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Oaxaca, Mexique

La lutte de l’Assemblée de peuples indigènes de l’isthme de Tehuantepec en défense de la terre et du territoire

jeudi 13 septembre 2012, par Carlos Manzo

Présentation générale de la lutte contre le mégaprojet dénommé
« Corridor éolien de l’isthme de Tehuantepec ».

En 1992 est mise en place au Mexique la réforme de l’article 27 de la Constitution, plus connue comme la contre-réforme agraire néolibérale, ayant pour objectif d’incorporer au marché les terres collectives des communautés paysannes et indigènes de diverses régions du pays. Ces villages et ces communautés se retrouvent aujourd’hui confrontés à la dépossession de leurs terres par des entreprises transnationales, afin d’y implanter différents projets, miniers, énergétiques, d’énormes autoroutes, de barrages hydroélectriques, de complexes touristiques.

C’est dans ce contexte que s’inscrivent la majorité des entreprises espagnoles qui sont venues installer des parcs éoliens dans notre région, qui, selon des études spécialisées, constitue la région au plus grand potentiel de production d’énergie éolienne du monde entier.

Dans les années 1990, les sept premiers générateurs tests furent installés dans la communauté de La Venta, Oaxaca, avec une capacité de production d’un mégawatt et demi ; les prévisions furent dépassées et se mit en place à partir de là un processus de vente et de location de terres faisant fi de la possession collective et communale, de telle sorte que de 2005 à aujourd’hui se sont près de huit cents éoliennes qui ont été installées sur plus de deux mille hectares de terres collectives dans tout le sud de la région de l’Isthme, au mépris des droits collectifs et humains des communautés indigènes zapotèques, afros, huaves et métisses vivant sur place.

L’installation de ces gigantesques parcs éoliens — devant aboutir à terme à l’installation de plus de cinq mille éoliennes selon les plans des investisseurs — correspond aussi à la valorisation par les multinationales des avantages et des crédits octroyés par les « mécanismes de développement propre » issus du protocole de Kyoto sur le changement climatique, qui permet aux multinationales de compenser leur surproduction de pollution au Nord par des investissements dans des projets et des marchés « écologiques » dans les pays « du Sud ». Les grandes multinationales comme Coca-Cola, Cemex, Mitsubishi ou Bimbo investissent donc dans ces projets d’éoliennes, d’autant plus rentables qu’elles prennent possession des terrains nécessaires à l’établissement de ces parcs éoliens pour un prix dérisoire.

La signature et la mise en place des contrats de location et d’usufruit se sont faites sans aucune considération des droits des communautés indigènes sur les cinq mille hectares des terres et du territoire des communautés concernées, et la corruption de fonctionnaires et des autorités municipales et agraires, ainsi que des sous-traitants et des travailleurs des entreprises est déjà devenue une constante dans l’imposition du mégaprojet. Les multinationales Gamesa, Iberdrola, Preneal, EDF, Endesa, GES, entre autres, se voient favorisées par des processus juridiques frauduleux, leur permettant d’avancer à pas gigantesques sur les terres et le territoire des communautés indigènes, qui passent ainsi d’un mode de vie communal et rural à un processus de rente et d’industrialisation destructeur qui se rapproche de l’ethnocide.

Malgré tout il y a des processus de résistance au mégaprojet, opposant d’un côté le gouvernement et les entreprises, et de l’autre les communautés indigènes opposées et mécontentes face à ce modèle de « développement ». Il y a eu des morts, des prisonniers et des ordres d’arrestation émis contre des dirigeants et des paysans participant à la résistance au mégaprojet.

Ces processus s’appuient sur les traditions de lutte et de défense du territoire propres aux communautés indigènes et paysannes de la région. En effet, dans l’isthme de Tehuantepec, tout comme dans diverses autres régions indigènes du Mexique, la lutte pour l’autonomie et la libre détermination des villages et des peuples remonte aux temps de la colonie espagnole, du XVIe siècle à nos jours. Cependant, depuis le soulèvement indigène de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) en 1994, tout un ensemble d’initiatives ont été reprises, mettant au premier plan la reconnaissance et le respect des droits des peuples indigènes, aujourd’hui en lutte contre les projets néolibéraux capitalistes, comme c’est le cas des mégaprojets.

En 2005 est réalisé le premier Forum national et international contre le corridor éolien de l’Isthme, et à partir de là se sont intensifiées les campagnes d’informations, qui ont rendu possible l’organisation de la résistance des communautés autour de l’APIITDTT (Assemblée de peuples indigènes de l’isthme de Tehuantepec en défense de la terre et du territoire), caractérisée par la réalisation d’assemblées, de forums, de mobilisations et d’actions juridiques contre les entreprises.

La réalisation d’ateliers et d’assemblées informatives dans des municipalités comme San Mateo del Mar depuis 2001 a par exemple rendu possible le fait que les assemblées de cet endroit refusent aujourd’hui fermement ce mégaprojet sur leur territoire ikoot (huave).

Mais s’agissant d’un projet dont les investissements se chiffrent en milliards, l’État mexicain a réussi à imposer le mégaprojet dans diverses communautés, par le mensonge et la corruption de différents niveaux d’autorités, ce qui a provoqué une polarisation sociale qui constitue une des caractéristiques actuelles de la région. Dans certaines municipalités, les autorités complices ont été désavouées par une partie de la population, comme à San Dionisio del Mar. Dans d’autres, l’imposition des éoliennes dans les champs de personnes hostiles au projet a dégénéré en affrontements ayant occasionné un mort et plusieurs blessés (Unión Hidalgo), les entreprises constructrices n’ayant pas hésité à plusieurs reprises à encourager leurs employés à réagir par la force aux tentatives de blocage des travaux. Les pressions actuelles des entreprises, notamment afin de réaliser un gigantesque parc éolien au milieu des lagons de Tehuantepec malgré l’opposition des petits pêcheurs des lagunes, font craindre une nouvelle phase de répression.

Carlos Manzo,
de l’Assemblée de peuples indigènes de l’isthme de Tehuantepec
en défense de la terre et du territoire
(Oaxaca, Mexique)

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