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Un pingouin dans la forêt Lacandone (I)

mercredi 27 juillet 2005, par SCI Marcos

(La maison zapatiste n’est qu’une humble demeure, sans doute la plus petite d’une rue appelée « le Mexique », dans le quartier appelé « Amérique latine » d’une ville appelée « Monde ».)

Je sais que vous n’allez pas me croire, mais il y a un pingouin dans le QG de l’éssétaèlène ! Je vous vois d’ici vous exclamer : « Ah, ben ouais, c’est le Sup ! Il a pété les plombs à cause de l’alerte rouge. » Mais non, il y a vraiment un pingouin. Qui plus est, pendant que moi, je vous écris ces quelques lignes, lui (le pingouin), il est juste à côté de moi, occupé à grignoter un morceau du bout de pain dur et rassis - tellement moisi que c’est quasiment de la pénicilline - auquel j’ai eu droit comme ration pour la journée, avec du café. Ouais, un pingouin. Mais je vous en parlerai tout à l’heure, il faut d’abord dire deux mots de la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone.

Nous avons lu avec attention une partie des doutes, des critiques, des conseils et des débats suscités par ce que nous disons dans la Sixième Déclaration. Nous n’avons donc pas tout lu, mais ne croyez pas que ce soit par manque d’intérêt, c’est à cause de la pluie et de la boue qui rallongent encore les sentiers dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Il y a de nombreux points à discuter, mais je n’évoquerai ici que deux d’entre eux.

Toute une série de critiques se réfère à notre appel à convoquer une nouvelle rencontre intercontinentale, au caractère national mexicain de la Sixième Déclaration et, à cet égard, à la proposition (car ce n’est encore que cela, une proposition) de faire s’unir lutte indigène et luttes d’autres secteurs sociaux, notamment celles des travailleurs des campagnes et des travailleurs des villes. D’autres concernent la définition de la gauche anticapitaliste et le fait que la Sixième Déclaration aborde des « thèmes démodés » ou utilise des concepts « usés ». D’autres encore signalent les pièges dans lesquels nous pourrions tomber : l’éviction de la question indigène par d’autres questions, ce qui aurait pour conséquence d’envoyer sur une voie de garage la constitution des peuples indiens comme sujet de la transformation sociale ; l’avant-gardisme et le centralisme qui découleraient d’une politique d’alliance avec des organisations de gauche ; voir la question sociale détrônée au profit d’un projet politique ; l’utilisation que pourrait faire la droite du zapatisme pour frapper López Obrador - et avec lui, frapper le centre (je sais bien que ce dernier avertissement repose sur le fait qu’AMLO est de gauche, mais lui-même dit qu’il est du centre ; alors nous, nous tenons compte de ce qu’il dit, lui, et non de ce que les autres disent de lui). La plupart de ces avertissements sont bien intentionnés et cherchent à nous aider, soit en nous prévenant d’obstacles éventuels, soit en donnant une opinion sur la façon dont pourrait grandir le mouvement que veut amorcer la Sixième Déclaration. Nous en sommes reconnaissants, nous l’apprécions et nous en tenons compte.

Coups de ciseaux et colle à papier

Je ne parlerai pas des gens qui regrettent que l’alerte rouge n’ait pas débouché sur la reprise d’actions militaires offensives de la part de l’EZLN. Nous sommes désolés de ne pas avoir comblé leurs espoirs et de ne pas leur avoir donné le sang, la mort et la destruction qu’ils attendaient. Pardon, mais, en ce qui nous concerne, pas question ! Peut-être en une autre occasion... Je ne parlerai pas non plus des critiques malhonnêtes, comme celles émanant de gens qui publient le texte de la Sixième Déclaration pour lui faire dire ce qu’ils veulent. C’est le cas d’un certain Victor M. Toledo, dans un article intitulé « Au-delà du zapatisme. Sustentation, résistance indigène et néolibéralisme », publié dans la livraison du 18 juillet du quotidien mexicain La Jornada. Je pense quant à moi qu’il est tout à fait possible de débattre les buts et les méthodes envisagés dans la Sixième Déclaration sans avoir besoin d’être malhonnêtes. Parce que, avec la méthode du « coup de ciseau et de la colle à papier », le ci-devant Toledo publie la Sixième Déclaration pour dire qu’il y manque... ce que lui a fait disparaître ! Ce monsieur dit : « Il est étonnant de constater qu’elle [l’EZLN, dans sa Sixième Déclaration] décide d’unir ses efforts à ceux des paysans, des travailleurs, des ouvriers, des étudiants, des femmes, des jeunes, des homosexuels, des lesbiennes, des transsexuels, des prêtres, des bonnes sœurs et des combattants de causes sociales, mais qu’elle ne fasse pas une seule fois référence aux milliers de communautés indigènes tout entières occupées à rechercher des moyens de survivre. »

Eh bien, il se trouve que les différentes parties de la Sixième Déclaration qu’a publiées le sieur Toledo disent exactement le contraire. Dans le fragment où l’on salue l’existence de résistances et d’alternatives au néolibéralisme au Mexique, par exemple, et en tête d’une énumération, on peut lire : « Et on s’aperçoit ainsi qu’il y a des indigènes, dans leurs terres reculées du Chiapas, qui construisent leur autonomie et défendent leur culture et protègent la terre, les forêts et l’eau. » Toledo aurait peut-être aimé y trouver une liste détaillée de ces luttes indigènes, c’est une chose. Mais c’est une autre chose, totalement différente, et qui plus est malhonnête, de dire qu’il n’en est pas fait une seule fois mention. Dans la liste que dresse le sieur Toledo des autres efforts auxquels l’EZLN a décidé de s’unir, il n’a rien trouvé de mieux que d’éliminer le premier groupe social auquel se réfère la Sixième Déclaration, où il est dit, textuellement : « Et alors, en respectant les accords dégagés par la majorité de ces gens que nous allons aller écouter, eh bien, nous construirons une lutte de tous, des indigènes, des ouvriers, des paysans, [...] », etc. Et qui plus est, dans le premier point qu’aborde à proprement parler la Sixième Déclaration, on peut d’ailleurs lire : « 1. Nous allons continuer à lutter pour les peuples indiens du Mexique, mais nous ne nous battrons plus seulement pour eux et avec eux, mais pour tous les exploités et dépossédés du Mexique, avec eux tous et dans l’ensemble du pays. » Et dans l’en-tête de la Sixième Déclaration, nous disons aussi « Nous invitons les indigènes, les ouvriers, les paysans, [...] », etc. Bref, passons. J’imagine qu’il y aura des personnes irritées par nos critiques à l’encontre de López Obrador et du PRD qui nous adresserons des critiques plus sérieuses, et plus honnêtes, pour servir au débat. Ils finiront bien par nous les envoyer. Nous attendrons, c’est notre spécialité.

Des critiques du style « On ne veut pas de vous dans ce quartier »

Il y a aussi des critiques, quoique énoncées de manière moins explicite, qui se réfèrent au fait que la Sixième Déclaration aborde des questions internationales et visent la manière dont nous le faisons. D’aucuns critiquent ainsi le fait que nous évoquions l’embargo que maintient le gouvernement américain contre le peuple de Cuba. « C’est un thème trop vieux », disent-ils. Vieux comment ? Aussi vieux que l’embargo ? Ou aussi vieux que la résistance des peuples indiens du Mexique ? Quelles sont les questions « modernes » ? Qui peut honnêtement considérer le monde et négliger, sous prétexte d’être trop vieille, l’agression commise contre un peuple qui fait ce que tous les peuples doivent faire, à savoir, décider de leurs orientations, de leur rythme et de leur destin en tant que nation (ils appellent ça « défendre la souveraineté nationale ») ? Qui oserait ignorer des dizaines d’années de résistance face à la domination nord-américaine ? Qui, sachant que quelque chose peut être fait, même si c’est très peu, pour reconnaître de tels efforts, ne le ferait pas ? Qui peut ignorer que le peuple de Cuba doit chaque fois relever la tête, après une catastrophe naturelle, non seulement sans les aides et les crédits dont bénéficient d’autres pays, mais aussi en étant aux prises avec un blocus brutal et inhumain ? Qui peut oublier l’existence en territoire cubain de la base américaine de Guantanamo, du centre d’expérimentation de tortures qu’elle est devenue et de la blessure qu’elle signifie pour la souveraineté d’une nation ? Qui peut fermer les yeux devant tout cela et dire que « c’est vieux tout ça ! ».

D’un autre côté, ne trouvez-vous pas plutôt normal qu’un mouvement composé dans sa majorité d’indigènes, comme l’est le mouvement zapatiste, éprouve sympathie et admiration pour ce que font les indigènes de l’Équateur et de la Bolivie ? Qu’il se sente frère de ceux qui n’ont pas de terres et luttent pour cela au Brésil ? Qu’il s’identifie aux piqueteros d’Argentine et qu’il salue les Mères de la place de Mai. Qu’il voie des similitudes entre les expériences et l’organisation des Mapuche du Chili, des indigènes de Colombie, et les siennes ? Qu’il se rende compte de ce qui est évident au Venezuela, à savoir, que le gouvernement des USA fait tout ce qu’il peut pour violer la souveraineté de ce pays ? Enfin, que notre mouvement applaudisse avec enthousiasme les grandes mobilisations en Uruguay pour s’opposer à la « stabilité macroéconomique » qu’on voudrait y imposer ?

La Sixième Déclaration ne se réfère pas aux institutions d’en haut, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Elle regarde vers le bas. Et elle regarde une réalité qui est commune à un grand nombre et qui remonte au moins aux conquêtes par l’Espagne et le Portugal de ces terres que l’on rassemble aujourd’hui sous le nom d’« Amérique latine ». Il se peut que ce sentiment d’appartenir à « notre grande patrie » qu’est l’Amérique latine soit « vieux », et que ce qui est « moderne », ce soit de tourner son regard et ses aspirations vers le « Nord turbulent et brutal ». C’est bien possible. Mais s’il y a bien quelque chose de « vieux » dans ce recoin du Mexique, de l’Amérique et du monde, c’est la résistance des peuples indiens.

Des critiques du style « On ne veut pas de vous dans cette rue »

On nous adresse aussi des critiques (j’en résume et souligne certaines) pour avoir « voulu nationaliser, et même universaliser » notre discours et notre lutte, qui affirment que la Sixième Déclaration tombe sous le coup de telles erreurs. Elles recommandent par conséquent à l’EZLN de se cantonner au Chiapas, de consolider les conseils de bon gouvernement et de se limiter au compartiment étanche qui lui revient. Et que ce n’est qu’une fois ce projet consolidé et la preuve faite que nous sommes capables de « mettre en pratique une modernité qui forme une alternative au néolibéralisme au sein de nos territoires » que nous pourrions nous attaquer à une échelle nationale, internationale et intergalactique. Face à de tels arguments, nous, nous présentons notre réalité. Nous ne cherchons pas à rivaliser avec qui que ce soit pour démontrer qui est le plus antinéolibéral ou qui a le plus avancé dans la résistance, mais, en toute modestie, notre niveau et notre contribution se voit dans les conseils de bon gouvernement. Tout le monde peut y aller, parler avec nos autorités ou avec nos peuples en ne faisant aucun cas des lettres et autres communiqués dans lesquels nous rendions compte du processus en cours, et enquêter, sans intermédiaire, sur ce qui se passe ici, sur les problèmes que nous devons affronter et sur la façon dont nous les résolvons. Je ne vois pas très bien à qui nous devrions démontrer que tout cela, c’est « mettre en pratique une modernité qui forme une alternative au néolibéralisme au sein de nos territoires », ni qui serait en mesure de nous donner une bonne ou une mauvaise note et, selon le résultat, de nous autoriser à sortir pour tenter d’unir notre combat à d’autres secteurs.

Nous avons en outre la nette impression que ces critiques se transformeraient en éloges... si la Sixième Déclaration affirmait son soutien inconditionnel au centre politique incarné par López Obrador. Et si nous disions par exemple que nous allons venir rejoindre les réseaux citoyens qui soutiennent AMLO, alors là, les « oui », les « bien sûr, il faut sortir, ne pas rester enfermés, il est grand temps que le zapatisme quitte sa tanière et qu’il unisse ses expériences aux masses en liesse vouées à sa victoire » seraient légion. Hum ! López Obrador. Il vient de présenter son « projet alternatif de nation » à ces réseaux citoyens. Nous nous en méfions et nous n’y voyons que de la chirurgie esthétique (et qui change en fonction du client) et une liste de promesse prêtes à être oubliées. Quoi qu’il en soit, quelqu’un devrait peut-être aller dire à AMLO qu’il ne peut pas promettre « l’application des Accords de San Andrés », parce que cela implique entre autres une réforme de la Constitution et que, si je ne m’abuse, c’est une tâche qui incombe au Congrès. De toute façon, c’est un parti politique qui devrait faire une telle promesse, en signalant que ses candidats rempliront leurs engagements une fois élus. Sinon, il faudrait aussi proposer que l’exécutif fédéral commande aux autres pouvoirs, ou n’en tienne pas compte. Autrement dit, une dictature. Mais il n’est évidemment pas question de cela. Ou bien si ?

Dans la politique d’en haut, les projets cherchent à rassembler le plus de monde possible, en période électorale. Mais en ralliant certains, ils en retirent d’autres. Alors, ils décident de rallier ceux qui sont les plus nombreux, et d’en enlever chez ceux qui le sont moins. AMLO a créé une structure parallèle au PRD, les « réseaux citoyens », dans le but de rallier ceux qui ne sont pas de ce parti. López Obrador postule pour ces réseaux citoyens six personnes, censées coordonner, au niveau national, tous les « lopézobradoristes » qui ne sont pas du PRD. Examinons de plus près deux de ces « coordinateurs nationaux » :

Socorro Díaz Palacios, vice-ministre de la Protection civile dans le cabinet de Carlos Salinas de Gortari. Le 3 janvier 1994, tandis que les troupes fédérales perpétraient le massacre du marché d’Ocosingo, Socorro Díaz déclarait (je cite la circulaire de presse du ministère de l’Intérieur) : « Les groupes de violents qui sont passés à l’action dans l’État du Chiapas sont le résultat d’un mélange de personnes et d’intérêts mexicains et étrangers. Ils ont des affinités avec d’autres factions violentes qui opèrent dans des pays frères d’Amérique centrale. Sous la pression des chefs de ces groupes, des indigènes ont été recrutés et sans aucun doute également manipulés sur la base de leurs exigences historiques, qui doivent être écoutées » Et, plus loin : « L’armée mexicaine, pour sa part, continuera d’agir dans le respect le plus grand des droits des personnes et de la collectivité, jusqu’à ce qu’elle ait donné une réponse claire et ferme à leur souci d’ordre et de sécurité... bla, bla, bla... » Dans les jours qui suivirent, les forces aériennes bombardaient les communautés indigènes au sud de San Cristóbal de Las Casas et l’armée fédérale arrêtait, torturait et assassinait trois indigènes dans la communauté de Morelia, qui appartenait alors à la commune d’Altamirano, au Chiapas, Mexique.

Ricardo Monreal Ávila. En janvier 1998, quelques jours seulement après le massacre d’Acteal, celui-ci, qui était alors député du PRI et membre de la commission permanente du Congrès de l’Union, « déclara que l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) est un groupe paramilitaire, tout comme ceux qui ont assassiné 45 indigènes tzotziles le 22 décembre 1997, dans la commune de Chenalhó, au Chiapas. “Parce que les paramilitaires, ce sont tous ceux qui agissent comme une armée sans l’être et qui s’arment alors qu’ils sont civils. Ils doivent tous abandonner les armes car ils ont tous contribué à cette violence inutile, injuste et maladroite qui a endeuillé l’ensemble des Mexicains”, ajouta-t-il » (“El Informador” [L’Informateur] de Guadalajara, Jalisco, 3/1/1998). Quelques jours plus tard, et juste avant de rejoindre le PRD parce que le PRI ne l’avait pas laissé se présenter comme candidat au gouvernement de Zacatecas, il devait déclarer (je cite une note de Ciro Pérez et Andrea Becerril dans La Jornada du 7/1/1998) que « l’épisode de Chenalhó » (il se réfère au massacre d’Acteal) était bel et bien planifié, « mais pas par ceux que désigne comme auteurs le leader blanc des indigènes à la peau sombre » ; il est d’avis que la position de l’EZLN face à ce massacre tente « de justifier par avance Marcos et les intérêts que celui-ci défend », et il finit en avertissant que l’EZ sert des intérêts étrangers qui cherchent à « établir leur domination sur l’isthme de Tehuantepec, ses ressources et sa situation stratégique, objectif que servent au mieux Marcos et les armées qui se disputent l’étendard indigène ». Hum ! Ça me dit quelque chose, attendez, attendez... Ça y est, c’est le point 28 du programme d’AMLO, qui dit, textuellement : « Nous relierons l’Atlantique au Pacifique, dans l’isthme de Tehuantepec, avec la construction de deux ports commerciaux - l’un à Salina Cruz, Oaxaca, et l’autre à Coatzacoalcos, Veracruz -, ainsi que des chemins de fer pour le transport de conteneurs de marchandises et l’élargissement du réseau routier actuel. »

En s’acoquinant avec de tels personnages, López Obrador s’est défini, il s’est rallié certains et, avec cela, il s’est aliéné, entre autres, les « néozapatistes ».

Par ailleurs, pourquoi ne trouve-t-on rien dans ce programme concernant les prisonniers et les personnes « disparues » politiques au cours de la guerre sale des années 1970 et 1980 ? Rien non plus sur d’éventuels châtiments des anciens gouvernants qui se sont enrichis de manière illicite ? Rien encore sur la volonté de rendre justice dans les affaires des massacres d’Acteal, El Bosque, Aguas Blancas et El Charco ? Je crains fort qu’en matière de justice López Obrador ne se limite à offrir un « on efface tout et on recommence » ; ce qui, paradoxalement, n’a rien de nouveau. Avant de revenir aux critiques sur les jugements émis dans la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone sur le Mexique, l’Amérique latine et le monde, qu’il me soit permis de dire quelque chose :

Eh oui, « Nous allons sortir »

Nous allons sortir. Nous allons sortir de notre tanière, et il vaut mieux commencer à se faire à cette idée. Nous allons quitter notre trou et, à mon avis, il n’y a que quatre manières de nous en empêcher.

L’une d’elles, c’est par une attaque préventive, tellement à la mode en cette phase néolibérale. Les étapes en sont prévisibles : accusations d’être lié au narcotrafic ou, plus généralement, au crime organisé ; puis invocation de l’État de droit et foutaises de ce genre ; campagne médiatique intense ; attaque double (contre les communautés et contre le Commandement général) ; contrôle des dégâts (c’est-à-dire distribution d’argent, de concessions et de privilèges aux « porte-parole de l’opinion publique ») ; les autorités appellent à prendre les choses avec calme ; les hommes politiques déclarent que le plus important est que le processus électoral suive son cours dans la paix et le calme social ; enfin, après une brève impasse, comme aux cartes, les candidats reprennent leur campagne.

Une autre, c’est de nous emprisonner quand nous sortirons, ou pendant le déroulement de « l’Autre Campagne ». Les étapes ? Réunions clandestines des dirigeants du PRI, du PAN et du PRD pour passer des accords (comme en 2001 avec la contre-réforme indigène) ; la Cocopa déclare que le dialogue est rompu ; le Congrès vote l’annulation de la loi en matière de dialogue ; le ministère émet les ordres d’arrestation ; un commando de l’AFI soutenu par l’armée fédérale capture les délégués zapatistes ; simultanément, l’armée fédérale encercle les communautés indigènes rebelles « afin d’éviter tout désordre et de garantir la paix et la stabilité de la nation » ; puis contrôle des dégâts, etc.

Une autre, c’est de nous tuer. Alors, les étapes : on engage un tueur ; on monte une provocation ; on commet le crime ; les autorités déplorent les faits et s’engagent à mener une enquête « jusqu’aux ultimes conséquences et quelles que soient les têtes qui devront tomber ». Solution alternative : « un regrettable accident provoque la mort de la délégation zapatiste en route pour... bla, bla, bla... » Dans chacun des cas : contrôle des dégâts, etc.

Une autre, enfin, est de nous faire disparaître. Je me réfère à une disparition forcée, comme celle que l’on a fait subir à des centaines d’opposants politiques au cours de l’étape de « stabilité » priiste. Ça pourrait se passer de la manière suivante : les délégués zapatistes ne sont pas au rendez-vous ; la dernière fois qu’ils ont été vus, c’est... bla, bla, bla... ; les autorités s’engagent à mener l’enquête ; on émet l’hypothèse d’un problème passionnel ; les autorités déclarent qu’elles suivent toutes les pistes, sans écarter la possibilité que la délégation zapatiste ait profité d’être « sortis » pour s’enfuir, avec une certaine quantité de pozole aigre, dans un paradis fiscal ; Interpol mène son enquête dans les îles Caïmans ; contrôle des dégâts, etc.

Voilà les dangers initiaux auxquels doit faire face la Sixième Déclaration. C’est pour affronter de telles éventualités que nous nous sommes préparés pendant de nombreuses années ; c’est pour cela que seule la mise en alerte rouge générale des communautés a été levée, mais pas celle de nos troupes ; et c’est pour cela que l’un des communiqués signalait que tout ou partie de la direction de l’EZLN pouvait être emprisonnée, tuée ou victime d’une disparition forcée, mais qu’elle pourrait poursuivre le combat.

(À suivre)

Des montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, juillet 2005.

Traduit par Ángel Caído.

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