populaire ».

En second lieu, on plusieurs campagnes pour les mois à venir :

Le 18 mars, une journée internationale de mobilisation contre l’occupation de l’Irak ; en mai, une journée contre la conclusion de la Réunion de Doha au sein de l’OMC ; en juillet, une journée contre le sommet du G8 à Saint-Pétersbourg en Russie ; enfin, en septembre, une journée contre le sommet de la Banque mondiale et du FMI.

Les discussions portant sur l’opportunité du FSM ne vont certainement pas cesser, essentiellement entre le bloc brésilien fondateur et les étatistes de l’axe Cuba-Venezuela-Attac France, ainsi qu’avec plusieurs personnalités telles que Samir Amin, Bernard Cassen, par exemple, qui se sont prononcés pour une « définition politique » du FSM. Cela devrait mettre à l’épreuve la vitalité du Forum...

L’élaboration d’une alternative en dehors de la politique bureaucratique des hautes sphères du FSM est l’enjeu fondamental du moment. D’où l’importance qu’a eu, en dépit de sérieuses limites, le fait que le Forum social alternatif ait eu lieu.

Traduction : Ángel Caído.

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