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Vardis Tsouris
Un oui anarchiste à la vie,
une méthodologie contre la mort

dimanche 18 juin 2017, par Rosa Nera

Début mai 2017, Vardis nous a quittés.

Les marques d’estime et de douleur qui ont suivi son décès, ainsi que les souvenirs de celles et ceux qui ont eu le plaisir de l’accompagner dans ses combats sociaux et de partager son amitié, ont été innombrables.

Et voici un paradoxe : la perte est la présence constante. En effet, la mémoire collective qui se dégage du départ de Vardis Tsouris rappelle les paradoxes présocratiques, ceux-là même qu’il aimait interpréter comme un processus anarchiste de lutte contre les puissances de la mort. Ta perte, Vardis, sera désormais pour la Crète un dialogue permanent avec les questionnements difficiles et les perspectives que proposait ta contribution, un « travail de fourmi » sans précédent et irremplaçable : dans les villages et dans la diffusion des assemblées populaires, dans les initiatives de quartier, dans la lutte des classes et les combats ruraux, mais aussi par la grève de la faim que tu soutins dans ta cellule de prison, inflexible jusqu’à la victoire, par la rectitude d’un itinéraire de vie constamment fidèle à l’idée d’anarchie, à la vie, à la liberté, à l’entraide et à l’égalité.

« Le temps ne nous a jamais concernés », ainsi s’achève le message d’adieu de Raoul Vaneigem à Vardis. Invoquons donc la mémoire : un pas vif, un esprit rebelle nourri tout autant de la vie dans les montagnes que du quotidien imprévisible et aventureux des ruelles des quartiers d’après-guerre de La Canée, l’amour des livres et des attentes de la jeunesse à la fin des années 1960. Il endurera les premières épines qui s’enfoncèrent dans le cœur gris d’une capitale silencieuse, dans la dictature. Il participa aux premières actions publiques de petits groupes « qui aiguillonnaient les moutons » avant de disparaître de la vue les flics. Parmi tous ceux qui participèrent aux courants de contestation à la junte, certains choisiront plus tard le pouvoir. Vardis défendra l’anarchie, tout comme il le faisait déjà avant les événements de Polytechnique.

« Je ne veux ni gouverner ni être gouverné. » La maxime d’Hérodote deviendra l’une des premières affiches du groupe anarchiste de La Canée, à la fin des années 1970. C’était l’époque des premiers textes contestataires de l’opposition au nationalisme, aux parades militaires, textes qui prônaient la suppression des prisons, soutenaient tous ceux qui ne rentraient pas dans le moule hétérosexuel, dénonçaient le totalitarisme des régimes staliniens, opposaient le mouvement libertaire à la persécution constante. En ces temps difficiles, Tsouris parvenait à échapper aux embuscades des barbouzes de la junte. Plus tard, il continuera les combats contre les bases militaires et le militarisme en général, il aidera de nombreuses personnes à entreprendre une réorganisation sérieuse et démocratique du mouvement, tout en améliorant la diffusion de textes décriant l’armée, le capitalisme grec et les visées géopolitiques de ce dernier. Puis il y eut sa grève de la faim victorieuse et la mobilisation nationale qu’elle provoqua au début des années 1990, lorsque la répression tenta, en utilisant son nom, de mettre à genoux tout le mouvement. À la même époque, il se démena dans les premiers combats communs avec les immigrés, pour leur vie et pour leurs droits, ainsi qu’avec les « sans-papiers » dont il défendait la participation dans les syndicats, il participa au point de rencontre autogéré de La Canée et au squat de Rosa Nera, lutta contre la construction d’une base militaire à Gavdopoula et contre le capitalisme « vert ».

Tous ceux qui, à La Canée, font le deuil d’un homme qui s’est battu sans relâche avec désintéressement, se remémorent, ces jours-ci, les innombrables péripéties d’une persécution qui s’étala sur quarante ans, son combat pour des acquis qu’aujourd’hui nous apprécions, considérons comme évidents, et sont de nouveau menacés. Ils se remémorent aussi son combat contre la barbarie, son rêve d’une société sans classes et de l’individu toujours en révolte. Ces gens-là font le portrait d’un homme qui savait savourer les plaisirs simples de la vie, tantôt dans les pâturages des montagnards où résonnaient les chansons crétoises traditionnelles, tantôt dans les cafés populaires ou au milieu des travailleurs immigrés, tantôt dans les luttes environnementales ou ouvrières, dans les festivités comme dans les heurts des révoltes, dans chaque revendication des opprimés et des minorités, avec la liberté de tous comme but.

Le départ de Vardis, admettons-le, constitue la fin d’une époque. Vardis Tsouris était très connu dans son île, en tant qu’anarchiste ; il ne serait pas exagéré de dire qu’il y a quinze ans tout le monde le connaissait à La Canée, des plus âgés aux plus jeunes. Qu’est-ce qui le rendait si reconnaissable, lui et ses idées et méthodes anarchistes si respectées malgré ses propos et ses actions avant-gardistes ? Les persécutions répétées à son égard reflétaient son insoumission envers ses persécuteurs, son talent d’organisateur était universellement reconnu, mais peut-être plus encore son indéniable sociabilité, sans renoncer ne fût-ce qu’une fois à ses valeurs. Redisons bien que, clairement, nous qui agissons au nom d’un but libertaire, nous avons trouvé une voie pavée par cet homme. Dans le futur, les militants crétois auront à choisir entre un retranchement de classe ou la diffusion de son idéal anarchiste : une prise en main collective et démocratique des « nombreux militants de la base, que rien ne peut séparer et que tout sépare des pouvoirs formels aussi bien qu’informels » comme disait Vardis.

Pour sa contribution continue et ininterrompue au mouvement, jusqu’à ses derniers jours. Pour la poursuite de ce défi, l’union contestataire et universaliste de la base pour laquelle il s’est battu, a été torturé et a fini par être reconnu, tant par ses camarades qui se sont dévoués au mouvement que par le peuple, par tous les anonymes et les opprimés qu’a inspirés son « style » libertaire dans le combat anarchiste et l’amitié quotidienne.

Vardis Tsouris sera toujours ici,
il sera présent,
il sera avec nous.

Deux camarades du squat Rosa Nera

Vardis Tsouris 1952-2017
(photographie Antonis Papayannakis)

Traduit du grec par Laurent.
Source du texte d’origine : Άπατρις
mai-juin 2017.

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