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Le développement durable en marche ! Mais vers où ?

mercredi 1er mars 2006, par Alex Tranjera, Luuvan

Du 23 au 27 mars 2006 aura lieu la deuxième édition du Forum international du tourisme solidaire et du commerce équitable (FITS 2006). Le lieu choisi pour l’événement est la capitale de l’État du Chiapas, dans le sud du Mexique.

C’est l’occasion de se poser certaines questions sur les orientations des politiques de développement telles qu’elles sont énoncées par les principales institutions organisatrices du forum : le gouvernement français, le gouvernement du Chiapas, l’Union européenne (à travers son projet pilote au Mexique, le Prodesis) et certaines organisations « conservationnistes » (en l’occurrence Conservation International). Ces deux dernières figurant parmi les partenaires « mexicains ».

Ces institutions ont su associer de nombreuses ONG engagées dans de petits projets de développement durable et de protection du « patrimoine naturel ». Pour un certain nombre d’entre elles, l’invitation à participer constituerait un gage de reconnaissance des apports de la « société civile » sur les thèmes sociaux et environnementaux jusqu’alors négligés par les institutions. Mais, dans un cadre institutionnel où la promotion du tourisme est présentée comme une priorité en matière économique pour la région, cette position ne fournit-elle pas plutôt une caution sociale à une logique d’intégration au système de marché global ?

Des initiatives « citoyennes et pragmatiques »
pour mieux étouffer les revendications indigènes...

Le document de présentation du forum énonce que, « au-delà des revendications formulées dans les enceintes internationales depuis des décennies, des initiatives citoyennes, pragmatiques, ont donné naissance, au Mexique d’abord, puis ailleurs dans le monde, aux pratiques d’un commerce plus juste [fondé] sur des prix justes pour les producteurs du Sud, sur des conditions favorables d’accès aux financements, sur l’amélioration des conditions sociales et sur la protection de l’environnement ».

De fait une telle formulation, plus que les résultats qu’elle appelle de ses vœux, interroge sur les conceptions qu’elle introduit de manière implicite. Ainsi les revendications formulées auprès des institutions internationales seraient avantageusement remplacées par des « initiatives citoyennes pragmatiques ». On pourrait donc en conclure par exemple que l’application de l’article 169 de la convention de l’OIT sur les droits des peuples indigènes - qui constitue un support juridique fondamental dans la lutte des peuples indiens pour la reconnaissance de leur autonomie - n’aurait qu’un rôle mineur à jouer face à une nébuleuse d’initiatives de « citoyens » qui, dans leur diversité, seraient capables de s’unir sous la même bannière du « pragmatisme ». Étant entendu que le pragmatisme est aujourd’hui au commerce ce que la durabilité est au développement.

Or précisément la stratégie consistant à éluder le conflit politique existant au Chiapas - qui en 1994 a donné lieu au soulèvement armé zapatiste - au profit d’une gestion économique et pseudo sociale de la question indienne a constitué le trait marquant, tant du gouvernement fédéral présidé par Vicente Fox (ancien PDG de Coca-Cola Mexique), que de celui du gouverneur du Chiapas, Pablo Salazar.

Le slogan électoral du premier, en 2000 (TV, changarro y vocho - télé, petit négoce et VW pour chaque Mexicain pauvre) est-il, en fin de compte, si éloigné de l’idée volontariste de confier la résolution des problèmes structurels liés à la pauvreté ou à la défense de l’environnement à des touristes en mal de solidarité ?

Quant au bilan du second, conscient du fait qu’une répression brutale du conflit au Chiapas aurait sonné le glas de ses ambitions à poursuivre une carrière politique, le gouverneur du Chiapas a opté pour la poursuite de politiques clientélistes déjà bien rodées par ses prédécesseurs du PRI pendant des décennies. L’attribution sélective de « projets de développement » destinée à se gagner les faveurs de certaines organisations sociales n’a non seulement pas endigué l’action des groupes paramilitaires qui continuent de sévir contre les populations civiles mais a démultiplié les conflits entre, voire à l’intérieur même des communautés, opposant « bénéficiaires » des programmes et « réfractaires » à l’acceptation de pratiques considérées, ni plus ni moins comme une tentative d’achat des consciences.

Quand les petits projets de développement relaient
les politiques des grandes institutions internationales

Bien plus, ces petits projets d’ONG, qui se posent souvent comme une « alternative » aux énormes projets de « développement » de type Plan Puebla-Panama mis en œuvre par les institutions internationales (Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement, etc.), y sont en fait parfaitement intégrés. Il est en effet illusoire de penser que les projets d’écotourisme menés à bien dans certaines communautés, parce qu’il seraient décentralisés, représenteraient une alternative à la globalisation en marche. Bien au contraire, la décentralisation - appelée aussi dans certains cas, déconcentration - constitue un des éléments centraux des programmes de coopération au développement (notamment ceux promus par l’Union européenne).

Elle facilite la mise en place du modèle de clusters de développement (économies d’échelles), qu’on retrouve inscrit dans la plupart des plans nationaux et régionaux de développement, lesquels sont adaptés aux critères destinés à assurer le bon fonctionnement des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux (Alena et accords UE-Mexique et DR-Cafta dans le cas de l’Amérique centrale).

Fondées sur le principe des avantages comparatifs d’une région, ces politiques ont, dans la logique néolibérale de leurs promoteurs, un double avantage : la création de pôles de développement dynamiques attire et concentre la main d’œuvre en provenance des régions moins favorisées économiquement. Ces dernières, non « sujettes à investissement » peuvent, si les conditions s’y prêtent, être classées comme zones de conservation. La gestion au quotidien des déséquilibres engendrés au niveau local par ces politiques est confiée à des organisations humanitaires qui essaient leurs théories de « réduction de la pauvreté » sur les laissés-pour-compte du développement.

D’autre part, il est plus facile d’exercer des pressions sur des communautés locales, disposant de peu de moyens et de les convaincre de la nécessité de s’associer à des partenaires institutionnels ou privés pour intégrer leurs ressources au système de gestion commercial globalisé - tout lorsqu’on s’est appliqué préalablement à saper un fonctionnement autonome de ces communautés, fondé sur des équilibres locaux.

Ainsi, au Chiapas, la réserve de la biosphère des Montes Azules s’insère dans divers projets régionaux de développement d’infrastructures, de gestion de l’environnement et de valorisation des ressources naturelles, dont le plus important est le Couloir biologique mésoaméricain (CBM). Dans les plans de gestion territoriale décidés depuis les bureaux des grandes métropoles occidentales, les populations qui résident sur place doivent être assujetties aux réglementations adoptées au niveau international dans ce domaine et de fait, tous les programmes et projets de développement appliqués doivent s’adapter aux cadres juridiques prédéfinis au nom d’une abstraite notion de « patrimoine de l’humanité », bien éloignée de l’intérêt des populations locales, mais dont les principaux garants se trouvent être les grosses organisations de conservation de l’environnement comme le WWF, The Nature Conservancy et Conservation International, émanant prétendument de la « société civile », mais contrôlées et sponsorisées de fait par les principaux acteurs du lobby pétrolier (regroupés au sein de l’initiative Global Compact, promue par l’ONU), de l’exploitation forestière, des firmes pharmaceutiques, de l’eau, de la construction automobile, du secteur bancaire ou des assurances.

Projets productifs et expulsion des communautés indiennes,
deux facettes d’un même projet de contrôle territorial

Autour de la zone cœur de la réserve naturelle, censée être « vierge de toute présence humaine » et vouée de fait à l’exploration scientifico-industrielle, ces « ONG » et tout particulièrement Conservation International, multiplient les projets de « valorisation économique de la biodiversité » : mise en place de projets d’écotourisme, de « commerce équitable » de nouvelles plantes appréciés sur les marchés mondiaux (vanille, palme Xate), et de culture de café organique, avec le soutien intéressé pour la commercialisation de ces productions de grandes firmes internationales : Ford Motors Company, Starbucks, Pulsar/Monsanto, etc.

La lutte pour le contrôle des réserves naturelles et des ressources qu’elles renferment a pris sur le terrain des allures de guerre ouverte. L’ampleur des mobilisations a certes réussi à freiner les politiques d’expulsion des communautés du cµur de la réserve naturelle dans leur version la plus brutale, telles que préconisées par l’aile « dure » du lobby conservationniste. Toutefois, les stratégies apparemment plus « conciliantes » mises en œuvre par le gouvernement du Chiapas, ne poursuivent elles pas en définitive, le même objectif ? Transformer les paysans indiens en « gardiens verts » des réserves et en prestataires d’une forme de services introduits récemment sur le marché mondial ?

L’éclat des plumages d’oiseaux rares et la fascination pour la forêt vierge utilisés à des fins publicitaires et censés symboliser la réalité d’un développement radieux en marche, masquent la réalité à ceux qui ne souhaitent pas la voir. Pourtant, les témoignages recueillis sur le terrain permettent de mesurer l’ampleur des conflits et des drames qui se jouent à l’écart des projecteurs. Le faste publicitaire autour de la station d’écotourisme scientifique d’Ixcán au sud de la réserve des Montes Azules occulte le malaise causé par la remise en question des possessions agraires de paysans de la zone. Le battage médiatique autour de la force de conviction des autorités du Chiapas, pour obtenir le départ « volontaire » de certaines communautés de la réserve tait soigneusement le fait que les décisions prises font suite à des années de pression exercées conjointement par les fonctionnaires et par l’armée et aux menaces exercées par d’autres groupes à qui ont a fait miroiter la perspective d’obtenir des aides s’ils se conforment à l’exécution des projets définis en haut lieu pour la région.

Les bilans ne mentionnent pas non plus le prix dérisoire offert aux paysans en dédommagement (quand ils le sont) des terres qu’ils doivent quitter. Enfin, un simple coup d’œil aux photos prises pendant l’inauguration des « nouveaux centres de population » destinés aux « déplacés volontaires » suffit pour comprendre pourquoi certaines organisations locales les qualifient de « bantoustans ». La communauté de « Nuevo Montes Azules » offre le spectacle affligeant de maisons uniformes, alignées de part et d’autre de rues tirées au cordeau et non pas l’image d’un riant village indien mexicain, tel que présenté dans les dépliants touristiques.

Devant l’importance que représente au niveau global, le contrôle des territoires et des ressources de la région, mais face à la résistance des populations locales à s’en laisser déposséder, les tentatives se sont multipliées pour inscrire la gestion des réserves naturelles dans le cadre relevant de l’épineuse question de la sécurité internationale.

Accompagnant l’an dernier le président mexicain lors d’un voyage de Europe, le gouverneur du Chiapas, Pablo Salazar Mendiguchia, avait lancé l’idée d’une consultation internationale concernant la réglementation de la biodiversité dans l’État du Chiapas. Toutefois devant l’indignation qu’avait provoquée cette méthode de contournement de l’opinion publique locale, la manœuvre avait dû être suspendue.

Suspendue mais pas abandonnée. Car il est à craindre que le Forum international du tourisme solidaire, Chiapas 2006, fournisse l’occasion, manquée à plusieurs reprises, d’obtenir une caution internationale pour l’application de politiques désavouées et combattues au niveau local.

Quand les projets d’écotourisme cachent et préparent
l’installation de futurs complexes touristiques

À quelques kilomètres de cette « zone naturelle » des Montes Azules, où tout est fait pour expulser et reloger les communautés indiennes qui remettraient en cause les plans internationaux de conservation, on se prépare toutefois, dans la plus totale indifférence, à hérisser des dizaines de grands hôtels internationaux dont les piscines seront alimentées par les nappes phréatiques de la région, et à transformer les lagunes locales en bases nautiques pour les touristes occidentaux ! Le Fonatur, organisme d’aménagement touristique de l’État mexicain, responsable entre autres des catastrophes écologiques et paysagères des littoraux touristiques de Cancún, Los Cabos ou Ixtapa, s’apprête en effet à édifier au nord de la zone, autour de Palenque, un nouveau « Centre intégralement planifié » d’une capacité de près de 8 000 lits. Pour les institutions internationales comme pour les ONG de conservation environnementale, il n’y a là évidemment pas lieu de se mobiliser contre la destruction sociale et humaine que va entraîner un tel complexe touristique, puisqu’au contraire il devrait libérer les zones « protégées » des excédents de main-d’œuvre qui peuplent les communautés indiennes. La proximité avec une nature préservée sera d’ailleurs le principal argument de vente pour la valorisation commerciale de ces nouvelles structures touristiques, une « proximité » que les communautés indiennes de la région sauront « valoriser » grâce aux formations de guides de nature, descente en canyoning, et expéditions dans la forêt dispensés dans le cadre des « microprojets » d’écotourisme des ONG. On le comprend bien : la conservation de la forêt tropicale dans une telle logique n’a que peu à voir avec la volonté effective de protéger l’environnement ! Il s’agit bien au contraire de tirer le maximum de profit du potentiel économique d’une telle « zone de biodiversité », aux dépens des paysans indiens de la région, dont l’impact écologique reste infime, au regard du moindre touriste occidental débarqué en avion...

Ces grands plans d’aménagement touristique visant à l’exploitation « durable » des ressources naturelles ne concernent toutefois pas simplement le Chiapas.

Le Centre intégralement planifié de Palenque ne devrait constituer en effet que la « porte d’entrée » d’un ensemble de sites touristiques s’étendant sur plusieurs pays d’Amérique centrale, dont les chefs d’État de la région espèrent établir l’interconnexion au travers du mégaprojet « Mundo Maya ». Ce projet ne vise pas moins que de rendre accessible à des millions d’occidentaux, moyennant finances, un fantasme occidental à la Indiana Jones, où le touriste pourrait se déplacer sans mal au sein d’un « paradis naturel » jalonné des ruines archéologiques d’une « civilisation défunte ». Un rêve d’opérateur touristique pour lequel la Banque interaméricaine de développement prévoit l’investissement de centaines de millions de dollars d’infrastructures, et dont les paysans indiens de la région, héritiers de la culture maya, seront les premiers à faire les frais.

D’énormes projets de touristification qui, tandis qu’une kyrielle de représentants de la « société civile » montreront le visage « social, solidaire et écologiste » des politiques de développement, seront justement au cœur des discussions entre les ministères du tourisme et les institutions internationales présentes au Forum, et dont il semble qu’un des enjeux porte sur l’harmonisation des objectifs d’exploitation rentable (c’est-à-dire durable) des ressources naturelles, telles qu’énoncées dans le cadre des accords de l’OMC.

De quelques petits négoces entre la France et le Mexique...

L’implication du gouvernement français dans l’organisation d’une telle mascarade au Mexique ne doit bien évidemment rien au hasard. Quelques mois à peine après la tenue du premier Forum international du tourisme solidaire dans le sud de la France, en septembre 2003, le ministre du tourisme mexicain se rendait en France, dans le cadre d’une tournée européenne de promotion du projet « Mundo Maya ». Un marché prometteur pour les entreprises françaises - leader européennes de l’industrie touristique -, tant au niveau de l’accroissement prévu des voyages aériens entre l’Europe et l’Amérique centrale, qu’en termes d’investissements dans l’hôtellerie et l’infrastructure touristique de la région.

Les ministères du tourisme des deux gouvernements ont rapidement trouvé un terrain d’entente. L’expérience française (première destination touristique mondiale) dans le développement de projets de tourisme en milieu rural, qu’il soit culturel, de nature et « d’aventure » (escalade, randonnées, canyoning...), intéressait en effet tout particulièrement la Sectur mexicaine dans le cadre du développement au Mexique de ces nouveaux « segments de marché », en très forte croissance au niveau international.

Cette forme de « coopération internationale » n’est évidemment pas sans contrepartie. Comme le mentionne un document officiel : « L’action internationale du ministère délégué au tourisme s’inscrit délibérément dans la politique extérieure de la France dont elle est une composante sectorielle désormais significative. Cette action, étroitement concertée avec les ministères des affaires étrangères et du commerce extérieur, vise à promouvoir un développement touristique durable dans les pays émergents afin d’atténuer les déséquilibres dont souffre notre planète. Elle vise aussi à soutenir nos entreprises dans leurs efforts de conquête des marchés
internationaux. »

Dès lors, tandis que d’un côté le Mexique soutenait la promotion du pays auprès des grosses entreprises françaises (tenue début 2004 du forum annuel du Syndicat national des agences de voyages, qui rassemble les plus gros acteurs de la scène touristique française, à Merida, dans le Yucatán (sud du Mexique) ; négociations sur l’implantation future de vingt nouveaux hôtels Accor au Mexique, ouverture négociée de nouvelles lignes aériennes.), le ministère des Affaires étrangères français et le ministère délégué au Tourisme organisèrent au Mexique des formations au tourisme rural, prestement rebaptisé depuis lors « tourisme solidaire » (cf. journal de l’ambassade).

Du « tourisme solidaire » à la sauvegarde des intérêts stratégiques
de la diplomatie française

Depuis 2002, le vocable « tourisme solidaire » est en effet à la mode au sein de la diplomatie française. Au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg, la France a mis en place une conférence spéciale sur le sujet et le gouvernement en a fait un des axes de la « stratégie nationale de développement durable ». « De par son savoir-faire et ses expériences, il s’agit de faire de la France un leader sur cette thématique », expliquait Gilles Béville, responsable du sujet au ministère des Affaires étrangères.

Une soudaine préoccupation gouvernementale naïvement perçue comme une nouvelle « victoire sur le tourisme de masse » par les petites associations de développement et de tourisme solidaire. À l’image des transactions mexicaines, il ne s’agit pourtant que de récupérer les bénéfices commerciaux de l’aide au pays en voie de développement dans ces domaines, qui commençaient à être récupérés au niveau international par les pays anglo-saxons, à travers la promotion du concept d’« écotourisme ».

Depuis les années 1980 en effet, la diplomatie américaine à travers son agence USAID n’a eu de cesse de financer ce type de programmes, qui avaient l’avantage de conjuguer à la fois les intérêts des tour-opérateurs américains à la recherche de destinations aptes à répondre aux fantasmes occidentaux du « jardin d’Eden », et la sauvegarde de « zones de biodiversité » permettant l’alimentation en ressources génétiques des firmes cosmétiques et pharmaceutiques américaines (le modèle de ce paradigme étant le Costa Rica). Des programmes qui bien vite, à l’image du développement de l’ONG états-unienne Conservation International, débordèrent l’Amérique latine pour partir à la conquête des autres continents, et tout particulièrement de l’Afrique, pré carré de la diplomatie française.

C’est dans ce contexte que, s’appuyant sur son influence tant à l’Unesco (dont le siège est à Paris), qu’à l’OMT (dont le secrétaire général est un ancien ministre du Tourisme français), le gouvernement français s’est mis en tête d’exploiter le virage des institutions internationales de la thématique environnementale à celle de la « lutte contre la pauvreté » en se faisant le porte-parole international d’une nouvelle politique de développement, l’aide aux projets touristiques communautaires, et d’un nouveau vocable, « le tourisme solidaire ».

S’il s’agit bien de battre en brèche la diplomatie anglo-saxonne, décriée récemment pour son appui aux expulsions de communautés indiennes de ces « réserves naturelles » montées de toutes pièces au cours des années 1990, les programmes de développement français et européens ne diffèrent bien évidemment que très peu des programmes américains : même promotion du tourisme (mais cette fois-ci « au bénéfice des communautés locales ») ; même promotion des multinationales françaises (Suez et Lyonnaise des eaux notamment, à travers les programmes de développement « d’accès à l’eau potable ») ; et même promotion de la biopiraterie (en Bolivie notamment, à travers les jumelage IRD/Pierre Fabre, et dans le Mercosur, à travers le programme Biodesa, coordonné par le GRET, une « association de solidarité internationale » qui s’occupe aussi - coïncidence - de l’organisation technique de ce Forum international du tourisme solidaire...)

Bas les masques

Au Chiapas, les beaux discours des gouvernements et des institutions internationales ne font plus illusion pour beaucoup de communautés et un rejet clair des politiques assistancialistes de ces organisations s’exprime de la part d’un vaste mouvement populaire indigène qui n’a pas attendu l’arrivée des ONG pour mettre en place des solutions concrètes visant à répondre à leurs besoins collectifs. Depuis le soulèvement de 1994 notamment, des centaines de communautés zapatistes ont pris leur destin en main et mis en place leurs propres structures politiques, mais aussi médicales, éducatives ou productives. Des pratiques qui, à l’opposé des politiques de développement du marché mondial mis en œuvre par les agences de coopération et les institutions internationales, visent avant tout à un développement autonome et local des communautés.

« Ce sont eux, les chefs d’entreprise, les principaux bénéficiaires de l’exploitation de nos ressources naturelles, quoi qu’ils disent en nous rebattant les oreilles avec leurs belles promesses de développement et de confort pour nos communautés », déclaraient récemment les autorités autonomes zapatistes du Caracol de Roberto Barrios, opposées à la réalisation d’un projet d’écotourisme sur les terres de cette communauté située à proximité de Palenque. « Les divers gouvernements, fédéraux ou locaux, savent pertinemment que de semblables projets ne sont faits que pour créer une belle image aux yeux du reste du monde, de belles cartes postales et de belles photos pour illustrer livres et revues s’adressant aux gens nantis qui viennent jouir de nos ressources naturelles, tandis que la réalité profonde de la misère et de l’exploitation n’apparaissent pas sur les photos ni dans les journaux : nous n’y figurerons qu’en tant que curiosité exotique menacée de disparition », expliquaient-ils dans un communiqué.

Car en définitive, face à la misère et à l’exploitation de ce monde par les puissants, ce ne sera ni par le tourisme « solidaire » ni par l’assistance « humanitaire » que les choses pourront changer, mais bien par la lutte et la solidarité de ceux qui, en bas et à gauche, se battent pour une autre humanité.

Alex Tranjera et Luuvan

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