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Notes sur les manifestations et révoltes au Brésil

jeudi 25 juillet 2013, par RAAIP (Date de rédaction antérieure : 18 juillet 2013).

Au cours des dernières semaines, de grandes manifestations se sont répandues dans les rues, avenues et autoroutes de plusieurs villes du Brésil. Discutables, manipulatrices et policières, les nouvelles divulguées par les mass media ne coïncident pas avec les faits, actions et motivations observés dans les rues. Écrit collectivement dans le cadre du Réseau anticapitaliste et non partidaire d’information politique (RAAIP), le récit qui suit présente une perspective informative et libertaire de ces manifestations. Cet effort de communication autonome a comme objectif d’informer des individus et organisations libertaires d’autres pays, de faire en sorte que soient connus publiquement certains antécédents de ces manifestations, l’indignation collective face à la violence étatique, la manipulation médiatique des faits, et la lutte des peuples contre l’injustice sociale et l’exploitation au Brésil.

Contexte

Au cours des dernières années les élites brésiliennes ont fait la promotion d’une série d’actions pour consolider le passage en force de leur projet de capitalisme/étatisme national. Avec comme référence les politiques de développement de pays comme la Chine et l’Afrique du Sud, à travers des coopératives public-privées, l’État fait la promotion de différents programmes d’accélération de la croissance (PAC) en accord avec l’Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale sud-américaine (IIRSA). Pour mener à bien ce programme, ils déboisent des zones de forêt chaque fois plus grandes, ils construisent des barrages sur de grands fleuves pour produire l’énergie pour des zones industrielles grâce à de grosses centrales hydroélectriques. La construction d’infrastructures pour la promotion de l’industrialisation lourde se fait une fois de plus au détriment des populations dans le besoin et des peuples indigènes expulsés de leurs territoires. Les transports de passagers et de marchandises au Brésil dépendent en grande partie des combustibles fossiles qui sont chaque fois plus chers. Tous les ans, les prix des aliments augmentent. Les politiques de production du biodiesel promues par le gouvernement mènent le pays à une crise alimentaire sans précédent. Chaque fois plus de terres cultivables utilisées pour l’alimentaire sont destinées à la production de biocombustibles. Dans beaucoup de villes, capitalistes et étatistes profitent de la hausse des combustibles pour surtaxer annuellement les transports publics qu’ils contrôlent. Ces trois dernières années, la spéculation immobilière a aussi connu une augmentation jusqu’à 150 pour cent dans les prix de location et terrains urbains. Comme résultat, un pourcentage chaque fois plus significatif de la population ne peut pas faire face aux dépenses basiques.

Les cas de corruption sont extrêmement courants au Brésil. Les gouvernants augmentent leurs salaires et bénéfices, arrivant à dépasser jusqu’à dix fois le salaire minimum qui est de 650 reals (équivalent à 220 euros).

Cela fait plus d’une décennie que les mass media ont commencé à faire de la propagande autour de l’idée de la Coupe du monde au Brésil comme source de grands bénéfices pour toute la population. Dans le discours diffusé, la Coupe serait la meilleure manière de « relancer l’économie, créer des emplois et stimuler le tourisme ». Dans la pratique, rien au-delà de la réalité. La Coupe du monde a servi de fusion pour le développement des politiques de contrôle, de distraction des masses et d’ingénierie sociale. Des milliers de familles sont expulsées de leurs maisons pour laisser place aux travaux d’infrastructures de la Coupe qui se réduisent à des politiques de gentrification et de spéculation immobilière. Dans ce contexte, des lois ont été approuvées, comme la PL 728/2011, qui établit l’état d’exception durant la Coupe, créant des corps spéciaux pour protéger les intérêts de la FIFA et de la CBF, criminalisant et persécutant les mouvements sociaux et dissidences politiques, définissant comme terroriste n’importe quelle manifestation publique d’indignation ou de mécontentement.

Le Mouvement un pas libre

Les manifestations qui ont lieu en ce moment ont basé leur organisation sur des appels émis par le Mouvement un pas libre (Movimento Passe Livre, MPL). Le MPL s’organise dans un réseau de jeunes militant·e·s, beaucoup d’entre elles et eux lié·e·s au mouvement étudiant non institutionnel. Depuis les débuts de la décennie 2000, le MPL a appelé à des manifestations face aux augmentations annuelles du prix du transport public dans les grandes villes. Sa principale revendication est la fin du coût du transport public pour les chômeurs et chômeuses et les étudiant·e·s. À la différence des autres années où les manifestations organisées par le MPL rassemblaient quelques milliers de personnes, les manifestations contre l’augmentation du prix du ticket en mars 2013 ont vu une rapide et massive adhésion de dizaines de milliers de personnes. Les premières manifs organisées à Porto Alegre ont subi une forte répression policière, mais début avril elles ont obtenu l’annulation de l’augmentation du ticket qui avait eu lieu des semaines avant. Après que ces information furent divulguées par les réseaux sociaux et les médias, d’autres manifestations ont eu lieu dans d’autres villes. Avec une adhésion massive, différentes revendications se sont rajoutées aux demandes du MPL. Ces nouvelles demandes étaient exposées par les manifestant·e·s au travers de pancartes, d’affiches et de cris dans les rues. Pendant que certain·e·s remettaient en question le système capitaliste dans son ensemble, d’autre s’opposaient à la Coupe et à ses conséquences. Des gens manifestaient leur mécontentement contre la couverture faite par les médias de masse. Des groupes demandaient au gouvernement des améliorations dans les services étatiques d’éducation, de santé, de sécurité. Il y en a aussi qui manifestaient contre la corruption, en reprenant des symboles des cara-pintadas, mouvement nationaliste adolescent largement diffusé par les médias au début des années 1990 et qui sont descendus dans les rue pour dénoncer le président d’alors, Fernando Collor. À plusieurs occasions, des visions politiques profondément conservatrices ont manifesté leur présence. Bien que encore totalement pacifiques, les premières manifestations ont été durement réprimées par les appareils répressifs de l’État. Des centaines de personnes ont été blessées par l’usage d’armes non létales, beaucoup ont été arrêtées et frappées.

Couverture médiatique, autocensure et distorsion

Face à la grande adhésion de manifestant·e·s, les médias de masse, qui durant des années ont ignoré le Mouvement un pas libre, ont été obligés de changer la focalisation de leur couverture. Toutefois les intentions étaient claires, les couverture journalistiques étaient faites pour manipuler, diviser et pacifier les manifestations. Les postures pacifiques de collaboration avec l’appareil répressif ont commencé à être alors systématiquement louangées par les journalistes qui les associaient aux expressions esthétiques d’ordre nationaliste. Des personnalités de l’époque de la dictature ont été ressorties au milieu des manifs. Les remises en question systématiques et les critiques sur la couverture médiatique ont été oubliées. D’une manière extrêmement tendancieuse les médias incitaient la population à assumer une posture pacifique et nationaliste comme la façon la plus correcte d’agir dans les manifs. En même temps des manifestants plus indignés qui ont adopté des tactiques de protestation considérées comme plus agressives ont été dépeints comme une minorité de vandales, violents et anarchistes, diabolisés, poursuivis et criminalisés plusieurs fois par les médias de masse, qui incitaient les forces répressives à répondre de manière violente. À Porto Alegre, ce genre de comportement a provoqué une grande indignation qui a conduit les manifestations vers les installations du groupe de communication RBS, devant lesquelles, par deux fois, les manifestant·e·s se sont affronté·e·s avec les flics.

Beaucoup de photos de couverture des manifestations ont été prises à travers les caméras de surveillance de circulation des villes, ou de derrière les appareils répressifs. Dans de nombreuses prisons de plusieurs villes, il y a eu d’innombrables cas de torture sur des jeunes, adolescent·e·s et personnes âgées qui ont été rapportés sur internet, tout juste divulgués par les journaux et la télé en terme de chiffre, mais sans aucun approfondissement.

Nous avons vu dans les médias des reportages absurdes d’autocensure et de distorsion des faits : trois manifestants qui se cachaient des troupes de choc derrière un kiosque qui, sans s’en rendre compte, ont fini encerclés. Au moment exact où ils ont été frappés devant une caméra de la chaîne nationale, la chaîne TVCOM, du groupe RBS, a décidé de changer de caméra pour montrer des images de manifestations pacifiques qui avaient lieu à d’autres points de la ville. Dans un autre épisode qui a eu lieu à Belo Horizonte, un manifestant avec la tête ouverte, entouré par une dizaine de flics qui le frappent, a été filmé par un journaliste qui en premier plan affirme que le blessé est en train d’être « secouru » par la police.

Répression, provocation et violence

Face à la cruauté de la police un nombre chaque fois plus grand de manifestant·e·s ont fini par rendre les attaques contre les appareils répressifs, ainsi que sur les structures étatiques et capitalistes comme les vitrines de banque et de chaînes de grands magasins qui ont été détruites. Des bâtiments publics ont été occupés et des autoroutes ont été bloquées. Un nombre chaque fois plus grand de policiers infiltrés ont agi comme des agents provocateurs durant les manifestations et pour la première fois des petits commerces ont été attaqués et des manifestants ont été agressés. On a aussi vu dans les rues des groupes fascistes se faisant passer pour des non-encarté·e·s, chassant les « casseuses et casseurs » et partisan·e·s dans les rues et essayant de faire de la propagande publiquement au travers de postures politiquement correctes comme ramasser les poubelles et ramasser les conteneurs renversés par d’autres manifestant·e·s. Comme résultat de la manipulation des grands médias de communication, beaucoup desdit·e·s « pacifistes » ont assumé des postures chaque fois plus évidentes, dénonçant et persécutant lesdit·e·s « manifestant·e·s violent·e·s ». De nombreuses personnes ont aussi adhéré à l’esthétique nationaliste dans différentes villes. Les manifestations sont devenues plus courantes, dans de nombreux cas ressemblant à des soulèvements et révoltes. Les avenues centrales des grandes villes comme São Paulo et Rio de Janeiro sont devenues des scènes d’affrontement généralisé entre la police et les manifestant·e·s, avec la première utilisant jusqu’à des armes à feu contre ces derniers. De nombreuses personnes ont été frappées et il y a eu des arrestations absurdes et arbitraires, comme c’est le cas des détentions pour avoir sur soi du vinaigre, car cette substance est utilisée contre les effets des gaz lacrymogènes. À Pernambuco, Nord-Ouest brésilien, la première manifestation a été complètement pacifiée. Des attaques sur des banques, églises et monuments publics ont été durement réprimées par la foule nationaliste qui chantait l’hymne et avait le visage peint avec le drapeau brésilien. À la suite, il y a eu des dénonciations et des poursuites dans l’intention de collaborer avec le travail de la police. Il y a encore des attitudes répressives dans les secteurs marginaux qui adhèrent aux manifestations. Des groupes de manifestants applaudissent devant les actions de la police et demandent l’exécution des adolescent·e·s dans la rue pour avoir effectué des vols au cours des manifestations.

Accusations de conspiration et préparatifs pour un coup d’État

Devant la résistance des manifestant·e·s s’affrontant dans les rues, et dans certains cas, vainquant les appareils répressifs, compte tenu aussi de la présence de symboles anarchistes sur des drapeaux et des tags faits au cours des manifestations, et aussi grâce à la présence d’organisations libertaires qui participent au Movimento Passe Livre, les gouvernants et militaires ont soulevé l’hypothèse de l’existence d’une conspiration anarchiste internationale qui veut abattre le pouvoir. Par des conjectures sans fondements publiées dans les journaux, les libertaires ont fini par être sous le coup d’une enquête de l’agence d’intelligence brésilienne des forces policières. Des militants du MPL ont été menacés de mort durant les manifestations. Un espace culturel de la Fédération anarchiste gáucha a été envahi par la police sans aucun mandat. Des livres et d’autres matériaux ont été perquisitionnés, le matériel pour peindre les banderoles et affiches a été considéré comme « matériel pour la confection de cocktails Molotov ». Une carte qui identifie les organes de sécurité a été posée par la police pour simuler une imminente attaque anarchiste contre l’État. Le gouvernement a aussi soulevé l’hypothèse d’une conspiration d’extrême droite impliquant des secteurs de la police militaire et des grands médias, dans l’intention de semer le chaos dans les rues des villes, afin de pouvoir justifier une intervention ou un coup d’État militaire. Cette hypothèse ne semble pas être complètement fantaisiste, dans certaines villes les effectifs militaires sont chaque fois plus présents. Un général de haut rang s’est déjà prononcé en faveur d’un nouveau coup d’État.

Articulation

Dès lors, nous invitions les groupes et individus en affinité avec les idées libertaires à faire un effort collectif pour propager ces informations au travers de campagnes informatives sur les événements en relation avec l’autoritarisme au Brésil. C’est aussi important que la Coupe du monde au Brésil ne puisse pas se réaliser, pour que cet événement ne serve pas d’excuse pour la mise en place d’un État policier d’exception. Nous appelons à combattre les discours nationalistes qui jusqu’à maintenant sont propagés par les médias de masse brésiliens, et qui selon tout vraisemblance préparent le terrain pour un nouveau coup d’État de la droite.

RAAIP
Rede Anticapitalista e Apartidária
de Informação Política

Traduction :
Contra Info
18 juillet 2013.

En portugais :
Contra Info
3 juillet 2013.

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