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Lune de miel à Majorque

jeudi 14 mars 2019, par Miquel Amorós

La destruction durable et implacable du littoral et de l’intérieur plus ou moins proche, n’est pas un phénomène exclusif de Majorque, mais de toute la Méditerranée, de sorte que ses effets sont plus ou moins visibles partout, en fonction du niveau d’avancement de la spéculation immobilière et de la construction de périphériques ou de déviations.

La particularité des îles Baléares est que ce phénomène s’observe à l’état pur et à échelle réduite, ce qui en fait un laboratoire où il est possible d’étudier l’involution d’une petite partie de la société, entourée d’eau, en fonction de l’adaptation de ses ressources territoriales et de ses atouts culturels, communs, à une seule activité économique, privée et ne poursuivant qu’un enrichissement personnel.

Sans aucun doute, tous les maux des Majorquins proviennent du tourisme. Le tourisme est la cause principale de la destruction du territoire et de l’extrême conditionnement de la vie de ses habitants. En seulement cinquante ans, il a transformé l’île beaucoup plus profondément que tout ce qui s’est passé au cours des deux derniers millénaires, pourtant riches en changements. Il faudrait remonter à la conquête chrétienne du XIIIe siècle pour revoir Majorque devenue un immense butin. Le tourisme a dévoré le stock de terrain et inondé l’île d’asphalte, de ciment et de résidus polluants. S’il continue, même sans croissance, il n’y aura plus de recoin à sauver de la dégradation la plus abjecte.

Je n’entends pas par tourisme l’empressement du voyageur qui s’aventure à la recherche de lieux pittoresques animé par la curiosité vers autres lieux et autres personnes. Le touriste d’aujourd’hui ne visite pas Majorque pour observer les coutumes du peuple majorquin, minoritaire et étranger dans son territoire, pour contempler ses monuments historiques ou pour découvrir ses paysages, incapable de les apprécier. Il est déversé à la pelle pour de courts séjours à l’aéroport de Son-Sant-Joan et dirigé vers la côte, où il trouvera un espace sur mesure, dévasté et complètement marchandisé, pensé seulement pour le loisir et la satisfaction de ses besoins essentiels de soleil et plage comme les façonne l’entreprise touristique. Tout le reste, de la nourriture à la détente, doit ressembler le plus possible à ce qui caractérise la vie aliénée qu’il mène dans son pays d’origine, bien gravée dans son imaginaire perturbé. Le touriste ne veut rien contempler d’autre que lui-même, c’est pourquoi il emporte son monde avec lui. Le touriste d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le voyageur romantique du XIXe siècle ou avec l’intellectuel qui s’ennuyait de la métropole du XXe siècle. C’est un produit de la société de consommation, salarié, étudiant ou retraité, dont les loisirs grégaires font l’objet d’un profit économique.

Au moins, depuis les années cinquante du siècle dernier, le tourisme majorquin est une activité industrielle en expansion qui exploite une main-d’œuvre importante et apporte des bénéfices substantiels aux exploiteurs. Cette industrie est responsable de la conversion de l’ancienne société agraire majorquine, presque féodale, hiérarchisée et cléricale, en une société de masse moderne encore plus stratifiée, gouvernée par un sommet immoral de politiciens, hommes d’affaires et financiers. Et responsable du changement accéléré d’une stricte moralité catholique en une mentalité permissive, surtout en ce qui concerne les affaires. Ainsi, le culte de la Mare de Déu de Lluc a été remplacé par celui du Veau d’or. Une société de prêtres et de caciques, née de la victoire du camp fasciste dans la dernière guerre civile, a trouvé le moyen de se prolonger, économiquement et politiquement, en transformant tout son territoire en une banlieue touristique des classes salariées qui habitent les tristes conurbations européennes. En effet, le tourisme est une activité industrielle, pratiquement la seule de l’île ; toutes les autres en dépendent et, dans une large mesure, toute sa population y est captive, en subissant, consciemment ou inconsciemment, les conséquences. Tout est économie équivaut ici à tout est devenu marchandise touristique : la géographie, la végétation, l’eau, le climat, l’idiosyncrasie, l’histoire, les gens. Malheureusement, « le tourisme, nous sommes tous et c’est la tâche de tous », tel que le prévoit l’un des slogans de la classe dirigeante locale, c’est-à-dire que tous les Majorquins doivent se mouiller dans ce qu’on appelle en d’autres lieux la « baléarisation », certains tirant profit personnellement, et d’autres, le plus grand nombre, l’endurant comme victimes. Les uns oubliant le catalan et d’autres apprenant l’anglais.

Bien que le tourisme ait créé une nouvelle société de classe à partir des ruines de la précédente, la situation conflictuelle au travail n’a jamais été perceptible ; les luttes ouvrières n’ont pas accompagné de manière significative le développement urbain de Palma et de la côte. La première grève fut celle de l’hôtel Bellver en 1973. En 1977, dans le bouillonnement des luttes survenant dans l’ensemble du pays, des grèves eurent lieu dans la construction et les stations-service employant des méthodes assembléistes. La grève du personnel de l’hôtel Lotus Playa en 1979, la dernière à mériter encore ce nom, eut déjà lieu au moment de l’institutionnalisation des syndicats, un fait qui provoqua la disparition rapide du mouvement ouvrier majorquin.

La faiblesse du prolétariat insulaire pourrait s’expliquer en considérant qu’à Majorque la transition de la société agricole traditionnelle au capitalisme moderne ne s’est pas faite par le biais de l’usine mais par celui de l’hôtel. L’économie passa soudainement de la production agricole à des activités telles que l’hôtellerie, la logistique et la construction. Mais bien qu’on ait pratiquement fait disparaître l’agriculture, la campagne ne s’est pas dépeuplée, mais se recycla dans le secteur des services, finissant ainsi par augmenter sa population. Le prolétariat nécessaire à l’expansion de la nouvelle économie vint de la Péninsule, et non des villages majorquins. Les « booms » successifs du tourisme créèrent du travail en abondance qui, bien qu’il fût de qualité inférieure, permit une survie suffisamment supportable pour ne pas poser davantage de problèmes que ceux relatifs aux conventions. Il est plus, vu du point de vue strictement du travail, syndicaliste, il y avait une similarité d’intérêts entre la croissance du tourisme et les travailleurs, employés majoritairement dans une aussi pernicieuse activité, indifférents à ses effets nuisibles, parasités par ailleurs par une bureaucratie experte en démobilisations. En dépit des efforts du mouvement libertaire, la critique sociale de la dévastation du territoire ne naîtra pas dans le milieu ouvrier, c’est pourquoi elle manquera durant très longtemps d’une approche de classe, anticapitaliste. Par conséquent, la critique du tourisme sera séparée de la critique de l’économie.

Le développement de la monoculture touristique devait aller au-delà des espaces du sud de l’île autour de Palma et Calvià, où il était momentanément confiné, pour entrer brutalement dans n’importe quel terrain accessible, de sorte que la construction de routes et d’autoroutes devint la priorité absolue. Compte tenu de l’insularité de Majorque ou plutôt, compte tenu de la disponibilité très limitée de terrains urbanisables, le conflit territorial était entamé. La confrontation d’intérêts opposés, des promoteurs d’une part, et des défenseurs de l’environnement de l’autre, ne tarda pas à se produire. Le caractère incontrôlé et destructeur d’une industrie extractiviste telle que le tourisme, eût pour conséquence sur le territoire un impact totalement sauvage, créant par ricochet dans une partie du quartier, une conscience territoriale qui se concrétisa bientôt sous forme de protestation organisée.

L’occupation de Sa Dragonera, la lutte contre l’autoroute Palma-Inca et la mobilisation pour la préservation de la plage d’Es Trenc entre 1977 et 1983 ont marqué une première étape dans la défense du territoire. La tertiarisation de l’économie, en favorisant l’appropriation privée des revenus considérables du tourisme au détriment de la dégradation de toute l’île, provoquait une confrontation entre l’élite extractive et les habitants qui, sans le désirer, se voyaient placés au milieu du désastre. La pression accrut avec le pas franchi entre l’occupation intensive du territoire, caractéristique de l’industrie touristique initiale, et l’occupation plus extensive propre aux résidences secondaires, dont l’urbanisation de la Part Forana en fut le témoignage. Avec le développement de la nouvelle classe moyenne et, par conséquent, de son style consumériste, la spéculation se démocratisait, autrement dit, une demande intérieure apparaissait.

Le débarquement du capital international aggrava encore les tensions. « Majorque sera la résidence secondaire de l’Europe », déclara le cacique Gabriel Cañellas pendant que plusieurs bateaux-citernes transportaient de l’eau de l’Èbre pour les touristes de la Bahia de Palma. À l’époque, les recettes touristiques couvraient le déficit de balance des paiements de l’Espagne, de sorte que ces déclarations étaient très bien vues à Madrid. La manifestation de novembre 1998 contre la construction de lotissements résidentiels montra une capacité de mobilisation de la société civile digne de considération, dépassée par celle de février 2004, point culminant de cette lutte de défense du territoire. Cette défense fut le résultat d’un antagonisme qui prenait à chaque fois une tournure plus radicale, puisque le tourisme colonisait entièrement la vie quotidienne de tous les Majorquins et les déracinait de leur propre pays, sans pour autant parvenir à faire émerger un sujet autonome. Notez que durant cette même période, qui correspond au moment où le gouvernement du « Pacte de progrès » dirigeait le pays, régnait une paix territoriale relative bien que le territoire continuât à être pillé. Plus précisément, l’absence d’un collectif de lutte conscient de son opposition totale au tourisme de masse, aux projets d’aménagement et d’urbanisation et à tout ce qu’ils impliquaient, des centrales thermiques aux grandes surfaces, en passant par les incinérateurs, les autoroutes et les marinas, autrement dit, conscient de son anticapitalisme, fut la raison pour laquelle la défense du territoire était du genre nimby, « pas dans mon jardin », et ne dépassait pas la phase des recours juridiques, le sentimentalisme identitaire et la subordination à la politique caractéristique des plates-formes citoyennistes.

Les luttes purement défensives au sein d’une économie non critiquée disparaissent d’elles-mêmes, par leurs propres limites. La résolution définitive du conflit territorial ne pourrait pas consister en une législation protectrice qui libérerait le tourisme de la corruption et l’orienterait vers des formes d’exploitation moins agressives, en sauvant une partie plus ou moins grande du territoire, mais dans le démantèlement de l’activité touristique elle-même. En finir avec le tourisme industriel implique une lutte prolongée contre la classe dominante que cette activité a engendrée, la classe la plus prédatrice de l’histoire des îles Baléares, très avancée en termes de corruption et très traditionnelle pour ce qui concerne la piraterie.

La gravité des agressions qui accompagnent la prolétarisation du territoire majorquin, surpeuplé, supportant un niveau élevé de massification, avec tous les indicateurs de stress touristique au rouge, a conduit une partie de la classe dominante insulaire, jusqu’à récemment minoritaire, à la conviction de prendre des mesures écologistes sans lesquelles le désastre est impossible à administrer. Même les dirigeants les plus obtus savent ce que signifie la perte de qualité d’une vie prisonnière du tourisme. La préservation de l’intérêt privé ne peut plus se passer de la formulation d’un intérêt général, c’est-à-dire d’un véritable intérêt de classe, de nos jours écologique.

Paradoxalement, l’écologie apparaît aujourd’hui comme une solution aux contradictions du tourisme industriel, par l’intermédiaire d’un développement « durable » fondé sur l’intégration du coût environnemental à la facture de l’activité touristique. Les taxes en seraient un léger exemple. Le capital accueille en son sein l’environnement, ce qui est en soi un fait important, un tournant écodéveloppementiste déterminant. Le scandale de la corruption facilitera le remplacement de l’équipe enlisé de droite, et les institutions, aux mains de « la gauche », seront chargées de promouvoir un grand pacte entre les entreprises internationales, les hommes d’affaires locaux, les syndicats et les « mouvements sociaux », en faveur d’un tourisme plus désaisonnalisé, plus diversifié et plus « vert ».

La nature peut aussi être une activité commerciale à condition que la voiture permette de s’y rendre. La sursaturation des baigneurs de la crique Mondragon en est un exemple concret. La politique des Baléares, toujours soumise à la dictature du marché touristique, devient écologiste et les écologistes apparaissent dans les listes électorales, témoignant d’une conciliation entre divers intérêts, ceux de l’exploitation des ressources de l’île et ceux de la population, par le biais de lois, d’écotaxes, de procédures environnementalistes et de moratoires urbanistiques. Le modèle touristique lui-même ni la croissance de l’activité ne sont à aucun moment mis en cause, mais ils sont tous deux soumis à une réglementation restrictive visant à atténuer les excès antérieurs. La nouvelle politique s’inscrit dans la nouvelle phase du capitalisme des Baléares, celle qui correspond au compromis entre le tourisme de masse, l’institutionnalisation de la langue catalane et la protection de l’environnement. En réalité, il ne s’agit rien de plus que de l’administration neutre des ressources à la poursuite d’une « marque » réhabilitée ou présenté de manière plus discrète, dans un « nouveau modèle touristique », également développementiste mais contrôlé, ce qui reste encore à voir.

La défense du territoire et de la culture, dans la mesure où elle cherche à faire partie de la politique institutionnelle et est admise par elle, perd sa condition de lutte sociale et cesse d’exprimer le combat entre oppresseurs et opprimés qui l’avait déterminée durant la période de corruption. La lutte contre la classe dirigeante ne doit pas se contenter du simple remplacement de ses chefs, certains poursuivis pour leurs délits et d’autres écartés par leurs responsabilités politiques, ni par un réaménagement du territoire suivant de nouvelles lois.

L’empreinte écologique des Baléares est équivalente à celle d’une étendue six fois plus grande. Le degré de décomposition sociale dû au modèle touristique qui, rappelons-le, ne constitue qu’un élément du tissu économique mondialisé, a atteint un point tel que même le problème le plus trivial — que l’eau du robinet ait un goût d’eau — exige des solutions qui le questionne dans son ensemble (le tourisme est la forme spécifique que prend le capitalisme mondial aux Baléares), puisque ces solutions impliquent une transformation complète des relations sociales et de l’espace qui les abrite. Ainsi, un problème aussi sérieux que celui de l’énergie ne pourra jamais être résolu sans remplacer l’économie de marché et l’État par une autre forme de coexistence sociale plus juste, plus équilibrée et plus égalitaire, étrangère aux médiations commerciales et partisanes. Aucune énergie décentralisée ne pourrait être implantée socialement sans démanteler les structures dominantes, en supprimant les profits privés et avec eux, l’exploitation du territoire et de ses habitants.

L’industrie touristique est totalement tributaire de l’eau et de l’énergie. Elle n’aurait pas été capable de répondre au premier « boom » sans les retenues d’eau de Gorg Blau et Cúber, et sans la centrale thermique d’Es Murterar, ainsi qu’elle n’aurait pas été capable de répondre au second, celui de la « démocratie », sans l’usine de dessalement de Son Togores et l’incinérateur de Son Reus, produisant également de l’énergie. Les aquifères étant surexploités, le problème de l’eau reste à résoudre. Considérée comme une marchandise, l’énergie est un puissant facteur de concentration de pouvoir ; les câbles sous-marins, le pipeline et le gazoduc sont les chaînes avec lesquelles le pouvoir des multinationales de l’énergie détient la société majorquine. Cependant, la production autochtone reste nécessaire pour éviter les catastrophes de dépendance absolue en cas de panne ou de sabotage.

L’arrivée de gaz en abondance, associé à l’incinération, a conduit à la construction de centrales thermiques à cycle combiné, véritable pari énergétique du gouvernement des Baléares, qui malgré tout n’a pas encore supplanté le charbon, source toujours principale d’énergie. Les lignes à haute tension sont les tentacules de l’urbanisation qui, de toute évidence, continue de progresser, sans se heurter à la moindre opposition qui aille au-delà de la revendication d’un tracé différent. Les usines de production d’énergies renouvelables n’existent que comme refuge pour le capital immobilier, les prix de l’électricité et du gaz continuant d’augmenter et les investissements paraissant récupérables en cinq ou six ans.

En réalité, les projets de production d’énergie d’origine renouvelable, essentiellement solaires, n’expriment pas une transformation du capitalisme à Majorque, finalement soucieux de la diversité et d’une prise en considération de la vie avec la nature, et encore moins le début d’une « transition énergétique » ; il s’agit seulement d’une tentative d’affaire, effectuée par des groupes d’entreprises de circonstance soutenus par des banques. Ils ne remettent pas du tout en question le tourisme de masse, puisqu’ils obéissent à des intérêts privés, non sociaux, et suivent des critères centralisateurs caractéristique du thermique et du nucléaire : investissement important, grande taille, consommation accrue de terres et connexion au réseau traditionnel permettant d’amener l’énergie à des endroits éloignés. D’autre part, l’électricité n’est pas la forme d’énergie hégémonique d’une île qui compte un million de véhicules à moteur. Aujourd’hui, la dépendance aux combustibles fossiles est totale et le modèle énergétique est celui de toujours, puisqu’il est étroitement lié au modèle touristique de masse, mais les conventions internationales contre le changement climatique garantissent aux investisseurs qui s’aventurent dans les énergies renouvelables industrielles une part appréciable du gâteau énergétique.

La particularité industrielle des centrales solaires photovoltaïques rend le caractère renouvelable de l’énergie produite douteuse. Il faut de vastes étendues de terre (presque toujours agricoles), des matériaux de construction, des routes d’accès, des transformateurs, des structures de soutènement, des câbles et des accumulateurs, le tout ayant un certain coût énergétique. L’impact visuel est toujours négatif. La construction de panneaux solaires implique une consommation d’aluminium, d’acier et de verre, mais c’est la fabrication de wafers de silicium cristallin ou amorphe qui présente la facture énergétique la plus élevée et génère des déchets des plus polluants (gaz, poussières, résidus de wafers). Le silicium, bien qu’il soit abondant dans le monde, est assez coûteux sous la forme requise et, en outre, sa production est concentrée dans quatre pays qui monopolisent le marché. L’arséniure de gallium, le tellurure de cadmium ou les sulfures et les séléniures d’indium et de germanium sont plus efficaces ou moins chers, mais tous ces éléments sont rares et par conséquent non renouvelables. Son obtention nécessite des processus très violents sur le territoire et fortement consommateurs d’énergie. D’autre part, l’efficacité des panneaux n’est pas totale ; elle dépend de l’ensoleillement, de l’inclinaison et de l’orientation.

Finalement, le parc doit être associé à une source d’énergie fossile, puisqu’il ne fonctionne pas quand il n’y a pas de soleil. Les experts minimisent de manière intéressée le taux de rendement énergétique du panneau à quatre ans, alors que sa durée de vie est de vingt à trente ans, mais, selon toute vraisemblance, les panneaux devront fonctionner beaucoup plus longtemps pour compenser l’énergie non renouvelable utilisée dans la construction de l’ensemble. La production industrielle d’électricité à partir de la lumière du soleil est douteusement propre, mais elle a l’avantage d’être en phase avec le tournant vert de l’économie capitaliste, et donc, d’être parfaitement compatible avec le tourisme industriel.

Bref, on ne peut pas envisager rigoureusement un modèle d’énergie renouvelable déconnecté d’un modèle social non développementiste et, pire encore, éloigné d’une lutte cohérente contre le capitalisme, qui, sur l’île, est une lutte contre toutes les formes de tourisme industriel et toute infrastructure, et notamment l’aéroport. C’est le maillon faible de la chaîne touristique : sans aéroport, il n’y aurait pas de tourisme. La lutte pour une société stable, décentralisée, coopérative et écologique est fondamentalement une lutte contre les intérêts créés par l’exploitation du territoire, et par conséquent, une confrontation avec l’oligarchie politique, économique et financière qui dirige le destin de l’archipel. Elle est écologique, culturelle, sociale et antiparlementaire, en opposition radicale à la croissance économique.

Le plus élémentaire des réalismes nous dit que nous ne devrions pas compter sur des propositions qui promettent un capitalisme moins néfaste, une motorisation plus électrique, un retour à la terre subventionné, voire un tourisme durable, le tout contrôlé par des institutions autonomiques (régionales), là où l’on dit que se trouve le pouvoir « citoyen ». Cela semble être le cas des partis qui soutiennent la coalition au pouvoir actuelle, mais on ne peut pas non plus faire confiance à des alternatives similaires venant de la société civile telle qu’elle est, démobilisée et consumériste, à laquelle croient certains mouvements dits « sociaux ». Le régime économique et social qui domine Majorque n’est pas réformable ; il n’y a pas d’autre choix que de le démanteler. La destruction est telle que le moindre changement réel nécessitera des mesures drastiques, impossibles à adopter dans le cadre d’un régime économique, social et politique tel que le régime actuel. La critique sociale doit s’attaquer à la racine de tous les problèmes. Les contre-institutions issues des mobilisations et des débats en assemblée doivent en être l’instrument.

Miquel Amorós
Causerie du 27 octobre 2016
à l’Ateneu Lo Tort, Manacor (Majorque).

Luna de miel en Mallorca.
Traduit de l’espagnol par Henri Mora.

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