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Témoignage d’une street medic
lors de la manifestation du 1er mai 2016 à Paris

mardi 3 mai 2016

Un communiqué collectif sera publié très bientôt. En attendant, je tenais à écrire ce témoignage pour que ce que l’on a vécu durant la journée de mobilisation du 1er mai contre la loi travail soit rendu public rapidement.

Cette manifestation a été, de mon point de vue, une des plus violemment réprimées depuis le début du mouvement. Néanmoins, c’est aussi lors de cette journée que j’ai pu assister à des pratiques collectives de solidarité, d’une ampleur et d’une force que je n’avais jamais connues auparavant.

En tant que street medic, nous avons eu à soigner, rassurer, prendre en charge d’innombrables blessé·e·s. Et quels que soient nos efforts de comptabilité, nous ne pouvons avoir accès qu’à un nombre restreint des victimes de la police, tant les affrontements sont massifs et étendus. Nous avons vu et soigné des blessé·e·s graves, des tirs tendus au flash-ball, aux grenades lacrymogènes, aux grenades de désencerclement. Des tirs au visage, dans les yeux, les mains, sur les membres, sur tout le corps. Nous avons vu des doigts à demi sectionnés, de la peau brûlée, des personnes sous le choc, terrorisées.

De manière générale, les blessé·e·s nous arrivent par salves. La première fois, c’était dans une grande nasse avant d’arriver à Nation : quatre blessé·e·s graves, beaucoup d’autres plus léger·e·s. Nous avons dû improviser un triage, dans un poste de soin avancé malgré les affrontements tout proches.

Là, j’ai vu les manifestant·e·s nous protéger, faire barrage de leur corps lorsque les charges de CRS sont arrivées sur nous. Beaucoup de personnes sont restées là, à se mettre en danger, à prendre le risque de se faire arrêter, matraquer, tirer dessus. Par solidarité. Et c’est cette attitude qui a continué de me marquer tout au long de la journée.

Plus tard, à Nation, nous avons pris en charge une personne dont une artère avait été sectionnée au niveau de la cheville, par un tir tendu de la police. Elle avait donc une hémorragie pulsatile, ce qui la rendait indéplaçable, pour pouvoir maintenir un point de compression. Nous sommes donc resté·e·s avec elle, à la soigner au centre de la place, pendant que les grenades lacrymogènes pleuvaient partout et que les tirs tendus sifflaient. Rapidement, d’autres blessé·e·s nous ont été amené·e·s.

Un périmètre de sécurité formé par une trentaine de personnes s’est établi autour de nous. Nous agitions un grand drapeau street medic dans l’espoir que la police ne charge pas et laisse parvenir jusqu’à nous les secours que l’on avait appelés pour évacuer les blessé·e·s les plus grièvement touché·e·s.

Mais une pluie ininterrompue de grenades lacrymogènes s’est mise à pleuvoir sur notre petit périmètre. Nous étions quasiment les dernier·e·s sur la place. J’étais aveuglée et asphyxiée. Une main comprimant l’artère d’un·e des blessé·e·s, l’autre protégeant sa tête des tirs. Mais même les deux mains immobilisées, sans rien voir et sans pouvoir respirer, je savais que l’on me protégeait.

Toutes ces personnes, street medics, manifestant·e·s, inconnu·e·s sont resté·e·s autour de nous et ont gardé la ligne. Certaines ont placé leurs corps au-dessus de nous pour faire barrage aux palets de lacrymogène brulants qui tombaient en pluie sur nous. L’une d’entre elles a d’ailleurs vu son sac commencer à flamber. Mais elles sont toutes restées jusqu’à la fin.

Je ne veux pas faire ici une apologie de martyr, et je pense que nous aurons beaucoup à nous questionner sur la façon que nous avons eue de nous mettre en danger, physiquement, nous, manifestants, et particulièrement les street medics.

Mais à l’issue de cette journée, je tenais à dire à quel point j’ai été touchée par la solidarité collective, massive dont j’ai été témoin, et ce, tout au long de cette journée. J’ai vu des manifestant·e·s de tendances très différentes prendre soin les uns des autres. Individuellement, en groupes ou en tant que cortèges. Et ce, malgré un degré de répression intense et soutenu.

De mon point de vue de street medic, cette journée a été un bain de sang. Nos interventions tiennent de plus en plus de la médecine de guerre. Mais, paradoxalement, le sentiment le plus fort, le plus présent chez moi à l’issue de cette journée, c’est la gratitude, un sentiment fort de cohésion, de solidarité, de force, de convergence et de détermination. La preuve en acte que nous, étudiant·e·s, travailleurs, chômeurs, précaires nous pouvons être plus fort·e·s face aux patrons, à l’État, à sa police.

La solidarité est une arme inestimable.

Publié le 2 mai 2016
sur Paris-luttes.info

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