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Mexique : journalistes assassinés, journalisme assassin

mardi 6 avril 2010, par Jean-Pierre Petit-Gras

Le 25 mars dernier, l’Unesco publiait un rapport inquiétant sur les meurtres de journalistes dans le monde. Il y apparaissait que le Mexique, depuis des années, a ravi à la Colombie la deuxième place, peu enviée, dans ces macabres décomptes. Tout juste derrière l’Irak, où, comme dirait un président bling bling, des reporters imprudents se font canarder par un tank américain, à la fenêtre de leur hôtel...

Pour celui qui ne lit plus guère que la presse dite « alternative », il est difficile de savoir si les « grands » journaux ont beaucoup fait état de ce rapport.

Pour celui qui suit l’actualité mexicaine et latino-américaine depuis des années, les choses sont assez claires : les journalistes assassinés appartiennent pratiquement toujours à de petites feuilles locales, et ils sont tués parce qu’ils ont enquêté de trop près sur les agissements d’hommes politiques mafieux, de multinationales vertueuses, porteuses d’un « progrès » détruisant le cadre de vie de communautés entières, ou de bandes dont on ne sait jamais très bien si elles appartiennent au « crime organisé », ou aux « forces de l’ordre », ou aux deux à la fois.

Mais il est une catégorie de journalistes qui, eux, ne prennent pas beaucoup de risques. Sinon celui de manquer gravement à la déontologie du métier. Une déontologie dont on imagine que la vérification des informations que l’on livre au lecteur fait partie des devoirs élémentaires de ce que l’on appelle l’honnêteté intellectuelle.

Deux jours après la sortie du rapport de l’Unesco, le journal mexicain Reforma offrait sur huit colonnes un pseudo reportage sur un prétendu déserteur de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), lequel aurait révélé, en vrac, le véritable visage du sous-commandant Marcos, celui de membres de l’ETA en action dans le « camp d’entraînement zapatiste de La Garrucha », et enfin, le financement de l’EZLN par l’organisation indépendantiste basque.

Cette « information » pourrait prêter à rire. Le Marcos de la photo est un activiste italien solidaire des communautés zapatistes, Leuccio Rizzo. Des centaines de personnes ont immédiatement reconnu le jeune homme, et celui-ci réclame en vain une rectification de la part de Reforma. Les « terroristes de l’ETA » sont de jeunes femmes, espagnoles et française, qui participaient l’été dernier à un chantier international (rassemblant paysans zapatistes et membres de la société civile mexicaine, nord-américaine et européenne) pour la construction du futur local de la Junta de Buen Gobierno (Conseil de bon gouvernement, dont les membres sont désignés par leur communauté pour gouverner leur région, dans un système de rotation et de non-rémunération qui ferait pâlir d’envie - ou d’effroi - plus d’un chantre de la « démocratie participative »).

Quant au financement de l’EZLN par l’ETA, il suffirait, pour le plus débutant et mal informé des journalistes novices, de jeter un coup d’œil sur les condamnations incendiaires exprimées par les porte-parole des zapatistes, pour se dire qu’il y a, au minimum, matière à prudence et à vérification des dires du soi-disant déserteur.

Mais c’est probablement trop demander à une presse dont le rôle est précisément de mentir et de manipuler l’opinion.

La journaliste indépendante Gloria Muñoz rappelle, dans La Jornada du 3 avril, qu’un précédent montage sur l’identité de Marcos avait été suivi de l’invasion des communautés zapatistes par des milliers de militaires mexicains.

Celle-ci, au-delà de son caractère grotesque, s’inscrit parfaitement dans le cadre de la recrudescence de la guerre de basse intensité que dénoncent les zapatistes, et qui se traduit en ces premiers mois de 2010 par une multiplication sans précédent des agressions et provocations, d’un harcèlement épuisant et meurtrier, perpétrés par des groupes paramilitaires et parapoliciers. Le rôle de ces derniers, totalement instrumentalisés par les pouvoirs fédéral et locaux, est de pousser les zapatistes à une réaction violente, qui justifierait une intervention militaire massive, visant à exterminer les communautés en résistance, à liquider toute forme d’autonomie et à mettre la main sur les ressources naturelles et humaines de la région.

Il appartient aux individus qui composons ce que l’on appelle, un peu niaisement, « l’opinion publique internationale », de nous tenir informés, vigilants et prêts à réagir à une nouvelle escalade. Car elle se prépare.

Une des réactions possibles, et pas des moins salutaires, est de nous défier clairement de médias qui, comme Le Monde et des centaines d’autres organes de la presse internationale, se sont empressés de reproduire tout ou partie de cette manipulation, sans daigner publier les indispensables rectificatifs.

Une réflexion en vue de préparer un appel large au boycott du tourisme vers le Mexique (si madame Alliot-Marie veut bien accepter de comprendre qu’un tel appel n’a rien de raciste ni d’antisémite, et qu’il ne vise ni les blancs, ni les métis, ni les indigènes) en serait une autre.

Jean-Pierre Petit-Gras

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