la voie du jaguar

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Buenas tardes asamblea

mardi 5 juillet 2016, par Georges Lapierre

Buenas tardes asamblea, desde que la tierra se volvió dinero, los hombres se volvieron más pobres, hasta la tierra no da como antes…
« Bonsoir assemblée, depuis que la terre est devenue de l’argent, les hommes sont devenus plus pauvres, jusqu’à la terre qui ne donne plus comme autrefois… »

L’Assemblée du peuple chontal vient de se constituer « officiellement ». Les comisariados de los bienes comunales des quinze communautés villageoises présentes viennent d’apposer leur signature avec le cachet de l’assemblée agraire de leur village en marge de l’acte constitutif de l’Assemblée du peuple chontal. Les témoins, venus de Mexico, du Guerrero ou d’Oaxaca (une quinzaine de personnes), invités pour l’occasion, ont signé eux aussi. La communauté hôte de Santa Lucía Mecaltepec a offert à tous les présents, plus de deux cents personnes tout de même, un bol d’atole [1] pour le brindis, pour fêter tous ensemble cet événement par un toast solennel. Ce n’est pas n’importe quel atole, c’est l’atole meco. Les femmes du village ont passé la nuit à le préparer. Elles ont moulu un maïs spécial très finement, ensuite elles ont versé la farine obtenue dans l’eau chaude d’une énorme bassine et elles ont remué le tout des heures durant ; puis elles ont ajouté de la panela [2] caramélisée préalablement dissoute dans un peu d’atole. En général, l’atole meco est préparé uniquement à l’occasion du changement des autorités villageoises. Quatre anciens, deux femmes, deux hommes, vont ensuite prendre la parole. C’est don Nicolás qui improvise un discours.

No son la luz o las carreteras que nos hacen vivir, lo que nos hace vivir son nuestras tierras…
« Ce n’est pas l’électricité ou les routes qui nous font vivre, ce qui nous fait vivre sont nos terres… »

Quand en 2014, le peuple chontal a su que des concessions pour l’exploitation minière sur son territoire avaient été octroyées à des entreprises à son insu, il s’est peu à peu organisé. Pour les communautés chontales, cette initiative arbitraire de l’État ne représente pas seulement une menace imminente, elle est aussi une offense : l’expression du profond mépris dans lequel ils sont tenus et sont tenus les peuples indiens en général. Le gouvernement n’a pas jugé bon de les consulter et de leur demander leur accord ni même de les informer. Ils peuvent être l’objet de l’intérêt public et surtout de l’attention vigilante de l’armée ou de la gendarmerie, ils ne sont toujours pas considérés comme sujets de droit. Aux yeux de l’État, ils n’existent pas, ils sont invisibles jusqu’au moment où ils s’organisent pour lutter. Ils représentent alors un obstacle au bon déploiement de la machinerie capitaliste.

Depuis que ces projets ont pris forme sans leur consentement, six réunions des délégués des villages chontales ont eu lieu : le 5 octobre 2014, à San José Chiltepec ; le 13 février 2015, à Santa María Zapotitlan ; le 15 mai 2015, à San Juan Alotepec ; le 8 août 2015, à Guadalupe Victoria ; le 21 novembre 2015, à San Matías Petacaltepec ; le 23 avril 2016, à Santa María Jalapa del Marqués. Lors de ces réunions, des initiatives tant sur le plan pratique que sur le plan juridique ont été prises [3]. Peu à peu, au cours de ces rencontres, est apparue la nécessité d’une organisation forte des villages ; elle seule pourra faire front à l’envahissement de leur vie par tous les mégaprojets du monde capitaliste. Aussi le 21 novembre 2015, lors de la réunion à San Matías Petacaltepec, les communautés présentes avaient-elles décidé de se constituer en Assemblée du peuple chontal pour la défense de leur territoire et, à cette fin, de convoquer les autres communautés pour l’acte solennel constitutif de l’Assemblée du peuple chontal, le samedi 25 juin à Santa Lucía Mecaltepec.

« Nous reconnaissons que depuis des temps immémoriaux, avant l’arrivée des Espagnols et la constitution des États actuels, nos grand-mères et grand-pères se sont fixés sur ce territoire où ils ont semé les racines de notre peuple chontal ; en conséquence, nous nous assumons chontales, sœurs et frères d’une même origine antique, ce qui nous donne le droit fondamental et ancestral de contrôler notre territoire.

Nous reconnaissons que le peuple chontal est formé de communautés villageoises à l’intérieur desquelles nous conservons nos propres traditions, institutions sociales, économiques, politiques et culturelles et où la terre et le territoire sont la base de notre vie… »

Des accords ont alors été pris : l’Assemblée du peuple chontal est constituée par les autorités communautaires des villages indigènes chontales qui en font partie ; elle sera représentée par la commission de suivi nommée par l’Assemblée. La commission de suivi coordonne les activités de l’Assemblée pour la défense du territoire ; cette commission est intégrée par les autorités agraires de San José Chiltepec (municipalité de San Carlos Yautepec), de Santa María Zapotitlan (municipalité de Santa María Ecatepec) et de San Juan Alotepec (municipalité d’Asunción Tlacolulita). Le territoire chontal est déclaré territoire interdit à l’exploitation minière, en conséquence aucune autorisation ne sera accordée. Aucun membre de nos communautés ne pourra faciliter la réalisation d’études à l’intérieur du territoire. Il est interdit aux autorités agraires ou municipales de signer ou d’autoriser tout type de convention permettant la prospection, l’exploration et l’exploitation ; l’autorité qui passera outre à cette interdiction sera démise de ses fonctions et l’autorisation restera sans effet. Nous rejetons tout programme gouvernemental de privatisation des terres communales ou ejidales. Nous rejetons tout mécanisme de contrôle sur notre territoire. Dans l’exercice de notre autonomie et libre détermination, nous nous réservons le droit d’accepter ou non tout projet impliquant nos territoires…

Somos territorio, hemos venido de muchas partes de nuestro territorio, desde muchos lugares, desde muchos pueblos, unos cercanos, otros más lejos, para defender lo que somos…
« Nous sommes territoire, nous sommes venus de plusieurs parties de notre territoire, de beaucoup d’endroits, de beaucoup de villages, certains proches, d’autres plus éloignés, pour défendre ce que nous sommes… »

L’association civile Tequio Jurídico fait office de conseil (dans les domaines de l’information et du droit) du peuple chontal. Elle avait invité en tant que témoins deux représentants du Centre des droits humains de la Montagne Tlachinollan (Tlapa, Guerrero) ainsi que deux délégués, le président du comisariado de bienes comunales et le premier secrétaire du consejo de vigilancia, de la communauté indienne Me’phaa [4] de San Miguel del Progreso. Ils sont intervenus au cours de la seconde partie de la rencontre pour parler de leur lutte (jusqu’à présent victorieuse) contre l’entreprise minière Hochschild d’origine péruvienne mais dont le capital est anglais.

La communauté San Miguel del Progreso — Júba Wajiín en langue vernaculaire — est une communauté indigène Me’phaa (peuple plus connu dans le milieu de l’anthropologie comme Tlapanèque [5]). Elle se trouve dans la municipalité de Malinaltepec, région de la Montagne dans l’État du Guerrero. L’assemblée générale des comuneros a rejeté tout projet minier sur la terre communale le 17 avril 2011, et l’acte de l’assemblée agraire interdisant l’activité minière fut enregistré (Registre agraire national, RAN) le 13 septembre 2012. Elle a ensuite engagé un procès contre l’État. Elle a obtenu un amparo, c’est-à-dire l’arrêt de toute activité minière tant d’exploration que d’exploitation jusqu’au jugement. Puis, jugeant la Loi minière (Ley minera) inconstitutionnelle, elle a porté l’affaire devant la Cour suprême de justice nationale (SCJN [6]). Afin d’éviter que la Cour de justice se prononce, l’État et l’entreprise minière Hochschild ont préféré annuler les deux concessions touchant le territoire de la communauté, concessions Norte del Corazón de Tinieblas et Corazón de Tinieblas [7].

L’annulation des deux concessions sur le territoire de San Miguel Del Progreso est un fait inédit et une réussite sans précédent pour une communauté indigène du Mexique. Cependant, méfions-nous, l’État, au service des grandes entreprises capitalistes, a l’esprit particulièrement tortueux et procédurier, il peut revenir à la charge. L’entreprise Hochschild s’est désistée c’est-à-dire qu’elle a libéré les concessions qu’elle avait (ce qui signifie que ces concessions peuvent toujours être reprises par une autre entreprise sans que la communauté le sache). Les habitants avaient fait valoir leurs droits sur leur territoire en tant que peuple indien, le peuple Me’phaa et voilà que le gouvernement mexicain va envoyer des spécialistes, des anthropologues issus de l’École d’anthropologie et d’histoire, pour vérifier s’ils sont bien indiens. L’auto-reconnaissance ne suffit plus. C’est nouveau et c’est un comble ; désormais c’est l’État qui doit dire aux gens qui ils sont ! La loi a été modifiée en ce sens et on voit bien où le gouvernement veut en venir.

Quoi qu’il en soit la bataille de la communauté de San Miguel del Progreso est loin d’être isolée. Face à l’opacité des mégaprojets, les communautés de la Montaña du Guerrero ont réalisé des réunions d’information. Elles ont fait appel à la Loi agraire, c’est le seul instrument légal qui leur permet encore de décider collectivement de l’usage qu’elles donnent à leur territoire. De plus pour la majorité des peuples de la Montaña, l’identité agraire et l’identité indigène ou indienne sont inséparables. De 2011 à aujourd’hui, elles ont réalisé des assemblées agraires afin de décider si elles autorisaient ou non l’exploration et l’exploitation des minéraux qui se trouvent dans le sous-sol. Quinze communautés agraires ont dressé des actes interdisant l’activité minière sur leur territoire et elles ont formé le Conseil régional des autorités agraires en défense du territoire de la Montaña. Le Conseil est composé de seize communautés qui se réunissent périodiquement depuis deux ans.

El dinero nos hace esclavos, la tierra nos hace libres, hay personas que no son chontales que vinieron a solidarizarse con nosotros ; con el dinero podemos comprar muchas cosas pero no podemos comprar la fraternidad…
« L’argent nous rend esclaves, la terre nous rend libres, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas chontales et qui sont venus se solidariser avec nous ; avec l’argent, nous pouvons acheter beaucoup de choses, mais nous ne pouvons pas acheter la fraternité… »

Je vais mettre un point final à cette brève relation sur ces mots de don Nicolás. Ils me font penser à la fois à notre historien national et romantique, Jules Michelet, et aux zapatistes. À Michelet, parce qu’ils prennent le contre-pied de ce qu’il a pu écrire sur l’argent, la propriété privée et la terre. Dans des pages d’un grand lyrisme et qui se veulent visionnaires, Michelet fait l’éloge de l’argent et de la propriété privée de la terre, qui, dit-il, « libèrent l’homme jusqu’alors attaché à la glèbe ». Aux zapatistes, quand, dès le début de leur insurrection, ils évoquent une qualité humaine que les riches et les puissants ignorent, semble-t-il : la dignité.

À Oaxaca, le 30 juin 2016,
Georges Lapierre

Notes

[1Se prononce atolé, atolé méco (e = é).

[2Pain de sucre ou sucre brut.

[3Cf. Bien le bonjour de Jalapa, 11 mai 2016, ou Un village funambule, 2 décembre 2015.

[4Me’phaa, le ph ne se prononce pas [f] mais [p] avec h aspiré.

[5Vient de la langue nahuatl, tlapa signifiant rouge, le peuple rouge.

[6Suprema Corte de Justicia de la Nación.

[7Concessions Nord du Cœur des Ténèbres et Cœur des Ténèbres.
Nous pouvons aussi noter le divorce qui existe entre les déclarations de bonnes intentions, c’est le droit constitutionnel, et la réalité des faits dictés par la dynamique capitaliste reposant sur les plus mauvaises intentions du monde (le Cœur des Ténèbres ?), cf. la signature des traités de libre commerce.

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