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Prise de position de l’EZLN face aux élections de l’été 2000

lundi 19 juin 2000, par EZLN, SCI Marcos

À la presse nationale et internationale,
19 juin 2000

Mesdames et messieurs,

Voici un communiqué sur notre position face aux prochaines élections. Il dit ce qu’il a à dire, et c’est suffisant. Nous demandons la clémence des chefs de rédaction.

Pendant ce temps, ici, nous tremblons. Et ce n’est pas parce que le « croquette » Albores a embauché Alasraki pour qu’il « relève » son image (probablement Albores est déjà en train de chercher du boulot dans la promotion d’aliments pour chien) ni pour les 60 000 dollars qu’il va le payer (avec l’argent estimé à l’origine à résoudre les conditions de pauvreté et de marginalisation des indigènes chiapanèques, dixit Zedillo). Ce n’est pas non plus à cause des aboiements du « chiot » Montoya Liévano (bien qu’il soit nerveux en ce moment, car il vient de découvrir que ce sont ses « garçons », c’est-à-dire ses paramilitaires qui furent responsables de l’attaque contre la Sécurité publique à El Bosque, le 12 juin passé). Non, nous tremblons, car nous sommes détrempés par la pluie. Il se trouve qu’entre les hélicoptères et les orages il est difficile de trouver un bon toit. La Mer dit que nous allons d’orage en orage et qu’il manque encore celui du 3 juillet. Je soupire et maudis le manque de parapluie. Que pourrais-je faire d’autre ?

Bon. Salut et regardez s’il y a par là des pilules contraceptives. Il y a plus d’une urne qui en aura besoin de façon urgente.

Depuis le Comité promoteur du vote inutile, pardon, depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Le SupMarcos,
Mexique, Juin 2000.

P-S : QUI RACONTE UNE HISTOIRE AD HOC PAR LES TEMPS QUI COURENT.

Il était une fois un sondage qui était très seul et abandonné. Il allait d’un côté et de l’autre, et personne ne faisait cas de lui. Désespéré, le sondage seul-et-abandonné s’en fut trouver un spécialiste en marketing et image. Le publiciste coûta très cher au sondage seul-et-abandonné, non seulement par le chèque qu’il dut lui payer, mais aussi pour ce qu’encaissa le taxi qui l’attendait à l’extérieur des bureaux. C’est que le conseiller en communication avait beaucoup de demandes de candidats des partis officiels. Le sondage seul-et-abandonné suivit au pied de la lettre les indications du conseiller et changea complètement son « look » (voyez vous-même comment ce post-scriptum utilise déjà le nouveau lexique). Cela fait, il revint parcourir les bureaux des partis. Tous l’accueillirent avec enthousiasme et il devint célèbre et très sollicité. Alors qu’il allait de par les rues de la ville, un enfant le vit et demanda à sa maman : « Pourquoi ce miroir marche-t-il ? » Voilà.

MEXIQUE.

19 juin 2000

Au peuple du Mexique,
Aux peuples et gouvernements du monde,
Frères et sœurs,

Face aux prochaines élections nationales, le CCRI-CG de l’EZLN s’exprime :

Premièrement. Au Mexique, nous vivons une guerre. dans les montagnes du Sud-Est mexicain, dans les États du Chiapas, Guerrero, Oaxaca, Hidalgo, Puebla, Veracruz, San Luis Potosí, et dans d’autres lieux à population indigène, des dizaines de milliers de soldats du gouvernement fédéral et des polices de diverses corporations mènent une guerre d’extermination à l’encontre des peuples indiens du Mexique. Jour après jour, le sang indigène mort ou prisonnier s’accumule. Le destin des peuples originaires de ces terres se décide entre la prison ou la tombe.

L’extrême pauvreté, la persécution et le manque de reconnaissance des droits indiens ont apporté non seulement la poursuite de la résistance des peuples zapatistes dans le Sud-Est mexicain, mais la continuation des activités des guérillas de l’ERPI et de l’EPR. À présent, d’autres groupes armés se créent avec leurs demandes de justice et de démocratie. Peu de pays d’Amérique ont autant de groupes armés d’opposition que le Mexique.

Bien qu’ignorée par la majorité des médias, cette guerre suit son cours. Sa fin n’est pas en relation avec la puissance de feu ou le nombre de combattants, mais avec une solution aux justes demandes et à l’ouverture d’espaces de participation démocratique.

Dans l’État du Chiapas, les affrontements armés commencés le 1er janvier 1994 continuent. Bien que l’EZLN ait donné des signes de sa volonté d’une solution pacifique négociée du conflit, les gouvernements fédéral et d’État continuent leurs actions de violence à l’encontre des communautés zapatistes et éclipsent l’accomplissement des Accords de San Andrés, qu’ils ont signés il y a bientôt presque cinq ans.

Avec cette guerre que l’on ne veut nommer, notre pays se rapproche du moment où, par un processus électoral, seront renouvelées les autorités fédérales : le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Deuxièmement. Dans ce processus électoral, il a été mis en évidence que la place du citoyen comme électeur n’est pas respectée. À sa place se trouvent les médias, particulièrement les médias électroniques, ceux qui ont mené la danse. L’usage indiscutable de « sondages » (un grand nombre d’entre eux étant réalisés sans la moindre rigueur scientifique) a pris la place du vote citoyen comme électeur. Maintenant, il importe peu de disputer une élection par les urnes, mais de la gagner ou de la perdre à la une de la presse écrite et des actualités de radio et de télévision.

Le citoyen ne prend pas sa décision parmi les différentes options politiques, mais d’après les médias, c’est-à-dire, avec l’image que ceux-ci donnent des propositions politiques. La « modernité » n’a pas signifié pour notre pays le transit vers la démocratie, vers le gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. L’exercice du pouvoir politique n’est pas passé de la classe politique aux citoyens, mais à tous les publicistes, chefs de rédaction, présentateurs et commentateurs.

Si l’on s’est dit quelque fois qu’il était possible de gouverner via les médias, aujourd’hui tout est chamboulé : on gouverne maintenant (et on se dispute le siège) dans et pour les médias. La substitution du citoyen par la radio et la TV n’est pas une démocratie, c’est un gouvernement virtuel et un changement virtuel de gouvernement. Les palais de gouvernement, les enceintes législatives et les bureaux de vote ne sont pas à leur place réelle, mais dans la programmation d’informations.

Dans ce scénario proprement dit, où la nation est substituée par le « rating », c’est là que s’est fondamentalement passée la lutte électorale. Sauf d’honorables exceptions, les candidats à la présidence ont dirigé leurs efforts (et ressources économiques) presque exclusivement sur le terrain des médias. Outre des bénéfices évidents, les médias ont obtenu un rôle politique qui dépasse de beaucoup leurs prérogatives et, surtout, leurs capacités.

Il est certain que l’opportunité, pour les partis politiques, de faire connaître leurs positions à travers la télévision et la radio est une avancée importante en matière de démocratisation. Et il faut applaudir au fait qu’ils l’utilisent.

Le problème est que, très souvent, cette diffusion n’est pas équitable (le parti officiel inonde en temps et en horaire clef) et que ce qui est diffusé n’est pas une position politique, mais tend vers le scandale, l’insulte, l’infamie ou les banalités. Et plus encore, il n’est pas rare que le présentateur s’érige en juge de ce qu’il communique et « décide » du fond et de la forme de l’information.

Comme l’ont signalé divers travailleurs de la presse, le rôle des médias n’est pas un rôle d’électeur, mais un rôle d’informateur. Le fait de ne pas l’admettre ou de ne pas agir en conséquence a provoqué des excès lamentables.

Les médias au Mexique ont aujourd’hui un rôle plus déterminant dans la vie nationale. Il est juste de reconnaître que, bien sûr, cela a fait croître l’irresponsabilité de certains dans le nouveau caractère de leur profession, mais beaucoup d’autres y ont gagné indépendance, esprit critique et honnêteté. Cependant, une attitude responsable dans la presse électronique et écrite n’a pas été majoritaire.

Ce n’est pas en laissant de côté les médias ou en les faisant taire que l’on évitera cette substitution de la décision citoyenne, mais en normalisant le droit des citoyens et des organisations politiques à l’égalité, la vérité, l’honnêteté et la responsabilité des informateurs dans le milieu politique.

Le citoyen a droit à une information vraie, opportune et complète. Il n’y a pas de loi qui lui garantisse cela ni d’instance qui le défende ou surveille son accomplissement.

Aujourd’hui, face à l’actuel processus électoral, nous réaffirmons un des points de notre lutte : le droit à l’information et à la culture.

Troisièmement. En braquant les projecteurs des médias exclusivement sur le combat pour la présidence, on a laissé de côté un élément fondamental de la vie de la République : le pouvoir législatif.

Dans l’imminent processus électoral, non seulement se décidera celui qui sera le titulaire du pouvoir exécutif, mais également les membres de la Chambre des députés et les sénateurs de la République.

Au Mexique, le présidentialisme a été une lourde charge et un obstacle pour la démocratie. Bien que dans les dernières soixante-dix années nous n’ayons pas eu un président qui ne soit pas du parti officiel, la possible accession de l’opposition au siège présidentiel ne signifie pas un « passage vers la démocratie » si le pouvoir sexennal continue à être concentré sur une seule personne et si les pouvoirs chargés de légiférer et de rendre la justice sont des éléments décoratifs renouvelés tous les trois et six ans. La survivance du système présidentialiste au Mexique est un fait. Quelle démocratie est celle où, durant six années, les décisions fondamentales d’une nation se concentrent sur un seul individu ?

Un pouvoir législatif autonome et indépendant de l’exécutif est indispensable à une démocratie. Cependant, les campagnes de députés et de sénateurs sont passées inaperçues. La passion naturelle investie dans la course à la présidence a réussi à occulter une avancée déjà vue dans le sexennat qui se termine : un pouvoir législatif en lutte pour son indépendance et son autonomie.

Outre qu’il s’affronte à l’exécutif, le pouvoir législatif doit s’émanciper des dirigeants de partis, qui, trop souvent, supplantent les leaders des fractions parlementaires dans les accords et dispositions qui correspondent exclusivement à l’enceinte législative. Légiférer n’est pas la prérogative des partis politiques, mais de ceux qui sont élus démocratiquement pour remplir cette tâche.

À la traîne des campagnes présidentielles, celles des candidats au pouvoir législatif n’ont rien à y gagner, pas plus que leurs campagnes ne bénéficient à ceux qui cherchent le pouvoir exécutif. Ce sont des élections différentes parce que leur fonction est différente. Les législatives méritent une attention qu’elles n’ont pas eue.

Nous espérons que le prochain pouvoir législatif, qui a tant été effacé dans ces élections, n’exercera pas son travail embarrassé par des compromis avec leurs directions de parti ou avec l’exécutif élu, mais avec les Mexicains et les Mexicaines, qui, en votant ou non pour leurs candidatures, forment la nation mexicaine et que c’est avec elle qu’ils feront les lois.

Aujourd’hui, face à l’actuel processus électoral, nous, les zapatistes, nous prononçons pour un véritable équilibre des pouvoirs. Non seulement dans l’exercice de leurs fonctions, mais aussi dans la répartition des sièges. Il est aussi important de connaître les propositions et positions des candidats à la présidence de la République, que celles de ceux qui cherchent à devenir députés et sénateurs. La fin du présidentialisme est la condition pour la démocratie au Mexique.

Quatrièmement. L’actuel processus électoral national n’a pas été équitable. Du côté du PRI et de son candidat, tout l’appareil gouvernemental s’est mobilisé. L’achat de votes, la pression, l’entraînement, la menace et le favoritisme de quelques médias ont été utilisés pour implanter de force le candidat du PRI, Francisco Labastida Ochoa. Quelques-unes de ces inégalités ont été signalées avec opportunité par des observateurs nationaux et internationaux, par des partis politiques d’opposition et par la presse honnête.

Aujourd’hui, face à l’actuel processus électoral, nous les zapatistes dénonçons qu’il ne s’agit pas d’une élection de citoyens face aux propositions politiques et à ceux qui les représentent, mais d’une élection d’État, où l’opposition s’affronte non seulement au parti officiel, mais à tout l’appareil d’État mexicain. Aucune élection ne peut être qualifiée de démocratique dans ces conditions.

Cinquièmement. Malgré l’appui accablant et scandaleux du gouvernement à la campagne du PRI, le mécontentement citoyen est chaque jour plus éloquent. Aujourd’hui, on parle de la possibilité que le PRI n’obtienne pas les scrutins nécessaires au siège présidentiel et que le prochain président du Mexique vienne de l’opposition.

Face à cette possibilité, en plus des ressources matérielles d’espèces les plus diverses, un argument a été mobilisé : l’instabilité. Comme à chaque changement sexennal, depuis le gouvernement et ses cercles proches, pleuvent des avertissements sur les catastrophes qui s’abattraient sur les Mexicains si une personne qui ne soit pas du PRI arrivait à la présidence. Guerre, dévaluations, fuite de capitaux, mécontentement social, augmentations, faillites, chômage, chaos.

Sans aller très loin, il faudrait se souvenir de ce dont avertit Zedillo (lorsque l’assassinat de Colosio le plaça comme candidat), si un gouvernement d’un parti autre que le parti officiel était élu. Avec Zedillo arriva la crise de décembre 1994, la reprise de la guerre dans le Sud-Est mexicain, le non-accomplissement des Accords de San Andrés, les massacres d’Aguas Blancas et d’El Charco dans l’État de Guerrero, le massacre d’Acteal, l’entrée de la PFP à l’UNAM, la mort de sans-papiers mexicains aux États-Unis, l’assassinat et le racket d’immigrants centraméricains, la fuite des capitaux, la dévaluation du peso.

Nous avons aussi souffert la croissance du mécontentement social, la prolifération de groupes armés actifs, la hausse des prix des produits de base, l’augmentation du chômage, le Fobaproa-Ipab, les faillites massives de petites et moyennes entreprises, les liens plus étroits entre le crime organisé et le gouvernement fédéral, l’impunité pour les délinquants en col blanc, l’emprisonnement de ceux qui luttent socialement, la militarisation des zones indigènes, l’augmentation du narcotrafic, les tentatives de privatisation de l’industrie électrique et pétrolière, ainsi que de l’éducation supérieure, l’augmentation des liens de dépendance avec l’étranger. En somme : la destruction du Mexique en tant que pays libre et souverain. La seule chose positive du sexennat du señor Zedillo est qu’il est presque terminé.

Aujourd’hui, face à l’actuel processus électoral, nous, les zapatistes, nous souvenons que toutes les catastrophes et disgrâces humaines se sont abattues sur nous pendant et par les gouvernements du PRI. Durant les plus de soixante-dix ans où le PRI a gouverné au Mexique sont arrivées tant de désastres que l’on suppose seulement ce qui arriverait avec un parti différent au pouvoir et que nous imaginons difficilement que cela puisse être pire avec l’opposition au gouvernement.

Sixièmement. La seule probabilité qu’un candidat de l’opposition arrive à la présidence a provoqué des absurdités et des déformations, et pas seulement dans les rangs gouvernementaux. Devant l’avancée d’options électorales d’opposition a surgi l’idée du « vote utile » (ou sa version aimable : le « vote conditionné ») dans certains secteurs intellectuels et politiques.

Concrètement, la possibilité que le candidat de l’Alliance pour le changement (PAN-PVEM), Vicente Fox, atteigne un nombre significatif de votes a provoqué une véritable offensive à l’encontre du candidat de l’Alliance pour le Mexique (PRD-PT-PAS-CD-PSN), Cuauhtémoc Cárdenas Solórzano, pour qu’il se désiste et se joigne au señor Fox dans sa course à la présidence. Les arguments de ce jonglage politique varient dans leur complexité, mais peuvent se résumer dans ce qui suit : le plus important est de sortir le PRI de Los Pinos, Fox a des possibilités, ergo, Cárdenas doit convertir ses impossibilités dans les possibilités de Fox et assurer ainsi la victoire sur le PRI (et sur l’Alliance pour le Mexique, mais cela n’est pas précisé dans l’argumentaire).

Ceux qui proposent cela sont en train de proposer que les options électorales ne soient plus politiques (projets de nation et positions face aux différents problèmes du pays) et que l’électeur n’ait pas la possibilité d’appuyer une force politique ou l’autre, selon qu’il s’identifie ou non avec elle.

Le renoncement de l’ingénieur Cárdenas à la lutte électorale pour la présidence et son ralliement à la campagne de Vicente Fox ne signifieraient pas seulement le renoncement d’une personne et l’addition de sa voix à celle du candidat de l’Alliance pour le changement. Cela signifierait aussi la disparition d’une option électorale de gauche dans la lutte pour la présidence. Nous n’ignorons pas qu’il y a un débat pour savoir si Cárdenas et le PRD sont de gauche. Nous pensons qu’ils font encore partie de la gauche, avec toutes les nuances et critiques possibles, et en signalant - et insistant - que la gauche politique est plus large que le cardénisme et, bien sûr, que le perrédisme.

La gauche éliminée du spectre électoral, c’est-à-dire, d’une voie pacifique de changement politique, que reste-t-il pour des millions de Mexicains qui ont parié sur l’espérance et l’effort d’un changement social profond ? L’abstention, la guérilla ?

Il est évident que les sieurs Vicente Fox et Cuauhtémoc Cárdenas représentent deux projets différents pour le pays. Les propositions de l’un et de l’autre ont l’appui de millions de citoyens. Le choix du meilleur ne se fera pas dans le nombre de votes qu’ils obtiendront, mais dans les résultats obtenus lorsqu’ils gouverneront.

La campagne de l’ingénieur Cárdenas est plus qu’une simple campagne pour le siège présidentiel. C’est, pour des millions de Mexicains et de Mexicaines, la possibilité d’être de gauche et de lutter pour des changements sans devoir aller vers la clandestinité, l’illégalité, la lutte armée.

Le renoncement de l’ingénieur Cárdenas au combat électoral signifierait le renoncement (au moins dans l’immédiat) de la gauche partisane et institutionnelle au changement pacifique et électoral.

L’histoire demande des comptes tôt ou tard. Ceux qui avaient reproché aux zapatistes de ne pas appuyer le PRD, « parce que, bien qu’il ne leur convienne pas politiquement, il est mieux que le PRI et parce que ne pas voter pour le PRD favorise le triomphe du PRI au Chiapas », butent aujourd’hui sur le même argument pragmatique. Maintenant qu’eux-mêmes répondent que « les principes passent en premier », ils ont la réponse à la question : pourquoi les zapatistes ne votent pas pour le PRD au Chiapas ?

Pour les zapatistes, la politique est une question de principes. Pas seulement de principes, mais également de principes. Ceux qui ont comme principes le changement social et la lutte civile et pacifique pour y parvenir, doivent œuvrer en conséquence, sans s’occuper de l’adversité ou des conjonctures, s’ils veulent avoir une légitimité vis-à-vis du Mexique « des petits ».

Aujourd’hui, face à l’actuel processus électoral, nous, les zapatistes, nous nous prononçons pour le respect de cette forme de lutte civile et pacifique, et pour que toutes les options politiques (la droite et la gauche, pour user de termes géographiques) soient représentées, de façon à ce que le citoyen puisse réellement choisir entre elles. Nous rejetons l’argument du « vote utile ».

Septièmement. L’Institut fédéral électoral, outre qu’il organise les élections, désignera, selon la loi, les gagnants des prochaines élections.

Malgré l’avalanche de dénonciations de l’opposition et d’organisations non gouvernementales, le président de l’IFE s’est avancé à assurer que cette élection sera « propre et transparente ». Non seulement il lance des prophéties aventureuses, mais ce monsieur exige aussi des candidats de l’opposition et des citoyens que nous donnions un aval inconditionnel à son verdict et que nous acceptions d’ores et déjà les résultats d’une élection qui ne s’est pas encore déroulée. Le président nous demande que nous notions 20/20 une tâche qui n’est pas terminée.

Des multitudes de fraudes ont été menées à bien avant les élections (achat de votes, conditionnement de programmes gouvernementaux, inégalité dans la diffusion médiatique, menaces, chantages, etc.) et rien ne montre la capacité de cet organisme à veiller et à éviter que, au-delà des urnes, des actions frauduleuses soient réalisées.

Il faut signaler qu’en diverses occasions l’IFE a été utilisé pour des choses n’ayant rien à voir avec ses fonctions. Un grand nombre de zapatistes n’ont pas de carte d’électeur parce que le personnel de l’IFE qui se charge de la photo-accréditation au Chiapas, est en concubinage avec les services d’intelligence militaire. Les données et photos pour l’accréditation sont « facilitées » à l’armée fédérale qui, avec l’aide d’« informateurs », identifie les zapatistes et leurs villages. De l’IFE en tant que bras de la contre-insurrection.

Il est indéniable que la citoyennisation de l’IFE est une avancée et que certains de ses membres ont supporté de fortes pressions de la part du gouvernement et du PRI. Mais on ne peut demander à personne d’accepter les résultats d’un processus avant son déroulement, surtout dans un pays comme le Mexique, où les élections sont synonymes d’un monde parallèle plein de « chiens fous », « opérations tamales », et d’autres, qui dépassent toute fiction littéraire.

Aujourd’hui, face à l’actuel processus électoral, nous, les zapatistes, déclarons qu’une fraude électorale est déjà en marche et que rien ne garantit que le 2 juillet 2000 ne culmine pas en une contrainte éhontée aux graves conséquences.

Huitièmement. Pour les zapatistes, la démocratie est beaucoup plus qu’un combat électoral ou une alternance de pouvoir. C’est aussi une lutte électorale si elle est claire, équitable, honnête et plurielle.

C’est pourquoi nous disons que la démocratie électorale ne tarie pas la démocratie, mais qu’elle est une part importante de celle-ci. C’est pourquoi nous ne sommes pas anti-élections. Nous considérons que les partis politiques ont un rôle à jouer (nous ne sommes pas non plus anti-partistes, bien que nous soyons critiqués à ce sujet).

Nous pensons que les élections représentent, pour des millions de personnes, un espace de lutte digne et respectable.

Le temps électoral n’est pas le temps des zapatistes. Non seulement pour notre apparence sans visage et notre résistance armée, mais aussi, et surtout, pour notre désir de trouver une nouvelle façon de faire de la politique qui n’ait que peu ou rien à voir avec l’actuelle.

Nous voulons trouver une politique qui aille du bas vers le haut, une politique où « commander en obéissant » soit plus qu’une consigne, où le pouvoir ne soit pas l’objectif, où le « référendum » et le « plébiscite » soient plus que des mots à l’orthographe difficile. Une politique où un fonctionnaire puisse être démis de sa charge par une élection populaire.

Des partis, nous disons que nous ne nous sentons représentés par aucun. Nous ne sommes pas perrédistes ni panistes, encore moins priistes.

Des partis, nous critiquons leur éloignement de la société, leur existence et leur activité uniquement fonction du calendrier électoral, le pragmatisme politique qui se répand dans leurs dirigeants et leurs orientations, le jonglage cynique de quelques-uns de leurs membres, le mépris envers ce qui est différent.

La démocratie, c’est que, indépendamment de la personne en poste, la majorité des gens ait le pouvoir de décision sur les sujets qui leur incombent. C’est le pouvoir des gens pour sanctionner celui en place au gouvernement, en tenant compte de sa capacité, de son honnêteté et de son efficacité.

Dans la pensée zapatiste, la démocratie est quelque chose qui se construit depuis le bas et avec tous, en incluant ceux qui pensent différemment de nous. La démocratie est l’exercice du pouvoir par les gens, tout le temps et en tous lieux.

Aujourd’hui, face à l’actuel processus électoral, nous les zapatistes ratifions notre lutte pour la démocratie, pas seulement pour la démocratie électorale, mais aussi pour la démocratie électorale.

Neuvièmement. Au sujet de notre place dans la situation nationale, nous disons que nous continuons d’attendre l’accomplissement des Accords de San Andrés et des signes clairs, de ce gouvernement ou du prochain, d’un compromis sérieux sur la voie politique en tant que solution à la guerre.

Tant que les conditions adéquates ne seront pas remplies, il n’y aura ni dialogue ni négociation.

Nous ne voulons pas de vaines promesses ou que l’on nous dise ce dont nous avons besoin ou ce qui nous convient. Nous ne sommes pas non plus à la recherche d’emplois de policiers ou de gardes forestiers.

Nous voulons une écoute attentive, une parole vraie et un compromis sérieux dans un dialogue qui mette fin à la guerre.

Si, comme il faut s’y attendre, le gouvernement du señor Zedillo insiste dans sa guerre, dans le non-accomplissement de sa parole et dans l’irresponsabilité comme norme politique, alors le gouvernement entrant héritera d’une guerre, celle que nous les zapatistes avons déclarée le 1er janvier 1994.

Face à cette guerre, le nouveau gouvernement n’aura que deux options : poursuivre la politique du señor Zedillo et simuler des solutions en continuant à militariser, persécuter, tuer et mentir.

Ou mettre en place les conditions de dialogue, faire preuve de sérieux et de responsabilité dans l’accomplissement de ses engagements et résoudre, non seulement la guerre, mais aussi les demandes des peuples indiens du Mexique.

Il n’y a pas d’autres options : ceux qui, au pouvoir, caressent la possibilité d’une solution militaire « définitive » sont complètement dans l’erreur.

L’EZLN ne peut être anéantie militairement. Toute campagne militaire offensive à notre encontre est destinée à durer, non pas des heures et des jours (comme on le suppose dans les hautes sphères militaires), pas même des semaines, des mois ou des années. ils pourront essayer des décennies entières, et l’EZLN continuera encore à être armée et masquée, exigeant démocratie, liberté et justice.

Quelle que soit la décision du nouveau gouvernement, sans tenir compte de sa filiation politique, il aura une réponse cohérente de l’EZLN.

S’il opte pour la violence de basse intensité, la simulation et la tromperie, il verra passer le temps sans que les problèmes se résolvent et il aura des zapatistes le mépris et la méfiance.

Il faut préciser que, au cas ou le gouvernement tenterait une solution militaire ou une variante quelconque (frappe chirurgicale, invasion partielle ou totale des communautés ou une action militaire en règle), il se trouverait face à des milliers d’indigènes en armes, en guerre, prêts à tout, sauf à se rendre ou à l’échec.

Nous ne mourrons pas. Le martyre individuel ou collectif n’est pas dans l’agenda zapatiste.

L’EZLN est prête pour la paix ou pour la guerre, le nouveau gouvernement aura la parole et l’opportunité de choisir.

Dixièmement. Vu tout ce qui précède, nous déclarons que :

- Nous ne ferons pas obstacle aux élections fédérales du 2 juillet de l’an 2000.

- L’installation de bureaux de vote sera autorisée dans les zones zapatistes.

- Il n’y aura pas d’actes de sabotage ou d’action quelconque à l’encontre des installations électorales, des fonctionnaires de l’IFE ou des votants.

- Nous n’appellerons pas à voter pour un des candidats ou leurs partis.

- Les bases d’appui zapatistes voteront ou non, en accord avec leurs propres valeurs. Les bases d’appui voteront sans directive et sans sanction pour leur choix.

- Pour tous les Mexicains et Mexicaines qui voient dans les élections une possibilité de lutte, nous les appelons à lutter sur ce terrain et avec leurs moyens, à défendre le vote.

Frères et sœurs,

Cette heure n’est pas notre heure. Elle le sera un jour prochain lorsqu’il y aura la paix et le respect pour les peuples indiens, lorsque la démocratie sera au-delà d’un calendrier électoral. Ce jour-là, le Mexique ne sera pas seulement démocratique pour les zapatistes, mais aussi par eux. Ce jour-là, nous ne nous disputerons pas un poste gouvernemental, mais nous cheminerons au côté de millions de femmes et d’hommes qui, comme nous, luttent pour...

Démocratie !
Liberté !
Justice !

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Pour le Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, juin 2000.

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