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Sept vents dans les calendriers et dans les géographies d’en bas

Sixième vent : une autre digne rage

vendredi 27 février 2009, par SCI Marcos

Merci à Eduardo Almeida de sa contribution à la modération des débats,
c’est un honneur de l’avoir avec nous aujourd’hui.

Depuis le début de notre insurrection, nous avons été étonnés de la vague de sympathie qui nous a accueillis et du soutien que nous avons reçu, et que nous continuons fort heureusement, l’une et l’autre, à recevoir, de quatre secteurs de la population : les indigènes, les femmes, les jeunes hommes et les jeunes femmes, et les homosexuels, lesbiennes, transgenres, transsexuels principalement, mais aussi les travailleurs et travailleuses sexuels.

Et depuis lors, nous nous sommes efforcés de comprendre les raisons ou motifs qui nous accordaient ce privilège.

Petit à petit, nous avons compris, sans que je sache si nous avons vu juste, que c’était parce que nous avions en commun le fait d’être « autres » ; cibles d’exclusion, de persécution, de ségrégation, de crainte.

Un peu comme si s’était progressivement imposée une normalité, ou une norme, avec ses différentes catégories et rayonnages, et que tout ce qui ne rentrait pas dans cette classification allait atterrir dans un classeur toujours plus gros marqué d’une étiquette « autres ».

Évidemment, ces classifications sont aussi bien des qualifications, qui s’accompagnent d’une série de codes culturels et de comportements types qui doivent être respectés.

Une sorte de manuel de survie que l’être humain ne reçoit pas tout relié, mais qu’il assimile par doses, doses la plupart du temps massives et brutales, au fil de sa courte ou longue maturation, c’est-à-dire de sa domestication.

Prenez ça comme un manuel qui dirait : « Que faire en cas de... »

Ainsi, sans qu’ils soient écrits mais évidents et omniprésents, il y aurait des feuillets pour « Que faire face à un indigène ? » ou « Que faire face à une femme ? » ou « Que faire face à des jeunes ? » ou « Que faire face à un homosexuel, une lesbienne, un transgenre ou un transsexuel ? ».

Il ne s’agit évidemment pas de prescriptions édictées, mais elles sont si répandues et diffusées que leur publication ferait de n’importe qui un millionnaire. Une semblable collection pourrait s’intituler « Soyez normal » et être publiée en fascicules collectionnables.

On est en droit de penser que chacun de ces fascicules d’« éducation » ou de « survie dans la norme » possède ses propres spécifications, ce qui est le cas ; mais ils ont surtout quelque chose en commun : « Méfiez-vous ! » « Méprisez ! » « Faite le tri ! » « Agressez ! » « Moquez-vous ! » ; pour n’en citer que quelques-unes.

Quant aux spécifications, on trouverait :

Dans le fascicule « Que faire face à un indigène ? » quelque chose comme : « Regardez de haut, de façon à ce que cette chose que vous avez en face de vous sache immédiatement qui commande et que nous ne sommes pas tous égaux ; souriez de manière ironique, faite des blagues sur la manière de parler ou de s’habiller de la chose en question. Quelle peut être sa valeur ? Moins qu’une volaille. »

Dans celui intitulé « Que faire face à une femme ? », on trouverait : « Si vous êtes un homme, regardez-la comme ce qu’elle est, c’est-à-dire un objet, une pute maquée ou encore sans mac. Si vous êtes une femme, faites de même. Évaluez-là en fonction de son éventuel usage sexuel, de sa force de travail ou de sa qualité décorative. Plaisez-lui. Si elle est bien roulée, pelotez-là, prenez-là ou du moins essayez et si la force s’avérait nécessaire, n’hésitez pas à en faire usage. Que cet objet devant vous sache bien qui commande et que nous ne sommes pas tous égaux. »

Ne craignons pas de le dire, ce manuel est très largement diffusé et pratiqué avec enthousiasme dans le secteur des mâles ou des machos qui se disent en bas et à gauche. Le passer sous silence, le cacher ne nous ôte aucune culpabilité, pas plus que cela n’exorcise le fait que nous ressemblions parfois bien trop à ceux que nous prétendons combattre.

Et dans le fascicule « Que faire face à un jeune garçon ou à une jeune fille ? », on trouverait : « En premier lieu, partez de la certitude que vous vous trouvez face à un délinquant en activité ou potentiel. Outre sa maladresse et son acné, cette chose possède des penchants naturels au vandalisme et à la violence. Partez également du fait que vous avez l’avantage en nombre de calendriers, ce que la chose en question devra comprendre. Ne vous inquiétez pas de sa rébellion, ça lui passera quand le calendrier, avec un petit coup de pouce de la police, fera son travail. »

Quant au fascicule « Que faire face à un homosexuel, une lesbienne, un transgenre ou un transsexuel ? », on pourra y lire : « Partez de la certitude que vous vous trouvez face à un criminel malade, aussi éloignez-vous au plus vite (il n’est pas exclu que la putasserie soit contagieuse). Si vous avez des enfants, tenez-les éloignés de cette chose. Dans des cas extrêmes, adressez-vous à votre confesseur habituel. (Remarque : à défaut, un membre du PAN ou de tout autre parti de droite fera l’affaire.) »

Disons-le tout de suite : pas seulement envers les femmes, mais aussi envers les diverses préférences sexuelles, la gauche se montre particulièrement machiste.

Et nous tous et nous toutes, les zapatistes ?

Nous sommes sans doute pareils ou même pires. Dans le meilleur des cas, nous sommes encore loin d’avoir une bonne note.

Reste que nous avons pour nous notre volonté d’apprendre et surtout des espaces qui nous permettent cet apprentissage, et aussi des maîtres, des maîtresses et des maîtreuesses : vous.

Dans les contes et récits que nous avons diffusés toutes ces années, nous avons essayé de montrer notre réalité en cette matière, nos défauts et nos carences, mais aussi nos « manières » pour tenter de résoudre les uns et les autres.

En ce qui concerne les différences sexuelles, c’est ce qui a été le plus facile. Peut-être parce que nous étions moins domestiqués.

Dans une des étapes de l’Autre Campagne, nous avons rencontré les compañeros et compañeras de la Brigade Callejera (la Brigade des rues, dont nous apprenions beaucoup, parfois sans qu’ils le sachent, depuis longtemps). Nous leur avons posé des questions sur le problème de l’at. [@, l’arrobase, régulièrement utilisée pour ne pas différencier le féminin du masculin - note du traducteur]. C’est politiquement correct, certes, mais elle n’inclut que le masculin et le féminin. Et, bien sûr, comme si c’était les seules options sexuelles, il manque l’Autre. Les compañeros et compañeras de la Brigade des rues nous ont répondu qu’ils employaient « compañeric » ou « compañerotic », je ne suis plus sûr.

De notre côté, nous avons cherché notre propre manière et nous avons abouti à ce que nous appelons « compañeroa ».

Bien, le premier récit que je vous ferai raconte la rencontre d’Elías Contreras et de la Magdalena. La Magdalena était une « compañeroa ». Quiconque pense qu’il s’agit d’un simple personnage de fiction littéraire se trompe. La Magdalena a existé. Elle était bien réelle, parfaitement localisable dans le calendrier et dans la géographie zapatiste, comme l’est l’aventure où elle sauva la vie à Elías Contreras, un indigène zapatiste qui prit un timide contact avec la ville avec une capacité d’émerveillement et une volonté d’apprendre que peu de gens possèdent.

En ce qui concerne les femmes, nous avons encore beaucoup de retard. Il y a un moment, cet après-midi, nous avons entendu la commandante Hortensia nous parler des progrès que les femmes ont effectués dans leur lutte.

Elle a oublié de dire une chose : ce qu’elles ont accompli, elles l’ont fait en dépit de notre ferme opposition. Si les zapatistes hommes n’aiment pas beaucoup en parler, c’est parce qu’il leur faudrait énumérer une longue et pénible liste de défaites.

Nous avons beaucoup de problème à ce sujet. Par exemple, dans nos casernes, les conditions d’hygiène ne sont pas très bonnes et il n’est pas rare que les insurgées présentent des maladies telles que des infections urinaires et vénériennes. La capitaine Elena, en charge de la santé, ne me laissera pas vous mentir : il faut sans cesse batailler pour que leurs compagnons suivent eux aussi le traitement prescrit afin d’éviter de réinfecter sans cesse leurs compagnes.

Ce n’est pas tout. Nous bataillons aussi en faveur des préservatifs. Nos compañeras insurgées sont fréquemment très jeunes et l’usage de contraceptifs leur occasionne de graves problèmes de santé. Les pilules ou les stickers ou les injections leur font mal, les stérilets aussi. Comme elles sont très jeunes, on insiste auprès de leurs compagnons pour qu’ils utilisent des préservatifs. Mais comme vous le comprendrez aisément, il nous est très difficile de vérifier qu’ils le font ; on ne peut pas débarquer dans chaque abri pour vérifier que les hommes utilisent bien des préservatifs. Pour ma part, je leur ai proposé les services de ma « pédagogie de la machette » et je les ai menacés de les vasectomiser avec mes talents chirurgicaux.

Dans le respect des femmes aussi, nous avons beaucoup de chemin à faire. Je veux vous raconter une anecdote à ce sujet.

Il y a quelques jours, nous nous étions réunis pour parler de la venue prochaine de la commandante sandiniste Mónica Baltodano. L’une des commandantes zapatistes présentes rapporta une phrase que disent les femmes sandinistes : « On ne peut pas faire la révolution sans la participation des femmes. » Moi, en plaisantant, j’ai répondu que j’allais faire circuler une phrase qui dirait : « On peut faire la révolution en dépit des femmes ! » La commandante en question m’a regardé de haut, s’il vous plaît, et m’a rétorqué : « Hem, Sup, nous menons une guerre de libération. Si nous mettons tellement de temps à y arriver, c’est à cause des foutus hommes. »

Suivent les contes promis auparavant.

Sept contes pour Personne.

Conte 4
La rencontre d’Elías Contreras et de la Magdalena

C’est Elías Contreras, « commission d’enquête de l’EZLN », qui parle :

« Parfois c’est comme que si Dieu aussi se trompe. L’autre jour, je faisais un tour du côté du monument de la Révolution, autrement dit j’inspectais le terrain. Histoire de savoir par où se barrer, au cas où que les choses se mettraient à chauffer, ou au cas où, c’est selon. Bien, alors, j’étais dans les parages et j’avais passé un bon bout de temps dans un parc qui s’appelle San Fernando, qui est juste à côté d’un cimetière. Je me suis attardé devant la statue de mon général Vicente Guerrero, celle où il y a gravé dans la pierre la devise de l’EZLN, “Vivre pour la patrie ou mourir pour la liberté !”

« Et alors, il s’est fait tard et la nuit était déjà tombée. Et alors, je suis parti à pied par cette rue qui s’appelle Puente de Alvarado. Et là, la justice m’a demandé de m’arrêter. Autrement dit, la police. Et alors, ils me demandent qui je suis, qu’est-ce que je fais à marcher là, que je déballe tout ce que j’ai et plein d’autres choses que je n’ai pas bien comprises parce qu’ils causent très bizarre ces policiers. Et alors, ils voulaient m’embarquer dans leur fourgon, mais voilà qu’une jeune femme arrive avec une jupe à ras du panier et un chemisier, autrement dit qu’elle était très déshabillée avec le froid qu’il faisait. Et alors la jeune femme leur a dit quelques mots aux policiers et ils m’ont laissé partir. Et alors la jeune femme s’est approchée et s’est mise à me parler et elle m’a dit qu’elle s’appelait Magdalena. Et alors elle m’a demandé d’où j’étais parce que je causais très bizarre. Et alors moi, comme j’ai vu que c’était quelqu’un de bien parce qu’elle m’avait débarrassé des policiers, je lui ai dit que je venais du Chiapas. Et alors elle, elle m’a demandé si j’étais zapatiste. Et alors moi, je lui ai répondu que je ne savais pas ce que c’était les zapatistes. Et alors elle, elle m’a dit que c’était évident que j’étais zapatiste parce que les zapatistes ne se baladent pas en disant qu’ils sont zapatistes. Et alors elle m’a dit qu’elle n’était pas “Elle”, mais “Lui”. Et alors, comme je ne comprenais pas bien de quoi elle voulait parler, elle a soulevé sa jupe et j’ai pu voir son “vous-voyez-ce-que-je veux-dire” qui faisait une bosse dans son slip. Et alors moi, je lui ai demandé comment ça se faisait qu’elle était un Lui et qu’il s’habillait comme une Elle. Et alors elle, ou lui, elle m’a répondu qu’elle était femme mais qu’elle avait un corps d’homme. Et alors, elle m’a invité chez elle, pour cause qu’il n’y avait pas de clients, elle a dit. Et alors, chez elle, dans son appartement, elle m’a tout raconté et elle m’a dit qu’elle, autrement dit lui, voulait faire des économies pour se faire opérer son corps d’homme et avoir un corps de femme et que c’était pour ça qu’elle racolait. Et alors moi, je n’ai pas bien bien compris ce que ça voulait dire qu’elle “racolait” et elle m’a expliqué. Et alors, elle s’est endormie, ou endormi, c’est selon. Et alors moi, je me suis installé confortablement dans un coin avec ma couverture et une couette que la Magdalena m’a prêtée. Mais je n’ai pas dormi parce que je n’arrêtais pas de penser que parfois Dieu aussi se trompe, parce que qu’il a mis la Magdalena, qui est une femme, dans un corps d’homme.

« Et alors, le lendemain, on a pris le café tard parce que la Magdalena ne s’était pas levée. Et alors moi, je lui ai parlé de la lutte zapatiste et de comment les communautés sont organisées dans la résistance et elle était très contente d’écouter tout ça. Et alors je ne lui ai pas dit que j’étais de “commission d’enquête” et elle ne m’a pas demandé ce que j’étais venu faire dans le monstre, autrement dit à la Ville de Mexico. Et alors moi, j’ai trouvé que c’était une bonne compañera, ou un bon compañero, c’est selon, parce qu’elle était discrète, ou discret, c’est selon, et qu’elle ne demandait pas ce que j’étais venu faire. Et alors elle m’a dit que si j’en avais besoin je pouvais rester chez elle le temps qu’il faudrait. Et alors je l’ai remerciée et après je suis parti et je lui ai acheté un bouquet de roses rouges et je lui ai donné et je lui ai dit que quand on gagnerait la guerre on ferait un hôpital pour réparer tout ce que Dieu avait mal fait. Et alors elle s’est mise à pleurer, parce qu’on ne lui avait jamais donné de fleurs je crois. Et alors elle est restée un bon moment à pleurer et après, elle est partie racoler. Et alors moi, je suis reparti à la recherche du Mal et du Méchant. »

Et voi-là.

Conte 5
Le film des femmes

J’étais en train de manger une soupe de légumes avec plein de potiron (« calebasse ! ») et je le faisais avec grand plaisir, grande joie et beaucoup d’entrain, quand, de l’extérieur de la cabane du Commandement général de l’Ézétaèléèné, j’ai entendu la voix de l’insurgée Erika demandant la permission d’entrer. (« T’as entendu ça, Toñita ? ») Du seuil de la porte, l’insurgée Erika me lance :

« Les compañeros veulent savoir s’ils peuvent regarder un film.

- Et c’est lequel ? », lui ai-je demandé.

L’insurgée Erika hésite, met un moment à répondre.

« Eh bien, quoi, faut que je te dise compañero sous-commandant insurgé Marcos que je ne sais pas bien comment je vais pouvoir te dire ça », finit-elle par dire, son visage basanée s’empourprant.

« Mmh... Bien, alors ça veut dire qu’il va y avoir du pop-corn », lui ai-je dit pour la sortir d’un embarras dont j’ignorais la teneur et pour contrecarrer tout effet nocif que le potiron était susceptible de causer dans mon organisme délicat. (Tu parles !) Il faut que vous sachiez que les sous-commandants sont allergiques aux légumes, en particulier aux potirons. Ça doit être génétique.

« Bon, ben, d’accord », dit l’insurgée Erika en repartant en courant.

Vautré sur le dos, dans une position qui rappelle celle du boa dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry, je regrettais profondément d’avoir mangé autant de légumes et je me suis mis à réfléchir et à me demander s’il ne vaudrait pas mieux interdire la soupe de potiron en territoire zapatiste.

L’insurgée Erika est réapparue avec les médicaments, pardon, je veux dire avec du pop-corn, et elle est repartie aussitôt. J’ai attendu qu’elle soit sortie de mon champ de vision pour pouvoir me régaler avec l’élégance et les bonnes manières qui me caractérisent, c’est-à-dire que je me suis jeté sur le pop-corn que j’ai avalé à pleines poignées.

Quelques instants plus tard, ayant repris la position du boa du Petit Prince, je regrettais à nouveau profondément, essayant désespérément de digérer une surdose de pop-corn. Soudain, tel un éclair, une idée m’est venue. « Minute ! Pourquoi Erika n’a-t-elle pas pu me dire quel film ils allaient voir ? Ça doit être un film très olé-olé, c’est pour ça qu’elle ne m’a rien dit. »

Non sans efforts, je me suis relevé et j’ai pris la direction de la caserne, un peu à l’écart par rapport à ma cabane.

Un halo bleuté émanait de la cabane qui nous sert de cantine, d’armurerie et de salle de réunion de la cellule d’études politiques et d’activités culturelles. On n’entendait aucune voix d’insurgés, rien que le ronronnement du petit générateur et le son étouffé de gémissements.

« Ha, Ha !, me suis-je dit, alors comme ça ils regardent un film de femmes à poil et ils ne m’ont pas invité ! Je vais immédiatement tous les mettre aux arrêts et me regarder le film tout seul. »

Je me suis approché en catimini pour les surprendre en flagrant délit, comme on dit, et je suis entré sans que personne ne s’en rende compte.

Ô déception ! Le film projeté était un film de Jean-Claude Van Damme et les gémissements que j’avais entendus étaient ceux d’un pauvre type dont les traits évoquaient un quelconque citoyen adhérent à l’Autre Campagne et qui était en train d’essuyer une volée de coups de karateka assénés par l’acteur principal.

« Nom de..., ai-je proféré à voix haute, c’est ça le film que vous alliez voir ? »

En entendant ma voix, les insurgés et les insurgées ont bondi pour se mettre au garde-à-vous, stoppé la projection et allumé les lumières.

M’adressant à l’insurgée Erika, j’ai demandé :

« On peut savoir pourquoi on ne pouvait pas me dire que vous alliez voir un film de kung-fu ?

- Ce n’était pas ce film-là, Sup », m’a répondu l’insurgée Erika en se retournant vers ses compañeras, comme pour leur demander de l’aide.

L’insurgée responsable de la santé est entrée dans le bal en déclarant :

« Non, compañero sous-commandant, le film que nous voulions voir est un documentaire qui traite de la santé en matière de sexualité, des maladies vénériennes, de l’hygiène et tout ça.

- Oui, du sida », dit Erika en se rasseyant, épaulée par les autres femmes mais encore rouge de honte.

Ce n’était pas la première fois que je ne comprenais rien à ce que fabriquait ma troupe, aussi ai-je allumé une pipe et attendu des explications, qui ont été les suivantes :

Le fait est que les insurgées voulaient voir le film « du sida », pour reprendre les mots d’Erika, tandis que les hommes voulaient voir Léon, le bagarreur - qu’ils ont déjà vu, soit dit en passant, quelque chose comme 365 fois. N’arrivant pas à se mettre d’accord, ils s’étaient disputés. Et contrairement à ce qui devrait se passer, les femmes ont gagné et ont regardé le film « du sida ». Les hommes aussi, en fait, parce que les femmes leur ont promis que s’ils regardaient le film « du sida » ils pourraient voir après celui de Van Damme. Elles ont tenu parole.

Et voi-là.

Conte 6
Quatre notes d’un Scarabée
(extrait du carnet de Don Durito de La Lacandona)

Un. L’une des raisons qui font que les femmes sont supérieures aux hommes est que la courte allégresse de l’homme se termine avec l’orgasme. Tandis que la femme a encore un bon moment devant elle pour en jouir.

Deux. Quand elles se révoltent, les femmes se révoltent plusieurs fois. Les hommes, eux, une seule fois, et en avant les empoignades. Pour eux les statues et les monuments. Pour les femmes ? Au mieux, l’ombre qu’ils projettent.

Trois. En plus d’une occasion, un féminisme de revue de mode ou de colloque international a servi d’alibi à des crimes et à des abus. L’égalité de genre s’obtient par l’alchimie de la classe sociale. « On me critique parce que je suis une femme », dit la femme d’en haut quand elle ordonne de tromper, d’emprisonner et de tuer, avec un cynisme égal à celui de l’homme d’en haut.

Quatre. Très souvent l’amour suit le chemin ancestral de la reproduction des espèces. Il tient beaucoup de la routine et de la leçon apprise et retenue. Cependant, parfois, presque jamais, l’amour est un éclair de lumière et d’ombre qui défie calendriers, géographies et manuels de sexologues. Dans ces moments-là, pour un public restreint de peaux et de cµurs à nu, on impartit de nouveau une leçon terrible, unique, merveilleuse. Et l@s élèv@s n’apprennent jamais.

Voi-là.

Merci beaucoup.

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, le 4 janvier 2009.

Traduit par Ángel Caído.

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