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Paroles du commandement général de l’EZLN
lors de la participation zapatiste au festival CompArte

dimanche 14 août 2016, par EZLN, SCI Moisés

Caracol d’Oventik, État du Chiapas, Mexique.

Matinée du 29 juillet 2016.

Au nom des compañeras et compañeros des bases d’appui de l’Armée zapatiste de libération nationale, je veux vous parler de ce qu’on ressent à propos de ce qu’on nous fait à nous, femmes et hommes des peuples originaire du Mexique. Je pense que c’est la même chose dans le monde entier.

Nous voulons vous dire, vous expliquer, une fois de plus, les nombreuses douleurs que nous a déjà fait subir ce système capitaliste pourri.

Compañeras et compañeros de la Sexta nationale et internationale, sœurs et frères du monde, ne vous sentez pas mal de tout ce que je vais vous dire, car il ne s’agit pas de vous.

Il s’agit de ce que nous fait ou de comment le système capitaliste nous tient, particulièrement nous les peuples originaires de ce pays nommé Mexique. Je parlerai de comment on se sent femmes et hommes zapatistes, de ce qu’ils ont fait à nos sœurs et frères indigènes du village de San Juan Chamula, le 23 juillet de cette année.

Nous femmes et hommes zapatistes, ça nous fait mal ce qu’il s’y est passé.

Ce qui s’y est réellement passé, pas ce que les médias commerciaux qui se vendent pour quelques centimes ont dit.

On sait bien qu’ils ont tué le maire appartenant au Parti vert écologiste. Et comme c’est le parti du contremaître Velasco [1], alors les médias commerciaux sont en train de pleurer et de se lamenter. Ils ne disent rien des autres morts, de ceux qui sont partis mourir ailleurs, ou dont les corps ont été sortis par leurs proches blessés ou déjà morts. Pour le gouvernement et les journalistes, ces morts ne comptent pas. Et ce sont des dizaines de morts, pas seulement cinq qui étaient des autorités corrompues.

Tous à Chamula, et dans toutes les zones indigènes des Altos du Chiapas, savent ce qui s’est passé. Ils savent que c’est la garde du maire corrompu du Parti vert qui a lancé la fusillade, tué et blessé plein de gens qui étaient sur la place. Et que ce n’est qu’ensuite qu’un autre groupe armé est parvenu à achever ces autorités. Achever oui, car elles étaient déjà mortes sous les coups de bâton et de machette.

Le gouvernement et ses employés journalistes veulent présenter ça comme s’il s’agissait d’un petit problème, ils parlent du « pauvre » maire, auprès duquel le peuple formulait de nombreuses demandes et que lui ne voulait que les résoudre, mais les « sauvages » Chamula, comme disent les médias, l’ont tué.

C’est un mensonge. Tout ce qui a été dit dans tous les médias commerciaux n’est que mensonge. Un mensonge payé avec quelques centimes. Les médias commerciaux préfèrent interviewer des « spécialistes », disent-ils, au lieu de chercher ce qui s’est vraiment passé.

Nous on ne va pas vous dire en détails ce qui s’est passé. Ça, ça sera aux véritables victimes de ce jour et d’il y a longtemps de le dire. Ils sauront eux-mêmes quand et comment le dire.

Mais nous on peut vous dire que ça nous fait mal, très mal, ce qui s’est passé ensuite. Comment les médias commerciaux ont commencé à dire des bêtises et des insultes aux indigènes. Et ceux qui se disent être très progressistes aussi. Ça nous fait mal de voir comment ils ont transformé un corrompu en héros. Comment ils ont tous menti et comment ils sont devenus complices d’un véritable crime, et se sont mis à genoux pour que le Velasco puisse monter sur leurs épaules et se présente comme un grand sauveur. Qu’ils se vendent pour quelques centimes, ça les regarde.

Pour nous ce n’est pas important que dans le village de Chamula, ils ne soient pas zapatistes. Ce sont nos frères. Ce sont des indigènes et ils font partie de notre peuple originaire, de notre race originaire, ceux qui se sont tués dans le village de San Juan Chamula. Ça ne nous fait pas plaisir qu’ils se tuent entre indigènes, qu’ils appartiennent à des partis politiques ou à quoi que ce soit. Ça ne nous fait pas plaisir qu’on présente comme des « sauvages » les indigènes quand les véritables sauvages sont les gouvernements criminels et ceux des partis politiques ainsi que leur presse commerciale bien obéissante qui parlent comme ça.

Ce qui est important pour nous, c’est qui a voulu que ça se passe comme ça, qui l’a planifié.

Nous avons une immense douleur à paraître incurables de ce que nous font ceux d’en haut.

Nous sommes déjà clairs, personne ne va nous soigner, seulement nous, femmes, hommes, on doit travailler beaucoup et très dur.

Car tout le mal qui nous arrive dans nos communautés, villages, quartiers, zones, c’est toujours parce qu’on trouve la présence des partis politiques et des religions ou du narcotrafic.

Ceux d’en haut se servent de nous femmes et hommes, indigènes, pour faire tout, absolument tout ce qui leur vient à l’esprit.

Ceux d’en haut veulent faire de nous leurs serviteurs, en tant que vice-maires, que conseillers municipaux, que députés de l’État, députés fédéraux. Pour quoi ? Pour apprendre à gagner de l’argent sans travailler, pour apprendre à être corrompus, déguisés en des êtres qui servent le peuple.

Je ne sais pas comment ils nous voient, car même les ordures servent d’engrais. Dans ce cas, ils ne nous voient même pas comme une poubelle. Pour celles et ceux d’en haut, on est leurs merdes.

Ils nous traitent comme leurs merdes car ils les ont utilisées et cette merde il faut s’en débarrasser, peu importe comment.

Je ne peux pas dire qu’ils nous traitent comme leurs animaux ou leurs animaux de compagnie qu’ils et elles ont, car leurs animaux de compagnie, ils les traitent comme des êtres vivants.

Nous les femmes et hommes indigènes du monde, ils nous voient et nous traitent de « retardés mentaux », « non civilisés », « dérangeantes » et « dérangeants », ils nous disent « indios pata rajadas », « dégoûtantes » et « dégoûtants », et autant d’insultes qu’ils nous ont faites et dites.

Durant des siècles et des siècles on y a résisté.

Au même titre qu’eux et elles, on est chair, sang et os.

Mais nous, femmes et hommes, les indigènes, on ne fait de mal à personne.

Ils ont voulu nous détruire et nous faire disparaître. Mais ils ne pourront jamais.

Ils nous ont divisés dans les religions, mal éduqué dans les écoles, dans les partis politiques. Ils nous ont inculqué d’autres cultures, une autre politique mauvaise, une autre idéologie mauvaise.

Compañeras et compañeros de la Sexta nationale et internationale, sœurs et frères du monde,

On vous le dit clairement : On n’est pas la merde de ceux d’en haut pour qu’ils nous traitent ainsi. On est des humains de chair, de sang et d’os comme elles et comme eux. On n’est pas égaux en couleur, mais en tant qu’êtres vivants oui.

On n’est pas des êtres mauvais comme celles et ceux qui utilisent les humains.

Car aujourd’hui ce qu’ils montrent c’est que les indigènes, on est mauvais, que les indigènes, on se tue entre nous comme ce qui s’est passé à San Juan Chamula.

Ceux qui ont voulu que ça se passe comme ça, ce sont les partis politiques d’en haut, du PRI [2] et du PVEM des gouvernants et de tous les partis politiques.

C’est comme ça que ça s’est passé avec les autres partis prétendument de gauche ou pas. Ils nous utilisent, et eux en tant que partis politiques ils ne se voient pas comme des retardés mentaux, les mauvais et tous les maux, c’est toujours nous qui finissons par en payer le prix le plus épouvantable.

Je ne dis pas qu’en tant que peuples originaires, on n’est particulièrement bons, on a aussi nos problèmes mais on les résout ; mais ce qui s’est passé, c’est de la faute des partis politiques et des autorités de ces partis.

On ne publie pas ça dans les médias, car s’ils disent la vérité, ils ne gagnent pas d’argent, au contraire, ils gagnent davantage d’argent en occultant l’information.

Les journalistes, femmes ou hommes, qui travaillent dans les journaux doivent faire ce que leurs patrons disent, et ils et elles le font pour une question de salaire. Ils ont déjà perdu leur dignité et c’est pareil pour les leaders des religions qui savent qu’ils trompent, il n’y a plus de dignité.

Car, qui nous a appris à être corrompus, rats et tricheurs ? Celles et ceux d’en haut.

Car ce mort, président municipal de San Juan Chamula, appartenait au Parti vert, il ne voulait pas payer ce qu’il devait à ces indigènes égaux à lui-même. Bien des fois ils lui avaient dit « paye-nous ! » mais ceux-ci et celles-ci n’ont pas reçu d’écoute et d’oreille. Où est-ce que le maire a appris ça ? Chez les mauvais gouvernants.

Pendant des décennies et des décennies et des centaines d’années ils nous ont trompés, maltraités, utilisés et c’est pour ça que personne ne nous prend en compte, nous, femmes et hommes, les indigènes. Les leçons d’en haut sont mauvaises et très mauvaises, car certains des indigènes qui se sont laissé aller pour servir ceux d’en haut, qui ont réussi à être vice-maire, conseiller municipal, comme la conseillère municipale de Las Margaritas (Florinda du PAN [3]) de La Realidad, l’ex-député fédéral de la CIOAC [4] (Antonio Hernández Cruz) tojolabales. Ils ont appris à ne pas écouter, à ne pas prendre les peuples en considération. Ce sont les organisateurs de l’assassinat du compañero maestro de l’Escuelita, du compañero Galeano. Nous ne l’oublions pas.

Des tomes et des tomes de livres, de mauvaises choses qu’ils ont voulu nous enseigner. Un exemple : moi indigène, mais je suis petit propriétaire de terre, de 10 hectares, je suis fermier, et ejidatario communal avec un droit de 20 hectares, ah, non c’est pas fermier, mais il a 20 hectares, mais ce n’est pas ça qui est important, ce qui compte c’est être propriétaire d’une propriété, donc comme ils sont déjà fermiers, eh bien pour la même raison, ils cessent d’être indigènes. Alors je ne vous dis pas quand ils sont conseillers municipaux ou vice-maire car là ils sont de classe moyenne. Et ils disent que ne savent plus parler une langue.

Pourquoi nous femmes et hommes indigènes doit-on payer le prix de la vie, pour que d’autres aient de l’argent pour manger ?

Tous les médias commerciaux se font concurrence sur les prix pour savoir combien ils vont vendre les photos des morts de San Juan Chamula mais ils ne publient pas qui est le coupable des morts et tous les gouvernements payent le prix qu’il faut pour qu’on ne publie pas qui sont les véritables coupables : c’est-à-dire eux !

Ils ne publient que ce que disent les mauvais gouvernants. Où étaient les journalistes et photographes pour montrer les autres morts tués par les gardes du corps du maire et du parti opposé ? Ces journalistes et photographes s’en fichent car sur ça, ils ne gagnent pas d’argent. Mais aussi parce que ce sont des Indiens qui sont morts et peu importe qu’ils appartiennent à des partis politiques. Bref, ils sont indiens. Ça, c’est pas du racisme peut-être ? Et après ils viennent parler contre le racisme.

Et tous ces prétendus travailleurs des médias commerciaux, ils voient la paie dans leur main en vendant des mensonges, et en arrangeant les mensonges, et qu’importe que la situation soit grave, même pour eux. Ils ne publient pas la vérité, car pour eux, dire la vérité ça rapporte pas. Quelle honte, intellectuels du mensonge.

Ils arrivent tard sur le lieu du crime, seulement pour prendre des photos des morts, et sans enquêter sur les raisons de décennies d’injustices.

Là, oui, ils sont ponctuels et ils accompagnent leur chefs de paie, c’est-à-dire les mauvais gouvernants, quand ils vont se montrer et se faire prendre en photo, et que le lieu où ont été tués par des « Indiens sauvages » le bon président et son équipe est sous contrôle. Là oui, ils disent tout ce que disent les mauvais gouvernants.

En quelques minutes, ils les mettent dans les médias et la mauvaise information, et les effacent dans le journal immédiatement, pour que ça se voie et que ça s’oublie rapidement, pour ne pas examiner qui sont les vrais responsables de ce qui se passe pour les indigènes de ce pays. C’est ça la fonction des médias à gages.

¡Carajo !, on sait bien que les riches ne sont pas riches parce qu’ils travaillent beaucoup du matin au soir, ils ne suent pas et ne sentent pas la sueur, ils n’ont pas d’accident avec les machines et ne sont pas mutilés, ils ne s’éraflent pas le corps avec autant de sueur, ils ne deviennent pas sourds à cause du bruit, écouté de 8 heures à minuit, ils ne tombent pas malades à cause de la fatigue, ils ne se stressent pas car ils n’ont pas d’argent pour payer les médicaments, la nourriture, leur compte de loyer, l’éducation de leurs enfants. Il ne leur manque rien, grâce à nous, femmes et hommes, les travailleurs·ses des champs et de la ville.

Sans l’exploitation qu’ils exercent sur nous, ils ne seraient pas riches.

Ce monde dans lequel ils nous maintiennent ne fonctionne plus.

Quel est le salaire qu’ils nous donnent dans ce monde capitaliste ? La misère, l’exploitation, la maltraitance, l’injustice.

Aujourd’hui, travailleurs des champs et de la ville, ils nous traitent tous de la même manière.

Les caporaux que sont les maires nous maltraitent, les majordomes que sont les gouvernants nous maltraitent, le contremaître qu’est le gouvernement fédéral nous maltraite, sous les ordres du patron : le capitalisme néolibéral.

Combien ça nous fait mal tout ce qu’on nous inflige à nous femmes et hommes indigènes de tout le pays, de ce qu’ils ont fait aux compañeras et aux compañeros du Congrès national indigène.

Et si on se défend, ah, on est des « sauvages », des « retardés mentaux ».

Si on vole un petit paquet de chips, en prison. Et si Juan Sabines Gutiérrez vole 40 milliards, il n’y a pas de prison, on le laisse libre pour qu’il vole encore plus.

Quelle merde, quelle horreur, quel racisme. Il n’y a pas de journal à huit colonnes au Mexique pour publier ça.

Injustice pour nous, femmes et hommes des peuples exploités. Il n’y a jamais eu justice pour nos ancêtres, il n’y a pas eu de justice pour ce qui s’est passé en 1968, il n’y a pas eu justice pour le massacre de 68, les massacres des femmes de Ciudad Juarez, celle du massacre des garçons et filles de la maternelle ABC, il n’y a pas eu de justice pour Acteal, ni pour les 43 élèves disparus d’Ayotzinapa. Des injustices encore et toujours.

Peuple du Mexique, organisons-nous et luttons en tant que ce qu’on est, comme nous indigènes, on s’est organisés avec notre nouveau système de gouvernement.

Mais vous ne nous dites pas comment. Oui, on veut partager nos expériences, car on ne sait pas comment est la vie des ouvrières et des ouvriers, on ne sait pas comment est la vie des enseignants et enseignantes et c’est comme ça pour tout le monde, mais si, entre toutes et tous, on sait qu’on veut de la justice, de la liberté et de la démocratie, en cela, oui on est pareils !

Comme nous tient ce système c’est impossible, exemple : moi député fédéral du peuple originaire je m’assois dans mon siège et à côté du député fédéral Diego Fernandez de Ceballos, propriétaire terrien et propriétaire foncier, et je me mets à discuter de la loi agraire, pour que la répartition de la terre soit équitable, c’est à dire pour que personne n’ait plus de terre qu’un autre. La question est : vais-je réussir à me mettre d’accord avec lui, moi, indigène et lui propriétaire terrien ?

Ce système ne fonctionne plus, il est déjà pourri, il n’a plus de remède, il va tomber par petits bouts et, en tombant, il va entraîner des morts. Il vaut mieux sortir d’ici. C’est mieux de s’organiser pour construire une nouvelle maison, autrement dit une nouvelle société.

Personne ne luttera pour nous.

Ainsi comme nous, femmes et hommes zapatistes, personne n’est venu et a lutté pour nous, femmes et hommes, c’est-à-dire que nous, femmes et hommes on a dû donner notre vie pour aimer notre vie encore plus. Ainsi, peuple du corps enseignant, organisez-vous, et luttez jusqu’au bout ; peuple serviteur de la santé humaine du Mexique, organisez-vous car l’orage est déjà au-dessus de vous. Et ainsi chaque secteur de travailleurs, la tempête va nous emporter.

Peuple du Mexique et peuple pauvre du monde, il faut s’organiser.

Merci.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Moisés.
Oventik, Chiapas, Mexique.
29 juillet 2016.

Source et traduction :
Enlace Zapatista

Notes

[1Manuel Velasco Coello, membre du Parti vert écologiste du Mexique (PVEM), est gouverneur de l’État du Chiapas depuis 2012 (note de “la voie du jaguar”).

[2Parti révolutionnaire institutionnel.

[3Parti d’action nationale.

[4Centrale indépendante des ouvriers agricoles et paysans.

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