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La fin du monde a eu lieu

lundi 31 décembre 2012, par Métie Navajo

¿ESCUCHARON ?

Es el sonido de su mundo derrumbándose.

Es el del nuestro resurgiendo.

El día que fue el día, era noche.

Y noche será el día que será el día.

La fin du monde n’a pas eu lieu. Dommage. Soleil, tu devais ne pas te lever, disparaître pendant trois « jours »... Ce matin pourtant, j’ai entendu la rumeur de la ville qui se réveillait comme une servante, sur la pointe des pieds, j’ai regardé dehors, j’ai vu que tu t’efforçais d’éclairer d’une lumière triste le Paris clignotant d’avant Noël...

Les Mayas n’avaient du reste jamais rien annoncé de tel. C’est drôle comme notre civilisation mortelle s’impatiente de mourir, d’en finir avec son monde. Elle espérait déjà en l’an mille. Elle espérait davantage en l’an deux mille, ayant tant perfectionné la science de sa destruction en cent siècles. Elle tourna alors les yeux vers les peuples arriérés, d’eux seulement pouvait venir une croyance plus forte que le nihilisme dans lequel elle s’était enroulée. Mais non, le 22 décembre 2012, elle était encore là, à se regarder agoniser péniblement, ne se supportant plus ni le monde qu’elle avait fait hideux à son image, avec encore Noël à fêter, avec l’horreur des cadeaux à acheter dans les réserves commerciales ; vite ; s’était-elle dit en s’éveillant ce matin-là, accélérons le ravage, massacrons les innocents, vite, plus vite, plus haut dans le ciel, plus profond dans le sol, piétinons, tirons, bétonnons, trouons, arrachons, dévorons les miettes de l’enfant Jésus...

De l’autre côté de la Mort, un cycle s’achève et les Mayas changent d’ère. Je suis sûre qu’ils ont dormi sous le sourire de leur lune et se sont levés sous la chaleur de leur soleil (qui ce matin s’appelle pluie). Ils remettent le compteur du temps à zéro, lui offrent une nouvelle jeunesse. Pour le signifier au vieux monde, quelques milliers de petits Indiens qui vivent en toute indécence en dehors des musées, esprits échappés aux statuettes où les mauvais génies tentent de les enfermer, sont venus occuper silencieusement quelques villes du Chiapas. Ainsi fêtent-ils les dix-huit courageuses années (qui sont je ne sais combien dans leur calendrier) qui les séparent du jour où ils voulurent bien apparaître aux yeux brûlants du vieux monde. Peut-être se souvient-on de l’aube où ils prirent les villes et récupérèrent des terres trop longtemps livrées à des mains rapaces. Ils sortaient de quatre cents ans de forêts si recouverts d’invisible que pendant un moment personne ne les vit. Puis on les vit sans les croire (possibles). Une fois vus et crus, on les tira. Mais il était trop tard. Ils étaient là. Ils se tiennent là encore. Ils se tiennent dans les villes et célèbrent silencieusement leur présence, qui traverse les calendriers du ravage. Ils sont plus vieux que le temps et ont encore la générosité d’aimer assez le monde pour ne pas vouloir sa fin. D’une voix immense, ils redonnent voix à tout ce qui est couvert par la rumeur. D’un pas immense, ils entrent dans la nouvelle ère.

Métie Navajo
Samedi 22 décembre 2012.
Source : Cahier de sable.

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