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Salut à Marcel Moreau

dimanche 5 avril 2020, par Raoul Vaneigem

Marcel Moreau, né dans le Borinage. Depuis toujours obsédé de femmes et de mots, allant des unes aux autres, avec détours par les voyages, la société, l’alcool, ce dernier jusqu’en 1990.
Fut longtemps correcteur dans la presse parisienne.
Se lève chaque jour à cinq heures du matin, réveillé par l’écriture, le soir couché par elle, sonné, ou appelé par l’Amour.
Fait grand cas de ses lectrices, leur doit beaucoup. Voudrait mourir soit de Verbe, soit de Vénus. Encore mieux : des deux, d’un seul tenant, si possible.
Mû par un rythme inexorable, de possédé.
Anticartésien. Creuse l’irrationnel, y descend. Sa passion : éclairer les instincts, leur donner la parole, les « monter » en créativité, en philosophie même. Leur rendre la vue, le flair, l’ouïe. Replacer le corps au centre des activités de l’esprit.
Chercheur plutôt que raconteur d’histoires. Poète pour la « musique des mots ». Pour en faire « chanter ou danser » le sens.
Manuscrits illisibles. Une curiosité, qui enthousiasma Dubuffet, entre autres. Les met au clair sur une vieille machine Olivetti. Ensuite confie le tapuscrit à sa fille, pour saisie sur ordinateur.
Collage d’une photo de Pete Hawk
et brouillon de Marcel Moreau.

En 1968, il emménage à Paris. Sort peu, voit peu de monde. Pas de « dîners en ville », a horreur des mondanités. N’apprécie que les rencontres de tonalité sensorielle, exempte d’intellectualisme. Est souvent sollicité — trop — pour des préfaces, ou par des revues. Vit intensément, donc ne connaît pas la sérénité. Secondaire, pour lui, la question du bonheur. Il préfère les vertiges. Celui d’aimer, celui d’écrire, et aussi celui qui lui vient de sa passion de la vérité, comme de la liberté.

Il décède en avril 2020, à Paris.

Objectif plumes

La vie te salue, Marcel,

Tu n’as jamais cessé de la célébrer et elle te tient quitte de ces oraisons funèbres que la frénésie du profit multiplie avec une hâte redoutable. À la tristesse de ton départ forcé se mêle une rage. Elle aussi se propage et il me tarde qu’elle réduise au silence et balaie de notre vue la tourbe des assassins dont la sottise et la bouffonnerie ne masquent plus l’ignominie. Que l’on te fasse entrer dans le bilan comptable et complaisant des mortalités participe de ce mépris de l’humain auquel les peuples du monde ont résolu de mettre fin. Car tu n’es pas la victime d’un virus, tu es tombé sous les coups de ce terrorisme d’État qui verse des dividendes aux gestionnaires du profit et envoie à la casse les hôpitaux, les écoles, les services publics. Rien ne serait plus ridiculement odieux qu’une justice populiste et vengeresse qui songerait à décapiter des pantins dont les têtes sont interchangeables. En revanche, c’est au nom des libertés de la vie pleine et entière qu’il faut anéantir ces impostures que sont la liberté du commerce, la liberté d’exploiter, d’opprimer, de tuer.

Dors en paix, Marcel, on y arrivera.
En toute amitié,
Raoul

Bibliographie partielle de Marcel Moreau

Quintes, Buchet-Chastel, 1962.
Bannière de bave, Gallimard, 1966.
La Terre infestée d’hommes, Buchet-Chastel, 1966.
Le Chant des paroxysmes, Buchet-Chastel, 1967.
Julie ou la dissolution, Bourgois, 1971.
La Pensée mongole, Bourgois, 1972 ; rééd. L’Éther vague, 1991.
L’Ivre Livre, préface d’Anaïs Nin, Bourgois, 1973.
Le Bord de mort, Bourgois, 1974 ; rééd. Les amis de L’Éther vague, 2002.
Les Arts viscéraux, Bourgois, 1975 ; rééd. L’Éther vague, 1994.
Sacre de la femme, Bourgois, 1977 ; rééd. L’Éther vague, 1991.
Discours contre les entraves, Bourgois, 1979.
À dos de Dieu ou l’ordure lyrique, Luneau Ascot, 1980 ; rééd. Quidam, 2018.
Orgambid. Scènes de la vie perdante, Luneau Ascot, 1980.
Moreaumachie, Buchet-Chastel, 1982.
Kamalalam, L’Âge d’homme, 1982.
Incandescence et Égobiographie tordue, Labor, 1984.
Monstre, Luneau Ascot, 1986.
Le Grouilloucouillou, en collaboration avec Roland Topor, Atelier Clot, Bramsen et Georges, 1987.
Opéra gouffre ou S.M. assassiné, illustré par Arié et Stéphane Mandelbaum, La Pierre d’alun, 1988.
Mille voix rauques, Buchet-Chastel, 1989.
Stéphane Mandelbaum. L’œuvre gravé, Didier Devillez-CFC Editions, 1992.
Tombeau pour les enténébrés (en collaboration avec Jean-David Moreau), L’Éther vague, 1993.
Bal dans la tête, La Différence, 1995.
La Compagnie des femmes, Lettres vives, 1996.
Extase pour une infante roumaine, Lettres vives, 1998
La Vie de Jéju, Actes Sud, 1998.
Lecture irrationnelle de la vie, Complexe, 2001.
Féminaire suivi de La Libération de la parole, Lettres vives, 2001.
Corpus scripti, Denöel, 2002.
Tectonique des corps, Les amis de L’Éther vague, 2003.
Morale des épicentres, Denöel, 2004.
Adoration de Nona, Lettres vives, 2004.
Nous, amants au bonheur ne croyant…, Denoël, 2005.
Quintes, L’Ivre Livre, Sacre de la femme, Discours contre les entraves, réédition, Denoël, coll. « Des heures durant… », 2005.
Tectonique des femmes, Cadex, 2006.
Insolation de nuit, avec Pierre Alechinsky, La Pierre d’alun, 2007.
Deux lettres avec vue sur chaos, avec Pierre Alechinsky, La Pierre d’alun, coll. « Pierre d’angle », 2007
Une philosophie à coups de rein, Denoël, 2008.
Des hallalis dans les alléluias, Denoël, 2009.
La Violencelliste, Denoël, 2011.
Un cratère à cordes, Les Évadés du Poème 2, 2013 ; rééd. Lettres vives, 2016.
De l’Art brut aux Beaux-Arts convulsifs, correspondance Jean Dubuffet/Marcel Moreau, L’Atelier contemporain, 2014.
À dos de Dieu, Quidam, coll. « Les indociles », 2018.

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