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Une nouvelle lumière à l’horizon du Michoacán :
Ostula et Cherán

mardi 26 juillet 2011, par Gloria Muñoz Ramírez

Morelia, Michoacán.

Les expériences d’autodéfense indigène qui se développent dans les communautés nahua d’Ostula et purhépecha de Cherán représentent une alternative d’organisation communautaire à partir de la base pour la défense du territoire contre la délinquance organisée, les paramilitaires et les autorités qui agissent en connivence avec les narcotrafiquants.

À Ostula et à Cherán, la première communauté se trouvant sur la côte du Michoacán et la seconde sur le plateau purhépecha, la population s’est organisée pour se protéger de tout le monde (bandes organisées, gouvernements, bûcherons, caciques, paramilitaires) et ces deux communautés ont réussi à stopper, sans l’aide des institutions, les actes délictueux, à l’exception des assassinats et des disparitions qui ont plus à voir avec la répression visant leurs organisations qu’avec la délinquance ordinaire.

Interviewés par Ojarasca, des représentants des deux communautés sont d’accord sur le fait que leurs villages représentent deux efforts réels pour affronter la violence quand se sont épuisés tous les recours et que les gouvernements ne répondent pas, rien d’étonnant, ils ont l’habitude d’être liés à la criminalité organisée. Le prix à payer et les menaces ne sont pas minces. À Ostula, au cours de ces deux dernières années, quatre membres de la communauté ont été enlevés et n’ont plus réapparu, et au cours des six derniers mois seize de leurs camarades ont été assassinés « par des membres de la délinquance organisée au service des soi-disant petits propriétaires de La Placita ». À Cherán, on compte dix homicides ces trois dernières années (trois, pendant les deux mois de la résistance) et cinq personnes ont été enlevées. Mais leurs luttes coïncident et désormais, il n’y aura pas de retour en arrière.

À Ostula, il y a deux ans, la police communautaire traditionnelle a été reconstituée avec la formation d’un corps de garde communale afin de protéger la possession des terres récupérées ; pendant qu’à Cherán la sécurité est à la charge, depuis le 15 avril, d’un guet traditionnel appuyé par des patrouilles de vigilance formées par toute la communauté. La mise en place de l’autodéfense, expliquent-ils, « n’est pas illégale car elle est reconnue par les accords internationaux et s’exerce complètement dans le cadre de l’autonomie ».

La police communautaire nahua est en activité sur le territoire récupéré de Xayakalan, où « il n’y a ni agressions ni assassinats, ceux-ci ayant lieu principalement sur la route côtière numéro 200, sous surveillance fédérale, ou dans des agglomérations hors de notre territoire ». À Ostula, disent-ils, « avec tout, avec nos morts et nos disparus, nous sommes arrivés à stopper la délinquance, la construction de routes, les mines, les projets touristiques. Tout cela en nous organisant ».

À Cherán, de son côté, en un peu plus de deux mois, les indices de délinquance — les extorsions, les vols dans les voitures ou chez les gens, le vol de bétail, les enlèvements et la destruction de cultures — ont diminué de 90 pour cent. L’abattage d’arbres forestiers a aussi chuté de 90 pour cent, « mais nous n’arrivons pas à surveiller l’ensemble du territoire car il est très vaste et il sort encore deux à trois véhicules par jour avec du bois, ce qui est peu de chose si nous considérons qu’avant le soulèvement il en sortait plus de deux cents ».

Aucune de ces deux expériences ne peut se concevoir seule. Lors des réunions collectives, les Nahuas échangent des expériences avec les Purhépechas. Il y a des projets de rencontres pour échanger des expériences d’autodéfense, au cours desquelles chacun pourra parler du chemin parcouru, des problèmes rencontrés, des défis, et des avancées. La solidarité est palpable. « Ainsi nous apprenons et nous nous encourageons », disent d’un commun accord les interviewés.

Au sujet de la portée de leur lutte et la position qu’ils sont en train de construire (et de défendre) au niveau national, ceux de Cherán reconnaissent avec modestie partager « l’espérance qu’il existe des formes de protection communautaire quand règne l’absence de confiance dans les corps de sécurité institutionnels ». Ceux d’Ostula, pour leur part, précisent que leur expérience prouve que l’on peut travailler « sans la permission » du gouvernement. « Personne en haut lieu ne fera notre travail et c’est uniquement nous qui pouvons répondre. En plus si tu te désorganises, tu es davantage poursuivi, et tu risques fort de te trouver en prison ou d’être tué. »

Dans ces deux luttes, ils sont bien d’accord qu’en premier lieu il leur a fallu mettre de côté les partis politiques et les références religieuses. « À Ostula on a passé outre à toutes les institutions, les partis et les gouvernements. La décision fut prise de ne pas participer aux élections et nous nous sommes organisés pour sauvegarder la communauté sans demander la permission à personne, si ce n’est à l’assemblée. » À Cherán, « maintenant nous ne laissons plus les partis politiques interférer dans nos décisions et nous diviser ». Ce fut la première mesure. « On a laissé derrière nous les idéologies partisanes, les différences religieuses et jusqu’aux querelles entre familles. »

Cherán « est seulement une réponse locale à la violence et à la dépossession », voir que « l’on peut faire quelque chose pour affronter le désastre dans lequel ils nous ont mis ». À Ostula, ils disent : « Depuis que nous avons récupéré les terres, chaque lever du soleil est une victoire et chaque jour la lutte doit reprendre. »

Nouveaux défis pour Cherán

La mobilisation à Cherán a commencé le 15 avril, quand les bûcherons à la solde d’une entreprise illégale sont entrés au lieudit Ojo del Agua de la Cofradia (œil de l’eau de la Confrérie) et qu’un groupe de personnes de la communauté (les comuneros) les a affrontés ; ils en ont arrêté cinq, commençant ainsi la défense active de leurs forêts. En quelques heures, toute la population est sortie dans les rues pour se défendre, élever des barricades et organiser des rondes nocturnes afin de sauvegarder la communauté, mettant fin à la coupe anarchique de leurs bois et à la vague de violence qu’ils ne supportaient plus, avec des séquestrations, des extorsions, des vols et des enlèvements.

Aujourd’hui, avertissent les comuneros, à plus de deux mois du soulèvement, les défis auxquels se confronte l’organisation se sont multipliés. La première priorité a consisté à organiser la sécurité ; à cette fin, ils se sont armés de bâtons, de pierres, de machettes, de pioches, de pelles et de tout ce qu’ils pouvaient trouver, et ils ont affronté ceux qui, depuis trois ans, dévastaient les forêts de la communauté sous la protection de groupes armés et du gouvernement, qui n’a rien fait pour les arrêter.

Les semaines suivantes, ils ont commencé à organiser des commissions d’éducation, de santé, de photo et de vidéo, de presse et d’approvisionnement. Et maintenant, les défis les plus importants consistent à remettre en route l’activité économique, avec la mise en place d’une commission de production, et à faire en sorte que l’éducation de la population garantisse le respect des commissions chargés de la surveillance. Actuellement, dans l’agglomération, sévit la loi sèche, mais « les gens n’en font pas toujours cas, c’est pourquoi une plus grande prise de conscience est nécessaire, et surtout du respect ; il faut que les gens comprennent que nous sommes dans un processus, qu’il s’agit de construire notre propre protection ».

Avec le temps et l’organisation, les besoins ont augmenté. Les patrouilles de surveillance ont besoin de lampes, d’imperméables, de radio-émetteurs, de bottes, etc. Alors que, pour le maintien des barricades et des 179 feux qui protègent les quatre quartiers de Cherán, on a besoin de vivres, de café, de sucre, de haricots, de riz, de sel, d’huile, et d’autres produits alimentaires.

Le mouvement, disent-ils, trouve sa racine dans notre identité en tant que peuple, dans notre culture et notre relation avec la nature. « Mais, de toute manière, il nous manque encore beaucoup de travail pour nous reconstruire et nous renforcer. Nous avons fait le premier pas qui a consisté à répondre à un cas d’urgence, mais chaque jour naissent de nouveaux défis. Maintenant, nous sommes au début de la reconstruction de la communauté, dans le plein exercice de notre culture et de nos droits. »

Cherán compte avec un territoire communal de 27 000 hectares dont 20 000 sont boisés ; 80 pour cent de ces 20 000 hectares ont été totalement détruits, incendiés ou coupés, les 20 pour cent restants ont aussi souffert de la déforestation, mais ils n’ont pas encore été incendiés. C’est cette situation qui les a conduits à se mobiliser.

Deux ans de résistance à Ostula

Le 29 juin, cela a fait deux ans que les Nahuas d’Ostula, appuyés par les comuneros d’El Coïre et de Pomaro, ont récupéré plus de mille hectares qui avaient été envahis durant quarante ans par les soi-disant petits propriétaires de la communauté La Placita. Les narcotrafiquants, les investisseurs immobiliers, les soi-disant petits propriétaires et les entreprises minières se sont disputé les terres récupérées. Mais, de fait, elles appartiennent aux Nahuas.

En juin 2008, comme ils le rappellent dans un communiqué récent, désespérés face à l’invasion de leur territoire, la lenteur et l’absence de réponse des différentes instances gouvernementales, ils ont pris la décision de récupérer le 28 juin le terrain appelé la Canaguancera et de fonder ici un peuplement autonome et un campement de résistance, Xayakalan, la communauté ayant décidé en assemblée que leur lutte n’aurait rien à voir avec les partis politiques.

À partir de la récupération de cette partie de leur territoire, de la réactivation de la police communautaire, de la garde communale, de la construction du peuplement autonome de Xayakalan, « se sont intensifiés le harcèlement et la répression de la part de groupes paramilitaires fortement armés, engagés et protégés par les soi-disant petits propriétaires de La Placita et avec la complicité ou l’assentiment tacite de la marine et des autres forces militaires qui opèrent dans la zone ».

Malgré tout ce harcèlement, ils sont arrivés à leur deuxième anniversaire « célébrant la récupération des terres », ce qui représente « un triomphe important pour nous car nous avons réussi à les garder, nous ne les avons pas laissés nous les enlever », nous signale un représentant du nouveau peuplement, qui se trouve sur la côte pacifique du Michoacán, un endroit où ils sèment du maïs, de la papaye et du sésame.

La suite ? Ils disent qu’ils vont continuer à travailler la terre, à construire le hameau, à l’agrandir. « Nous devons aussi chercher comment renforcer notre organisation. Aujourd’hui, ce n’est pas la même chose qu’il y a deux ans. Il y a de nouveaux défis à relever pour ne pas nous embourber et nous éteindre. »

Les comuneros nahuas expliquent qu’à Ostula « désormais nous ne dépendons plus du gouvernement, lui-même complice de la délinquance, mais seulement de l’organisation communautaire : là est notre force ».

Aux défis de l’organisation intérieure harcelée en permanence, s’ajoute maintenant l’urgence suscitée par le passage de l’ouragan Béatrice sur notre territoire. Le 21 juin, Xayakalan a été durement touché par ce phénomène naturel qui a détruit des maisons, des champs de maïs et des arbres fruitiers.

Gloria Muñoz Ramírez
Ojarasca, Mexico, juillet 2011.

Pour appuyer la reconstruction de la communauté,
on recueille des vivres dans le local d’Unios :
Carmona y Valle, 32, colonia Doctores, México DF ;
des dépôts au compte bancaire : 2776589065
au nom de
(encargado del orden) Bernardino Gómez Mata
BBVA Bancomer, sucursal 1256 de Tecomán, Colima
Clave 012 0970277765.

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