la voie du jaguar

informations et correspondance pour l’autonomie individuelle et collective


Accueil > essais et documents > récits et témoignages > Les zapatistes montrent au pays et au monde leur système d’écoles (...)

Les zapatistes montrent au pays et au monde
leur système d’écoles autonomes

mercredi 31 janvier 2007, par Amber Howard

Quand l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a entamé la phase publique de sa lutte, à la veille du nouvel an 1994, elle a arboré onze demandes, parmi lesquelles l’« éducation » (les autres étaient : travail, terre, toit, nourriture, santé, indépendance, liberté, démocratie, justice et paix). Treize ans plus tard, cette demande s’était vue satisfaite comme jamais auparavant, sur les hauteurs et dans les forêts du Chiapas. Mais les donateurs ne furent ni le gouvernement mexicain ni une quelconque institution.

Avant la rébellion, en ces terres rurales du Mexique, les écoles, qui comptaient parmi les plus pauvres, se trouvaient très éloignées et étaient peu nombreuses, mais, à ce jour, les communautés zapatistes ont créé de nouvelles écoles, formé des professeurs issus de leurs rangs et élargi la portée de l’éducation reçue par leurs enfants. Et ils ont accompli cela sans accepter ne serait-ce qu’un peso du gouvernement.

Le 31 décembre 2006, des milliers de zapatistes et de visiteurs du Mexique et du monde entier se sont retrouvés dans la montagne, dans le village d’Oventik, pour la réunion des peuples zapatistes avec les peuples du monde, qui réservait une session entière dédiée à l’« Autre Éducation », au cours de laquelle les autorités civiles de divers endroits du territoire zapatiste ont expliqué ce qui a été réalisé et ce qu’ils espéraient faire dans le futur.

L’idée centrale, derrière la création de l’Autre Éducation consiste à enseigner aux jeunes l’histoire, le langage et la culture du peuple, ainsi que de les préparer à être utiles à leur communauté, chose que le gouvernement n’a jamais réussi à mettre en œuvre. Les représentants Lucio et Magdalena ont parlé du Caracol II (caracol étant le terme utilisé pour décrire les cinq centres de bon gouvernement des villages zapatistes), dont le siège se situe à Oventik. Ils ont expliqué : « À cause de la piètre qualité de l’éducation du gouvernement, nous avons commencé à créer notre propre éducation. Le modèle éducatif du gouvernement ne servait à rien d’autre qu’à détruire la Terre-Mère et toute l’humanité, pour développer des études qui favorisaient les intérêts des puissants. »

Eux veulent un modèle éducatif qui maintienne leurs jeunes proches des communautés, qu’ils soient productifs pour le bien commun. « Le gouvernement ne nous a pas donné nos écoles, nous avons dû les construire nous-mêmes, depuis 1998. Ces écoles ne sont pas reconnues par le gouvernement. Elles sont pour nos gens, ici dans la forêt. Cela nous a beaucoup coûté, mais elles sont en train de grandir », explique Gustavo, du Caracol III, dont le siège se situe à La Garrucha.

Saul, un éducateur zapatiste, décrit comment, depuis 1994, les professeurs du gouvernement ont continué d’essayer de venir dans les territoire autonomes en rébellion, mais alors en tant qu’espions. « Nous allons voir ce qu’ils sont en train de faire, ces zapatistes. Quel genre de mouvement ils promeuvent là-bas ? » Ils venaient avec des provisions obtenues auprès de l’armée, utilisaient les hélicoptères pour apporter du matériel scolaire, etc. « Nous avons dit « Ça suffit. Ce n’est pas bien » », se souvient Saul. « Cela n’a pas été facile, nous-mêmes nous ne savions pas lire. Mais nous nous améliorons et nous apprenons dans le même temps. Maintenant nous pouvons enseigner notre culture, notre langue et notre histoire. » Voilà les humbles débuts de l’Autre Éducation.

Même si la création d’une éducation autonome suppose des défis, les communautés zapatistes disent que tout prend forme d’en bas, avec les gens de la communauté, en apprenant au fur et à mesure qu’ils avancent. « Nous apprenons en cheminant, coude à coude avec notre éducation », explique Concepción, du Caracol V, dont le siège se situe à Roberto Barrios. « Nous avons commencé à penser : quelle serait l’éducation appropriée ? »

L’un des aspects les plus importants de l’Autre Éducation consiste à récupérer les valeurs culturelles, les façons de parler et de comprendre les autres dans les communautés. Cela s’était perdu avec l’éducation gouvernementale, et provoque beaucoup d’enthousiasme chez les gens, de revenir à cela, tout spécialement par le biais des langues tzotzil, tzeltal, tojolabal et ch’ol, entre autres. Il est essentiel que les classes soient données dans la langue natale, pas seulement pour son importance culturelle, mais également parce qu’il s’agit de la langue principale à la maison et donc celle la plus à même d’être comprise par les enfants.

Selon les explications de Lucio, diplômé local de dix-huit ans : « Nous parlons notre propre langue. Nous sommes en résistance. Notre éducation nous enseigne ce qu’est que le néolibéralisme, ce que signifie être autonome. Les professeurs du gouvernement étaient souvent absents, car ils disaient qu’ils étaient mal payés. Ils essayaient de nous dire de seulement chercher du travail, et de ne pas lutter ou résister contre le gouvernement. Mais, nous, nous croyons que nous faisons les choses pour le bien de tous. Nous devons le faire tous ensemble. »

Outre l’importance d’apprendre l’histoire, la culture et la langue locales, les représentants du Caracol III ont également mentionné le besoin critique d’études environnementales et d’égalité des genres dans l’éducation. « L’environnement est la source de la vie. Nous devons apprendre concernant la conservation de la biodiversité. Nous croyons en une éducation environnementale qui promeuve l’attention à notre Terre-Mère de façon réfléchie, critique et consciente. Nous voulons enseigner des solutions possibles. Nous voulons aussi que nos enfants apprennent sur la liberté, la dignité et apprennent à valoriser les être humains, les hommes comme les femmes. »

Les quatre principales matières de l’Autre Éducation sont :

● Histoire : de la région locale, de la lutte zapatiste, du Mexique et du monde.
● Langues : langues locales et espagnol.
● Mathématiques.
● Agroécologie : comment prendre soin de l’environnement par le biais de la pratique de l’agriculture biologique et le rejet des graines transgéniques, entre autres moyens.

Les étudiants apprennent également des moyens de se rendre utiles à la communauté en même temps qu’ils assistent aux cours, tels l’entretien des potagers, la production de grains, les problèmes de la terre et l’élevage d’animaux, poulets, brebis et cochons. De cette façon, ils acquièrent des connaissances pratiques et obtiennent un salaire pour soutenir les « promoteurs d’éducation » (nom donné par les zapatistes aux instituteurs), qui sont issus de la population locale, ne reçoivent aucun salaire et font leur travail par désir d’élever la conscience de leur communauté.

Les promoteurs sont natifs des communautés dans lesquelles ils enseignent. De ce fait, ils comprennent la culture, la langue natale et l’histoire et peuvent l’inculquer à leurs étudiants. « Avant, nous avions des professeurs du gouvernement. Nous nous sommes rendu compte qu’ils n’enseignaient pas ce que nous voulions à nos enfants. Ils n’étaient qu’un instrument de plus du gouvernement fédéral », décrit Saul, du Caracol I. Les représentants du Caracol IV ajoutent : « Les professeurs du gouvernement n’enseignaient rien de notre culture et de notre langue. C’est ainsi que nous autres, en tant que communauté et en tant que parents, nous avons commencé à nous organiser, au cours de réunion avec d’autres zapatistes pour planifier l’Autre Éducation. Lors de ces réunions, nous nous sommes mis d’accord pour enlever nos enfants des écoles du gouvernement et nommer nos propres promoteurs d’éducation. »

Ces promoteurs sont formés par des professionnels, pour ensuite former une autre génération de promoteurs locaux de leurs communautés. Il est important de noter que ces promoteurs apprennent en même temps que leurs étudiants. Ce n’est pas le genre d’éducation où le professeur sait tout et les étudiants rien. Ils sont plutôt des promoteurs, des personnes dans la communauté qui s’engagent à promouvoir différents types de travaux et de connaissances. Un représentant du Caracol I les décrit : « Nous avons créé 72 nouvelles écoles autonomes et formé 20 promoteurs d’éducation. Ces 20 promoteurs ont pour leur part formé 80 autres promoteurs, devenant ainsi la première génération de notre éducation autonome. Maintenant, nous en sommes à la troisième génération de promoteurs et nous disposons de 147 promoteurs qui travaillent avec 1 726 étudiants. »

À l’intérieur des écoles, les étudiants ne sont pas organisés par grades ni évalués par des examens, ils ne reçoivent pas de note finale, toutes pratiques typiques dans les écoles du gouvernement. Au lieu de cela, tout particulièrement s’il y a beaucoup de promoteurs dans une communauté, les enfants sont divisés par âge et niveau de connaissances. Mais, dans la plupart des cas, il n’y a qu’un promoteur par communauté et donc pas de division des étudiants mais une classe unique, à plusieurs niveaux, dans laquelle les étudiants les plus âgés enseignent également aux plus jeunes. Tout cela est très différent des écoles du gouvernement, dans lesquelles très fréquemment les enfants indigènes étaient marginalisés, moqués et punis quand ils parlaient leur langue natale. Il n’y avait alors aucune appréciation de la richesse des différentes personnes et de leurs différentes façons d’être.

Le principe du travail collectif est l’un des principes les plus importants de la vie zapatiste. Chaque membre de la communauté réalise un travail et les résultats sont partagés, cela incluant les semailles, le transport, l’éducation, etc., décrit Jesús, du Caracol V. « Nous autres, nous croyons à la collectivité, au soutien de notre communauté comme un tout. Nous voulons que nos enfants sachent cela, et qu’ils s’ouvrent à la valeur de la vie et de l’endroit qu’ils occupent dans le monde. Les enfants perdent leur culture quand ils vont à l’école et apprennent des choses qui ne vont pas de pair avec leur mode de vie. » Au contraire, dans les écoles du gouvernement, chaque personne est motivée à s’en sortir par ses propres moyens, ce qui signifie souvent chercher du travail loin à la ville, ou dans une quelconque grande entreprise. « Nos enfants ne vont pas à la ville continuer à travailler dans des emplois individuels, mais ils commencent à soutenir la communauté quand ils ont leur diplôme », insiste un représentant du Caracol IV.

Pour les zapatistes, cela signifie que les étudiants, quand ils terminent le collège, se concentrent sur les besoins urgents de la communauté et aident à l’éducation des autres. On enseigne aux étudiants à générer des produits et de la nourriture, en leur donnant du travail dans les semailles, les arts, la santé, ce dont ont besoin les personnes de cet endroit, et non pas ce dont on aura besoin dans un futur très éloigné. Étant donné que l’éducation autonome n’est pas reconnue hors du territoire rebelle, les diplômés ne peuvent pas continuer leurs études. Ainsi que le rappelle Diego, un père de famille : « Mon fils a eu son diplôme, l’année dernière à l’École secondaire rebelle autonome zapatiste de la zone, la première créée en territoire rebelle, à Oventik. Il voulait continuer à étudier, mais comme il n’a pas pu, il a fini par travailler comme professeur à l’école primaire. » L’un des plus grands rêves de l’Autre Éducation est d’avoir un jour un lycée et une université autonomes, pour que les étudiants puissent approfondir leur éducation.

Bien que les communautés aient continué à inculquer l’Autre Éducation à leurs enfants avec passion, ce ne sont pas les luttes qui ont manqué. Beaucoup d’adultes ne savaient ni lire ni écrire. Pour cette raison, il est difficile de trouver des promoteurs issus des mêmes communautés. De même, très souvent, les promoteurs ne peuvent continuer à enseigner ou à former les autres. À cause de la nécessité de voir leurs familles, d’acheter de la nourriture ou des vêtements, peu d’entre eux finissent la formation, laissant un bon nombre sans éducation consistante.

Une autre difficulté est le manque de ressources. Une fois qu’il a été décidé de tout construire d’en bas, sans l’aide du gouvernement, cela a été une lutte constante de réunir les matériaux nécessaires à la construction des écoles et les fournitures des étudiants. « Nous avons beaucoup de choses que nous voulons construire, mais nous ne pouvons pas, faute de moyens. » Mais il vaut la peine, ce but d’avoir la liberté d’une éducation autonome, disent les représentants du Caracol IV. « Nous pouvons faire la classe à nos enfants dans une maison, ou sous un arbre, peu importe. Nous n’avons pas besoin de l’argent du mauvais gouvernement. Nous avisons pour aider nos promoteurs, et aider ainsi tous les gens de la communauté. »

Patricia, du Caracol III, a évoqué comment tout est bâti par les gens, jusqu’aux écoles aux toits de palme et de tôle. L’engagement de la communauté est en réalité la base de l’Autre Éducation. Les parents envoient des portions de haricots, de maïs et de bois aux enfants pour qu’ils disposent de la nourriture dont ils ont besoin quand ils sont à l’école. De nombreux groupes internationaux ont soutenu le mouvement zapatiste en leur donnant des sources de revenus pour créer plus d’écoles, cela incluant des groupes de Norvège, de Suisse, du Danemark, de Grèce et des États-Unis, entre autres.

L’Autre Éducation est fondée sur la construction d’un monde nouveau, qui valorise l’être et non l’avoir. Les zapatistes croient au réalisme : vérifier ce dont la communauté a réellement besoin pour sa propre libération, en éduquant les étudiants à propos de cette demande. Malgré tous les manques et les défis, ainsi que le résume la commandante Concepción, du Caracol IV : « L’éducation ici est nôtre. En tant que zapatistes, nous avons commencé à nous organiser ici, dans nos territoires, et cela nous a posé des problèmes. Mais c’est que ce n’est pas pareil, l’éducation donnée par le gouvernement, et nous avons commencé à nous rendre compte de cela. Ils nous obligeaient à apprendre ce dont ils avaient envie, et nous avons commencé à résister. L’éducation qu’ils donnaient à nos enfants n’était pas bonne. Nous devions opérer ce changement, créer l’Autre Éducation. »

Le dialogue avec des représentants des différents caracoles a été une des démonstrations publiques pour beaucoup, du monde autonome et rebelle des communautés zapatistes. Avec un auditoire si nombreux de personnes du monde entier qu’il ne tenait pas dans l’école, la réunion a dû être déménagée dehors, pour avoir plus de place. Ce fut l’opportunité de voir le mélange des sans-visage locaux et leurs broderies compliquées, des étudiants, des professeurs et autres, venant de tous les recoins du monde, tous ensemble, pour être témoins de la présentation d’une alternative au système gouvernemental capitaliste, de ce qui peut être obtenu quand les gens d’en bas s’unissent pour être utiles à leur propre communauté.

Beaucoup de monde, dont Beatriz Gutierrez, une professeur indigène de l’Oaxaca, était impatient de voir ces présentations pour la raison suivante : « Je veux voir plus loin que les paroles, et voir quelle est la réalité de ces salles de classe. » Elle a suggéré d’organiser une réunion spécifiquement éducative, au cours de laquelle les professeurs se réuniraient avec un groupe de quinze étudiants et montreraient leur façon de travailler dans les salles de classe, pour créer une autre forme d’entraînement. D’autres ont proposé des réunions en groupes plus restreints pour apprendre de la variété des expériences de tous les participants. Cependant, comme Gustavo, un zapatiste local, l’a fait remarquer : « Il n’y a aucun standard, aucun livre qui puisse être écrit sur la manière correcte d’enseigner dans le monde entier. Chaque communauté est différente. Nous, nous continuons d’apprendre, pour partager notre manière de faire avec ceux qui viennent nous écouter. »

Cette réunion des zapatistes avec les peuples du monde est une préparation en vue d’une réunion de dix jours, du 21 au 31 juillet prochain, où les participants voyageront dans tous les caracoles du territoires zapatiste pour un regard toujours plus profond sur l’expérience de la vie autonome et rebelle de ces treize dernières années. Quiconque est intéressé est invité à participer, à partager ses points de vue et expériences de lutte. Ainsi que le lieutenant-colonel insurgé Moisés le rappelle aux internationaux : « C’est maintenant le moment de nous organiser et de voir comment, ensemble, nous pourrons affronter le mal du néolibéralisme et de son offensive contre l’humanité. »

Amber Howard
Spécial pour Narco News Bulletin.

Traduit par Véro.
Source : narconews.com
6 janvier 2007.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

SPIP | Octopuce.fr | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0