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Chroniques de La Otra Campaña

Sur les prisonniers politiques dans l’Oaxaca en février 2006

mercredi 8 février 2006

Oaxaca, le 8 février 2006

Aux abords de la prison d’Ixcotel

Bien, compañeros, compañeras, bonjour

Nous venons de parler avec des hommes et des femmes qui sont détenu(e)s dans cette prison. Nous avons écouté leur histoire et l’histoire que nous avons entendue est l’histoire que nous avons déjà entendue dans d’autres endroits du Mexique. C’est celle de personnes simples et humbles qui travaillent, qui défendent leurs droits, et c’est précisément pour ça, pour défendre leurs droits, que ces personnes sont emprisonnées.

Ces gens sont injustement accusés d’un délit qu’ils n’ont pas commis. Ce sont des personnes à qui on a légalement tendu des pièges pour qu’elles soient emprisonnées, à qui on a inventé des délits. Comme ce sont des gens qui luttent et portent l’idée d’un changement, nous les appelons - nous et beaucoup d’autres - “prisonniers politiques d’opinion”. Ils sont là pour le seul fait de lutter pour leurs droits.

Nous leur avons dit que dans l’Autre Campagne il s’agit d’écouter la voix de tous et ils nous ont parlé ; ils ont dit leur parole et expliqué leur situation, et les compañeros et compañeras des moyens de communication qui étaient là portent leur parole afin de la faire connaître à tous les autres.

Nous leur avons dit que dans l’Autre Campagne nous avons comme principal étendard celui de la libération de tous les prisonniers et toutes les prisonnières politiques dans l’ensemble du pays et l’annulation de tous les ordres d’appréhension qu’il y a contre les militants sociaux

Nous leur avons dit que nous avons trouvé, ici à Oaxaca, la démocratie de celui d’en haut qui distribue les vivres et les ordres d’appréhension à tous ceux qui ne veulent ni se rendre ni se laisser berner.

Nous leur avons dit que nous allons présenter leurs cas et les cas des autres prisonniers et prisonnières politiques devant les tribunaux internationaux, afin d’en finir avec cette fausse image qui veut qu’au Mexique il ne se passe rien. De cette façon, à chaque fois qu’un représentant du gouvernement mexicain se lèvera ou demandera la parole dans un forum international, avec lui se lèvera l’ombre des prisonniers et prisonnières politiques de notre pays.

Nous nous sommes engagés comme zapatistes, et nous invitons les autres organisations et tous les membres de l’Autre Campagne, à mettre au premier plan, pendant cette première tournée, l’exigence pour la libération de tous les prisonniers et prisonnières politiques ainsi que l’annulation des tous les ordres d’appréhension qu’il y a contre les militants sociaux, et ce au niveau municipal, régional ou fédéral.

Les compañeros ont dit leur parole et ils nous ont dit qu’ils seront fermes, qu’ils ne se rendront pas, qu’ils considèrent la prison comme un autre lieu de lutte et que dans quelques semaines ils commenceront une série d’activités comme partie de leur adhésion à l’Autre Campagne. Nous serons attentifs aux activités qu’ils vont réaliser pour les soutenir dans cette lutte que nous menons. Nous serons également attentifs à ce que cette voix que nous avons écoutée grandisse et s’entende loin, jusque dans d’autres pays.

C’est l’information que j’apporte, compañeros et compañeras. Merci

Sur les prisonniers politiques

Compañeros et compañeras, bonjour,

J’espère que vous m’entendez parce que j’ai entendu certaines interventions difficilement. Je vais demander aux compañeros du Codedi [1] qu’ils veuillent bien me transmettre la lettre des compañeros prisonniers politiques de Xanica afin de prendre note parce que j’ai manqué cette partie, je n’ai pas bien entendu. Je n’ai pas entendu non plus le compañerito qui nous a parlé, il était par là, s’il pouvait répéter.

Compañeros, compañeras, il nous semble que le résumé qu’a fait le compañero du Parti communiste marxiste-léniniste, du FPR [2], est un excellent panorama de ce qu’est Oaxaca. Et, comme il l’a lui-même dit, il a eu le privilège de parcourir les six États précédents. Ce résumé peut s’appliquer à n’importe quel État de la République que nous avons traversé. Pour nous, ce résumé reflète une situation ici à Oaxaca comme dans tout le Sud-Est mexicain. Et nous pensons que nous allons peut-être la retrouver dans le reste du pays.

L’assemblée qui s’est réunie là-bas a peut-être des conceptions différentes quant à ce que doit être l’Autre Campagne mais, pour résumer, l’Autre Campagne est l’espace pour se faire entendre. Et c’est en nous écoutant que nous nous connaissons. C’est pour ça qu’il est important de prendre la parole sans timidité. Ici nous ne regardons pas si la personne parle bien l’espagnol, si c’est un bon orateur, mais ce que nous essayons de faire c’est de nous rencontrer, de rassembler nos luttes, les connaître et, comme ont dit les compañeros d’OIDHO [3], apprendre à nous respecter et à nous connaître.

Ceci est la première des trois réunions qu’il va y avoir avec les compañeros et compañeras qui adhèrent à la Sixième Déclaration. Les deux autres auront lieu le 10, après-demain, le matin et l’après-midi.

Nous voulons vous dire que, selon ce que nous avons vu, nous sommes dans un pays où ceux d’en haut auraient mis le feu ; ils le détruisent, le démantèlent et le mettent en vente.

D’une façon ou d’une autre, nous tous, vous et nous, nous nous sommes raccrochés à quelque chose et nous avons construit notre résistance. Le moment est venu comme nous disons. Si nous allons attendre et voir comment se vend ce qui reste de ce pays et il ne restera que des décombres. Ou si de là où nous sommes, oubliant peut-être ce qui nous a amené à résister, notre douleur, notre révolte, parfois nous nous employons à nous confronter entre organisations et à débattre qui a plus mal, qui a le plus de prisonniers ou qui cumule plus de défaites.

Dans l’Autre Campagne, compañeros et compañeras, il s’agit de prendre d’assaut le pays qui nous appartient, celui que nous avons soulevé et construit. Nous ne demandons à personne d’abandonner sa lutte, à personne de changer de nom, que personne ne cesse de faire ce qu’il fait, mais que nous nous mettions d’accord pour débarquer à nouveau dans ce pays avant qu’ils ne le détruisent à nouveau. Et laissons de côté, complètement - on peut aussi les déposer là où ils doivent être, c’est à dire dans la poubelle - les grands propriétaires terriens, les grands banquiers, les grands industriels, les grands commerçants, et avec eux - en prime - mettons les partis politiques et la classe politique qui a été a leur service.

Ce que nous proposons, c’est un grand mouvement où chacun ait une place. Une place dans sa voix, dans son histoire et dans sa douleur. Et commençons par le début : si cette Autre Campagne a commencé par un appel à nommer nos morts, nos disparus, nos prisonniers, c’est le moment de commencer à lutter ensemble, quelque soit l’organisation à laquelle nous appartenons, pour la libération des prisonniers politiques et d’opinion.

Plus comme jusqu’à maintenant, où chaque organisation lutte seule pour ses propres prisonniers, pour ses propres morts et contre ses propres ordres d’appréhension. Nous devons soulever un mouvement national, de là où nous sommes : depuis un des États qui souffre le plus des procédés arbitraires et de la répression. Hier Murat, aujourd’hui Ulises [Ruiz Ortiz]. Toujours les mêmes qui commandent, les mêmes qui punissent et nous mettent en prison.

Nous devons construire un mouvement maintenant, ne le laissons pas pour plus tard, n’attendons pas que les élections soient passées, ou que nous obtenions quelque chose de la lutte que nous entreprenons. Nous devons créer ce mouvement maintenant et commencer à exiger, par des mobilisations conjointes, par des actions conjointes, la liberté totale et inconditionnelle de chacun des prisonniers et prisonnières politiques et d’opinion, sans que nous importe l’organisation à laquelle ils appartiennent. Nous devons lutter pour l’annulation de tous, absolument tous les ordres d’appréhension contre les militants sociaux.

Le premier pas de l’Autre Campagne est celui-là : reconnaître nos prisonniers et nos persécutés ; exiger la présentation des disparus et rappeler et laver le nom de nos morts. Si l’Autre Campagne n’est pas capable de se reconnaître elle-même et reconnaître ses douleurs, lutter pour les soulager, alors elle n’a pas d’avenir. Ici à Oaxaca, nous vous invitons à cela, qu’ensemble, l’Autre à Oaxaca, la Commission Sexta de l’EZLN, nous lancions un appel à tous les compañeros et compañeras de l’Autre Campagne du Mexique et que nous avancions dans cette campagne nationale pour la libération des prisonniers politiques et d’opinion et pour l’annulation totale des ordres d’appréhension contre les militants sociaux.

Ce que nous avons écouté ici et que nous continuerons à entendre les jours qui viennent c’est l’histoire de la douleur, mais aussi de la révolte. Si Oaxaca entre maintenant dans l’histoire par la voie qu’il se doit, c’est à dire d’en bas, c’est parce que Oaxaca a beaucoup à nous apprendre. À nous avant quiconque : aux zapatistes. L’histoire de sa lutte comme peuples indiens, l’histoire de sa lutte comme enseignement démocratique ; l’histoire de la lutte des jeunes qui luttent pour une culture alternative, l’histoire de la lutte des étudiants.

N’importe quel mouvement de n’importe quel endroit a toujours trouvé sur les terres d’Oaxaca la main qui aide et l’épaule qui soutient. Il est juste maintenant que le reste du pays rende à Oaxaca une partie de l’immense aide qu’il nous a donnée. Nous voulons vous dire ce que nous allons vous dire plus tard : vous n’êtes pas seuls compañeros. Ni comme organisations, ni comme groupes, ni comme collectifs, ni comme individus. L’Autre Campagne c’est ça : la grande fraternité, le grand réseau d’aide entre tous ceux d’en bas dans tout le pays.

Si nous avons déjà parcouru le Chiapas, le Quintana Roo, le Yucatán, Campeche, Tabasco, Veracruz, c’est un symbole que le numéro sept, le numéro de nos ancêtres revienne à Oaxaca. C’est ici, dans cet État et dans l’Isthme, que se décide si ce pays se coupe en morceaux, pour que le grand empire d’Amérique du Nord et d’Europe nous mange, ou si c’est ici que se construit le maillon qui unit les luttes du sud-est avec les luttes du centre et du nord du pays.

S’il y a un endroit où l’on peut dire que se détermine le futur de notre pays, c’est ici, sur les terres d’Oaxaca. Ici, avec les organisations sociales, ici avec les syndicats, ici avec les peuples indiens ; ici avec les personnes : jeunes, femmes, enfants, vieillards et adultes qui ont fait d’Oaxaca non pas le lieu du luxe et du tourisme mais l’endroit de la lutte et de la révolte.

Jusqu’à maintenant, compañeros et compañeras, nous sommes seuls, chacun de notre côté. Jusqu’à aujourd’hui nous portons nos douleurs, nos prisonniers, nos morts, nos disparus, nos persécutés, seuls. C’est le moment de réunir ce poids et entre tous découvrir que nous pouvons le porter et commencer à rendre justice comme nous devons le faire : en la prenant en main. Il ne s’agit plus de supplier ou de demander à celui qui a tout. Il faut que nous prenions en main ce qui nous appartient. Et Oaxaca, l’Oaxaca d’en bas et à gauche, sait mieux que quiconque que la première chose qui est à nous et nous appartient c’est la liberté. Nous devons commencer à la prendre et tout de suite.

Nous sommes passés par la prison de Tehuantepec, dans la matinée nous sommes allés aussi dans l’autre prison et de ces compañeros emprisonnés nous avons entendu non pas la douleur mais la révolte. Nous n’avons pas entendu de la tristesse mais la ferme conviction qu’ils ne sont pas là pour un délit, mais pour avoir été cohérents avec leurs idées. Le moins que nous puissions faire, nous qui sommes dehors, c’est répondre à cette révolte et à cette fermeté en leur disant clairement que nous ne les oublions pas. Et pas seulement comme une déclaration, mais comme le début d’une série de mobilisations, manifestations et mouvements pour exiger leur liberté à tous, absolument tous et partout dans le pays. Voilà ce que nous voulons leur dire, compañeros et compañeras.

À celui qui n’a pas encore parlé, nous lui demandons qu’après-demain il prenne le micro et qu’il parle. Sa voix je ne vais pas l’entendre seulement moi, ne vont pas seulement l’entendre ceux qui sont ici : sa voix va aller très loin. Elle va être entendue par d’autres Mexicains et Mexicaines, d’autres indigènes, d’autres ouvriers, d’autres jeunes, d’autres femmes, d’autres vieillards et d’autres enfants partout dans le pays.

C’est ça l’Autre, l’endroit où nous pouvons nous écouter et unir nos luttes. C’est pour ça que cet appel se fait d’ici, en bas et à gauche. Pour cette raison nous n’orientons pas notre regard en haut pour voir si un autre - comme ont dit les compañeros d’OIDHO - pour voir si un autre homme providentiel va nous sortir de l’embarras dans lequel nous sommes. Non, aucun homme, tout masqué qu’il soit, va résoudre ça. Ce qui va le résoudre c’est le peuple organisé, soit au travers d’organisations indigènes, soit au travers d’organisations de femmes ou de jeunes, d’organisations politiques, d’associations de quartiers, de syndicats. Ce peuple organisé, en maintenant toujours le respect envers ces différents membres, est celui qui va pouvoir conquérir le Mexique qui a commencé à avancer avec cette Autre Campagne et qu’il sera impossible d’arrêter. Et il ne s’arrêtera pas avant que ce pays soit juste. Là où est son destin, il doit être entre nos mains à tous. Que pour Oaxaca ne décide plus celui qui est en haut. Que pour Oaxaca ne décide plus celui qui a l’argent, le pouvoir, celui qui trompe. Que pour Oaxaca décident ses habitants, ceux qui travaillent et le font avancer.

Merci compañeros, merci compañeras.

Traduit par Susana.
Source : Enlace Zapatista

Notes

[1Codedi : Comité de défense des droits indigènes

[2FPR : Front populaire révolutionnaire, organisation stalinienne.

[3OIDHO : Organisations indiennes pour les droits de l’homme à Oaxaca, de tendance magoniste.

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