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Le regard des Yaquis sur la situation du mouvement indigène au Mexique

mercredi 1er mai 2013, par Mario Luna

Vícam, Sonora, Mexique, janvier 2013.

La réapparition publique des zapatistes « ne nous surprend pas, nous avons toujours su qu’ils n’étaient pas partis », note Mario Luna, Yaqui, secrétaire des autorités traditionnelles de Vícam.

La plus grande menace pour les peuples indigènes, « c’est la volonté de privatiser l’eau, et tous les mégaprojets sont en relation avec ça », affirme dans un entretien avec Ojarasca le représentant d’un des peuples fondateurs du Congrès national indigène (CNI).

L’organisation nationale indigène

Depuis leurs différents bastions, les peuples indigènes se sont regroupés et renforcés, mais ils doivent se structurer davantage. Il y a un enlisement de l’organisation au niveau national. Au CNI, le premier point observé, c’est que de nombreuses batteries gouvernementales concentrent leurs attaques sur nos communautés pour éviter ainsi que nous allions rejoindre nos compañeros.

Du Chiapas jusqu’en Basse-Californie, la situation s’est aggravée : attaques contre les communautés de la côte au Michoacán, harcèlement constant envers des compañeros du Guerrero et de Wirikuta, envers les Cucapás et les Kumiai, affrontements avec les forces de l’ordre chez les Yaquis. Il est par conséquent risqué de sortir pour nous rencontrer.

Un autre point important est le décès de personnalités très actives au sein du CNI, comme Juan Chávez — qui se joignait à nous et ravivait notre attention lorsque nous étions inactifs —, Don Trino et d’autres compañeros. Cela a provoqué un repli des uns et des autres, et notre progression s’est un peu ralentie. La communication continue, nous avons fait des réunions entre communautés mais nous n’avons pas réussi à organiser un grand rassemblement.

Les défis

La dépossession de nos biens est autorisée par les plus hautes sphères du pouvoir. Nous avons eu recours à la voie juridique, et il en a résulté des dispositions en notre faveur, mais le harcèlement et la dépossession continuent. Ils n’ont aucun état d’âme à mettre en application les mégaprojets dans nos lieux les plus sacrés, à fragiliser l’écosystème et à mettre en péril la vie des habitants. C’est une politique d’État qui vise directement les peuples indigènes.

Ce qui nous menace le plus, c’est la volonté de privatiser l’eau, un élément vital pour les indigènes. Ce marché est favorisé par tout le pouvoir de l’État et des groupes économiques qui se tiennent derrière lui. Le contrôle de l’eau a commencé au nom de la lutte contre les inondations, puis sous prétexte d’améliorer l’irrigation, maintenant avec l’argument que d’autres populations ont soif.

À Wirituka, à Oaxaca et au Guerrero, les menaces viennent des compagnies minières, mais, dans le fond, tout dépend de l’eau. La concession de sources et de points d’eau facilite la vente aux grandes compagnies minières. Nos camarades du Michoacán souffrent de la déforestation et du vol de l’eau. Dans l’isthme de Tehuantepec, même le vent est à vendre pour permettre aux grandes compagnies éoliennes d’engendrer des ressources économiques fondées sur la dévastation.

Sur le point de céder à des mouvements désespérés

La plupart d’entre nous répondent très faiblement, excepté dans quelques régions du Michoacán, du Guerrero et de l’Oaxaca, où l’on prépare l’autodéfense. Peut-être le mouvement trouvera-t-il une nouvelle impulsion avec la réapparition publique du commandement de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).

Dans certaines communautés, nous sommes sur le point de céder à des mouvements désespérés. Si le gouvernement persiste à nous marginaliser, le peuple répondra de manière agressive : la rage contenue et le désespoir ne pourront s’exprimer autrement.

À présent, les membres du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) sont à la tête du pays, et on ne constate aucune intention de changer la manière dont les peuples indigènes sont traités. Le nouveau gouvernement a même attribué des fonds à l’aqueduc contre lequel nous, les Yaquis, luttons depuis six ans. Le non-respect de nos usages, de nos coutumes, et les incursions dans nos terres ont beaucoup offensé la tribu.

Nous savions que l’EZLN n’était pas partie

Avec la réapparition publique de l’EZLN, de nombreuses stratégies conçues et implantées dans nos bastions émergeront. Les pratiques d’autodéfense n’auraient pas été connues sans le mouvement zapatiste.

Nous, les Yaquis, avons une structure militaire qui nous a permis une défense non pacifique, mais nous envisageons à présent la manière légale. Nous sommes également en train de restructurer l’autorité traditionnelle. Partout domine la tendance à l’organisation interne, à la prise de conscience et à l’identification du véritable ennemi, qui est un système qu’on retrouve dans tous les partis politiques et dans toutes les strates du gouvernement.

Les lois et les conventions internationales doivent être appliquées ; les peuples doivent prendre en main ces droits gagnés à la force de leurs poings. À cela s’ajoutent l’autodéfense et les formes d’organisations millénaires.

La réapparition publique des zapatistes et la confirmation de leur participation au CNI ne nous surprennent pas. Nous savions que nos compañeros n’étaient pas partis ; au contraire, ils sont actifs au sein des communautés ainsi qu’auprès des autres peuples. Cela nous aide beaucoup car l’attention de la presse s’oriente ainsi vers la problématique indigène.

Le chemin du CNI

Depuis que nous avons rejoint le CNI, nous avons beaucoup appris de la démarche des autres peuples, mais nous avons aussi senti plus vivement la répression, car le gouvernement sait que, quand la tribu fait un pas, il n’y a pas de retour en arrière. Ils ne s’attendent pas à ce que nous, indigènes, nous rassemblions et puissions diriger notre destin. Cela les rend nerveux, et ils commencent à lancer toute leur machinerie contre nous, mais nous sommes habitués à cela.

Nous avons fait prendre conscience à d’autres peuples du fait que, seuls, tout ce que nous arriverions à faire, c’est résister. Or, nous ne voulons pas transmettre à nos enfants une lutte interminable. Nous devons faire un pas de plus ; nous avons déjà subi beaucoup de dommages, et nous ne pouvons plus le permettre.

Le pas suivant, c’est de prendre en main le destin de notre peuple. Nous gouvernons notre territoire, ce que les gouvernements feignent de respecter, mais, quand nous faisons valoir nos droits constitutionnels, nous nous apercevons qu’en fin de compte le rejet de notre manière de voir les choses prend le dessus. Nous devons dire : « Les choses sont ainsi, et vous devez respecter ce que nous proposons. » Nous devons les y contraindre car ils ne le feront pas d’eux-mêmes. Voilà le pas qui suit.

Propos recueillis par Adazahira Chávez
Source : Ojarasca , février 2013.
Traduit par M.L.

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