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Ayotzinapa 26/27 septembre 2014
Rien de bien nouveau sous le soleil de Satan

vendredi 1er avril 2016, par Georges Lapierre

Es fundamental comprender que las acciones de represión política son actos intencionales cometidos por el Estado o por otros grupos que tienen relación con éste (como narcotraficantes y/o paramilitares) y que la responsabilidad de estas violaciones es del Estado, ya sea por acción, omisión o aquiescencia [1]

« Il est important de bien comprendre que les actions de répression politique sont des actes intentionnels commis par l’État ou par d’autres groupes qui sont en relation avec lui (comme les narcotrafiquants et/ou les paramilitaires) et que la responsabilité de ces violations revient à l’État, que ce soit par action directe, omission ou acquiescement… »

Que sont devenus les 43 étudiants disparus dans la nuit du 26 au 27 septembre 2014 ? Une délégation d’élèves était partie de l’école normale rurale d’Ayotzinapa près de Chilpancingo, capitale de l’État du Guerrero (Mexique), afin de récupérer des autobus pour se rendre à Mexico, où devait se tenir le 2 octobre une grande manifestation à la mémoire des étudiants assassinés par l’armée mexicaine sur la place de Tlatelolco en 1968. Ils sont allés jusqu’à Iguala, ville qui se trouve au nord de l’État. Dans cette ville, la caravane de cinq autobus s’est trouvée prise sous le feu nourri des forces de la police municipale, de celles de l’État du Guerrero et de la police fédérale, en présence de militaires du 27e bataillon d’infanterie d’Iguala. Cette embuscade, qui a commencé vers dix heures du soir pour se terminer vers minuit, et qui fit des blessés parmi les étudiants, s’est poursuivie jusqu’au petit matin par une chasse à l’homme dans les rues de la ville au cours de laquelle trois étudiants ont trouvé la mort, dont Julio César Mondragón, qui fut torturé, ainsi que trois autres personnes. C’est au cours de cette nuit que 43 étudiants embarqués par les forces de l’ordre ont disparu. Où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Que s’est-il passé exactement ?

Inlassablement, depuis maintenant dix-huit mois, inlassablement, les parents des disparus les recherchent, demandent des comptes à l’État, inlassablement. Inlassablement, avec obstination, ils poussent l’État dans ses retranchements afin que la vérité éclate, inlassablement : que la vérité éclate au grand jour, qu’elle soit dite enfin ! Vainement. L’État se tait. Il sait fort bien ce qui s’est passé, je n’en doute pas un instant, car comment expliquer ses réticences et ses mensonges éhontés ? Dans les années 1970, l’armée mexicaine a pris parti dans le débat social, elle a combattu les mouvements sociaux de libération. Elle est alors apparue comme une force autonome obéissant à une idéologie qui lui est propre, si bien qu’à cette époque on a pu parler d’une dictature militaire disfrazada de civil. L’armée n’était pas là pour défendre la nation, mais pour défendre des intérêts particuliers transnationaux et pour se mettre au service de la politique impérialiste des États-Unis. Depuis, nous ne savons plus qui contrôle qui, si c’est l’armée qui exerce un contrôle sur le gouvernement ou l’inverse, le gouvernement qui contrôle l’armée. Quoi qu’il en soit, la connivence est si étroite entre le pouvoir des militaires et celui du gouvernement civil que l’un ne peut agir sans l’assentiment de l’autre.

Le gouvernement de Peña Nieto sait fort bien ce qui s’est passé et ce que sont devenus les 43 étudiants disparus, la seule question que l’on peut encore se poser concerne le degré de sa responsabilité, entre se trouver directement responsable de leur disparition [2] ou l’être seulement par omission ou acquiescement. L’État sait et il se tait. Il raconte des mensonges, il invente une « vérité historique » des événements pour mieux camoufler, pour mieux étouffer la vérité, pour mieux se taire, pour ne pas dire, pour ne pas avouer. Et les parents et les familles insistent, et l’État dresse des obstacles administratifs, juridiques, institutionnels à leurs demandes d’investigation : impossible d’interroger l’armée, pourtant bien présente lors des événements. Face à l’obstination héroïque des parents, l’État se tait tout aussi obstinément. L’État se défile, il raconte des histoires, il calomnie les enquêteurs internationaux indépendants, il rejette les conclusions de la Commission interaméricaine des droits humains. Il promet de poursuivre l’enquête. Il promet de l’argent aux parents, il tente de les acheter. Les parents s’indignent et refusent. L’État noie le poisson. Pourquoi ?

La vérité sur les disparus d’Ayotzinapa est en passe de devenir un non-dit de la société mexicaine et aussi internationale. Les parents sont allés un peu partout dire leur tragédie, dire le tort qui leur est fait, qui est tout aussi bien un tort universel : en Amérique latine, aux États-Unis, au Canada, en Europe. La société mexicaine, comme la société internationale, s’est révélée impuissante à contraindre l’État mexicain à cracher le morceau. Pourquoi ? Pour quelles raisons ? Répondre à ces questions, c’est découvrir le monde dans lequel nous vivons.

L’État mexicain peut bien, dans cette affaire, se sentir incómodo, juste un peu gêné sur les entournures : son imposture mise à nu, son infamie devenue visible. Il ne se sent pas pour autant traqué, il ne se sent pas acculé, poussé dans ses derniers retranchements. Une grande partie de la société civile mexicaine et internationale le soutient soit par ignorance, soit par indifférence, surtout par faiblesse et soumission, soit par intérêt. Il peut compter sur l’appui des autres États : le président de la République mexicaine, Enrique Peña Nieto, est reçu avec les honneurs par le président français, François Hollande, le 14 juillet 2015, à la fête de la Révolution, à la fête des Droits de l’homme et du citoyen, justement ! Jusqu’à l’Église et son pape, François l’activiste, le progressiste, venu au Mexique pour, dans le sens propre des termes, « faire silence » sur les 43 disparus d’Ayotzinapa. L’État pense qu’il sortira renforcé de cette épreuve passagère, il pense qu’il sortira renforcé de sa confrontation avec cette part dissidente de la société qui le questionne. Déjà il élève la voix pour réclamer le silence.

« Il a fallu attendre 17 mois, c’est-à-dire 520 jours, écrivait le 29 février le Centre des droits humains de la Montagne, Tlachinollan [3] pour que le président de la République, Enrique Peña Nieto, se déplace à Iguala. » Et le Centre des droits humains de la Montaña ajoute : « Nous pouvions penser que cette visite, bien que tardive, avait pour but de rencontrer les familles des 43 étudiants disparus. Il n’en fut rien. Ce fut même tout le contraire : un hommage appuyé à l’armée et en particulier au 27e bataillon d’infanterie et un rejet [4] des parents. »

Peña Nieto est arrivé au milieu d’un pompeux et spectaculaire dispositif militaire pour atterrir au centre des installations du 27e bataillon d’infanterie, interdisant ainsi toute possibilité de rencontre avec la société civile. Ce fut un acte symbolique fort de soutien inconditionnel à l’armée, qui ne peut être ni atteinte ni souillée par des demandes émanant de la société civile mexicaine ou internationale. L’armée est intouchable, elle n’est pas disposée à se soumettre à l’examen des instances internationales. Les militaires ne seront pas interrogés, ils ne seront pas obligés de remettre l’information qu’ils ont eux-mêmes instruite au cours de la nuit du 26 au 27 septembre. Le président de la République n’a pas prononcé le nom d’Ayotzinapa, il n’a pas mentionné les 43 disparus ni la centaine de disparus d’Iguala, dont on a retrouvé les corps dans des fosses communes tout autour de la ville, il n’a pas fait allusion à la tragédie que vivent les habitants de cette municipalité et, plus généralement, les habitants du Guerrero, il a ignoré les mères et les pères de famille aussi bien d’Ayotzinapa que celles et ceux des autres disparus. Il est venu pour tirer un trait sur ces événements tragiques, pour qu’ils s’effacent de la mémoire collective, pour que les gens oublient, qu’ils retrouvent le silence d’avant, quand ils subissaient l’horreur sans rien dire, quand ils vivaient dans la terreur en silence. La loi du silence. La peur et la peur de parler : la soumission. La teneur de son message fut : ne parlons plus des disparitions d’Iguala, de la vague de violence qui a causé (et qui cause toujours) tant de morts, qu’on arrête de parler de la collusion entre les autorités civiles et militaires et les bandes organisées du crime, se livrant à l’extorsion et au trafic de la drogue, pour le contrôle de la plaza, d’un territoire ou de la région [5]. La visite du président de la République a eu pour fin de cautionner la « vérité historique » du procureur de la République d’alors, José Murillo, soutenant que les corps furent brûlés dans la décharge publique de Cocula par les narcos, thèse qui fut critiquée et définitivement écartée par les experts des instances internationales.

Cette prise de position de la plus haute autorité de l’État n’augure rien de bon : la guerre contre la population et la société en résistance, dite encore guerre de basse intensité, dite encore guerre psychologique, va se poursuivre, et sans doute s’intensifier, au Mexique.

Oaxaca, le 31 mars 2016,
Georges Lapierre

Notes

[1Clemencia Correa : « La reparación integral, afrontando los daños de la represión política de Estado. El acompañamiento psicosocial : una construcción colectiva ».

[2C’est l’hypothèse que j’avais émise dans un premier texte écrit au tout début, en novembre 2014.

[3Cf. l’article d’opinion (à lire) intitulé « Guerrero, pueblo con memoria », paru sur le site Tlachinollan. Le paragraphe qui suit s’inspire largement de la première partie de cet article.

[4Une rebuffade proche du désaveu.

[5À Iguala, le PRD (Parti de la révolution démocratique) serait lié au cartel de Los Guerreros Unidos et le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) à celui de Los Rojos. Ce sont des luttes funestes que se livrent entre eux des groupes de pouvoir étroitement liés à l’armée et à l’État ; ces luttes se sont terriblement intensifiées avec l’ouverture du Mexique au marché transnational dominé par les États-Unis.

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