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Conseils de bon gouvernement zapatistes

« Les fêtes nous aident à penser... »

mercredi 23 novembre 2005, par Hermann Bellinghausen

Morelia, Chiapas, 20 novembre.

« Ces derniers temps des changements transcendantaux se sont produits dans la vie des villages zapatistes. Depuis la création des Juntas de Buen Gobierno (conseils de bon gouvernement) jusqu’à l’appel pour lancer l’Autre Campagne, on voit plus clairement quelle place revient à notre histoire », explique lors de notre entretien l’un des membres du conseil de bon gouvernement Cœur de l’arc-en-ciel de l’espérance. Dans le contexte de deux anniversaires chargés de signification - le 22e de la formation de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et le 95e du déclenchement de la révolution mexicaine -, le conseil de bon gouvernement fait le point sur les dernières avancées du processus de rébellion, de résistance et d’autonomie des zapatistes. Une affiche accrochée dans le local résume ces extrêmes historiques : un lutteur fortement charpenté, couvert d’une cape brillante et portant une ceinture de champion du monde, a un genou à terre et regarde devant lui d’un air de défi. Son visage est celui d’Emiliano Zapata. Au-dessous on peut lire : L’Autre Campagne.

« Il y a vingt-deux ans nous ne pensions pas que notre lutte prendrait cette forme. Au cours des années qui ont vu l’arrivée des compañeros et la construction de l’organisation de notre peuple, nous ne savions pas comment nous allions nous y prendre pour nous gouverner, mais cependant nous avons poursuivi notre chemin. En premier nous avons édifié les rangs de notre armée, et maintenant nous avons les conseils de bon gouvernement et les communes autonomes », dit le premier indigène qui avait pris la parole.

« À chaque moment important on se lance dans une réflexion, mais l’action, elle, continue. La pensée est quelque chose d’immense, qui ne s’arrête jamais. En examinant les situations qui se présentent à nous, nous voyons que nous pouvons grandir davantage, et nous comprenons que notre action peut s’adresser aux populations les plus éloignées du Mexique, afin que leur parvienne l’idée que nous pouvons nous gouverner nous-mêmes. Tous. Notre expérience vaut la peine, parce qu’elle aide à comprendre l’histoire. Celle de Zapata, par exemple ; non seulement nous l’avons lue, mais nous la vivons au quotidien. Les peuples du Mexique sont toujours dominés. On comprend beaucoup mieux cette histoire après ce que nous avons gagné avec notre résistance. »

Un vieil homme appuie les paroles de son compagnon : « Au regard de ce qui s’est passé, on a eu d’abord le feu, et ensuite la parole. Les compañeros qui sont assis là, en tant que gouvernement, peuvent apprécier la situation aussi bien au niveau de l’État qu’au niveau national, et ils voient comment agissent les différentes organisations, comment elles se comportent avec notre conseil de bon gouvernement », précise-t-il en montrant le conseil réuni dans les bureaux du caracol Tourbillon de nos paroles.

« Au commencement de cette entreprise, la participation des compañeras était difficile à obtenir. Maintenant elles s’y sont mises d’une façon plus libre, plus équilibrée », ajoute-t-il. Ce conseil se caractérise en effet par la présence d’un grand nombre de femmes. Elles atteignent ordinairement la moitié des effectifs, et bien que beaucoup d’entre elles ne maîtrisent pas l’espagnol, leur participation ne s’en ressent pas.

Le premier indigène reprend la parole : « À travers cette histoire de l’EZLN, nous nous souvenons que beaucoup ont péri, mais la parole est toujours là, et nous marchons avec la parole de nos morts. En ce moment où je vous parle, nous faisons tout notre possible pour continuer sur ce chemin, défendre la voie que nous avons choisie pour résister et construire un Mexique qui soit bon avec tous les compañeros laissés pour compte. Nous cherchons à nous mêler aux histoires de ceux, nombreux, que l’on traite comme nous : soit parce qu’on les a emprisonnés, soit encore parce qu’on les a expulsés de chez eux. Mais eux comme nous, nous sommes toujours vivants, et bien qu’affamés et assoiffés nous devons aller de l’avant. »

Un troisième indigène intervient : « Grâce au fait que nous avons notre organisation, il est difficile pour le gouvernement de nous attaquer. Nous avons conquis la liberté d’utiliser nos ressources et les terres, et cela malgré leur occupation militaire et toute leur contre-insurrection. Même nos frères priistes se rendent compte de ce que nous avons obtenu avec notre organisation. Sans elle, où en serions-nous ? »

Il ajoute : « Ceux du gouvernement veulent toujours nous écraser, mais ce n’est plus facile pour eux maintenant de nous poursuivre sans cause légale, comme ils faisaient auparavant. Il y a encore de la répression, mais ils sont obligés de nous respecter. Ça, c’est un changement que nous avons imposé. Il semble que beaucoup de priistes ne s’en rendent pas tout à fait compte, mais eux aussi sont bénéficiaires de ce droit des peuples dont nous autres zapatistes exigeons le respect. »

Le premier intervenant clôt la conversation en expliquant le rôle que jouent les célébrations actuelles : « Les fêtes nous apportent une détente par rapport à notre travail, elles nous aident à penser et fortifient notre cheminement. Demain nous ne savons pas ce qui nous attend, c’est pourquoi aujourd’hui il vaut mieux être joyeux. »

Hermann Bellinghausen
La Jornada, 21 novembre 2005.

Traduction : Jean-Pierre (Toulouse)

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