la voie du jaguar

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Fin de programme

lundi 9 mai 2016, par Autographie

Le mouvement contre la loi travail a débordé sur les places, on a passé des « nuits debout », de toutes sortes de manières les places débordent sur la rue, et vice-versa. Par tous les moyens, on tente de sortir du programme, non sans peine.

Éternel mais dispensable retour des programmes

C’est dur de parler, de penser, a fortiori ensemble, quand ça fait si longtemps qu’on ne l’a plus fait. On hésite d’abord, puis on y va, on se lâche, puis on se contrôle, on nous contrôle, ça ne peut pas durer éternellement…

Ce drôle de mouvement nous a extraits de nos bulles quotidiennes (aussi « alternatives » soient-elles), et il nous gifle rudement en nous révélant l’ampleur sous-estimée du programme qui s’était installé en nous. L’air de rien, sous la couche superficielle des croyances révolutionnaires, nous avons laissé des formes pourtant classiques de pouvoir nous animer, en se convainquant du progrès — tout relatif — qu’elles apportaient. L’« État social » fait partie de ces oxymores qui nous aident à composer avec une réalité pourtant abjecte.

Et quand nous nous entendons parler ce langage magique, nous mesurons amèrement l’écart abyssal entre les mots que nous échappons au micro et la sensation d’écœurement qui nous a fait sortir dans la rue en premier lieu.

Faute de pouvoir décrire pleinement ce qui se passe ces jours-ci, on reproduit ce que l’on peut, on prend comme un sésame quelques solutions toute faites portées à notre connaissance par des mouvements récents… Puis il ne manque jamais d’animateurs « bien intentionnés », pour nous souffler la suite, quand les mots ou les formes nous manquent. C’est ainsi que l’on voit ressurgir, comme sous l’effet de la « spontanéité » des agrégations nocturnes, des notions qui ont la peau dure et qui n’ont que l’air de la nouveauté.

Nous voilà à peine rassemblés à quelques-uns au beau milieu d’une place que certains se piquent, avant toute autre chose, de « ré-écrire la constitution ». Dix, vingt, mille, deux mille, dix mille personnes, un peu partout, retrouvent tout juste le chemin de la parole publique, et voilà qu’il faudrait qu’elles s’asseyent déjà pour ré-écrire la constitution, revendiquer un revenu garanti pour tous, fonder un nouveau parti, reconstruire la gauche…

Au fil des dernières années, certains d’entre nous se sont égayés dans divers maquis à bricoler dans leur coin des manières de s’en sortir à quelques-uns, de s’extirper de l’économie, de l’emploi, de la course à la reconnaissance. Et ces histoires de « Constitution » là, ça nous coupe un peu la chique. On goûte à peine à la joie de reprendre la rue, de parler aux inconnus, de festoyer au milieu des places, de rendre les coups, d’interrompre le programme, qu’une force obscure nous en prépare déjà un autre, de programme.

L’histoire récente est pourtant jonchée de cadavres constitutionnels, partisans et programmatiques. Il n’a pas fallu deux ans à Podemos pour avoir raison de la vitalité du mouvement des places en Espagne en se posant, avec force communication, comme son débouché politique naturel. Il en avait fallu un peu plus à Syriza pour capter l’essentiel de l’énergie du mouvement révolutionnaire grec et la diriger vers une nouvelle déception électorale. Combien de semaines d’autres apprentis bureaucrates mettront-ils, ici, pour serrer le collet à la vitalité en marche ? Combien de temps sommes-nous capables de résister à cette volonté enracinée dans nos imaginaires de tout programmer ?

Partout, sous des gestes parfois semblables, la manifestation, l’occupation de places, l’occupation de lieux administratifs, il y a des idées du bonheur aux antipodes les unes des autres qui cherchent leur chemin. Nous nous attachons à la vitalité propre des places, à leur brouhaha, à l’énergie nouvelle des manifestations qui sortent partout du cadre admis, qui se trouvent de nouvelles cibles. Nous ne cherchons donc pas à marquer les désaccords, juste à ce qu’ils trouvent le moyen de s’éclairer mutuellement, de se penser.

Sur les places, la plus grande part de la joie palpable vient d’une capacité soudaine à s’organiser, à reprendre un espace public vidé de toute vie, à répondre à nos besoins propres (se retrouver, se nourrir, se parler, jouer…) avec nos propres moyens, sans, pour une fois, rien demander à personne. Beaucoup se précipitent pourtant pour traduire tout cela en « revendications », en « Constitution », en « projet de société », autant de choses qui nous éloignent de notre force présente, immédiate, prometteuse. Ces mauvais réflexes, impliquent toujours un interlocuteur plus grand que nous, un grand ensemble « social » dont nous ne serions que le petit rouage interchangeable. Et pour être interchangeables, compatibles, transparents (j’affiche mes émotions, mes accords et mes désaccords sur « mon mur » ou sur ma face, les mains en l’air ou les bras en croix), il faut bien des formes reproductibles partout, identiquement : la gestuelle altermondialiste, des slogans suffisamment vides pour être rassembleurs, un wiki coopératif constituant, des adresses IP bien identifiables, bref, des formes, des dispositifs en lieu et place de sens. Des systèmes et des économies à la place de la vie.

On nous a voulus individus jusqu’au bout des ongles, et c’est en tant que tels que nous nous retrouvons sur ces places. Notre vision d’un progrès radical se borne à demander une amélioration de notre condition d’individus isolés : un « revenu garanti » pour tous ou plutôt pour chacun. Résultat, nous passons sans détour de l’autonomie comme puissance d’agir (qui frémit sur les places) à l’autonomie réduite à un « pouvoir d’achat » garanti à chacun, octroyé par on ne sait quelle forme de grand ensemble englobant, neutre, désintéressé, automatique. Le même grand système surplombant, qui devrait garantir, mesurer et comptabiliser l’égalité parfaite de la contribution des uns et des autres à l’effort pacifié, de rédaction d’une « nouvelle Constitution ». Cette propension maladive à apaiser tous les rapports sociaux a pourtant quelque chose de profondément pourri et désarmant. Tout juste après avoir pris des bombes législatives sur la gueule de la part des dirigeants (Loi Travail, État d’Urgence, Loi sur le renseignement…), après s’être fait désarticuler les bras et crever les yeux par leurs CRS, après s’être épuisés dans des jobs absurdes et des usines esclavagistes, après s’être couchés sous la morale de la CAF et de Pôle Emploi, comment pouvons-nous souhaiter avec autant de précipitation, ré-échafauder de semblables institutions ?

Occuper les déserts

De lutte, de combat, et de communauté, il semble à l’inverse difficile de parler sur certaines places (alors même que c’est visiblement cela qui sourd dans tous les coins, en dessous des discours). L’air du temps est au réseau, à la production « collaborative » douce, à la Scop sexy et aux coopératives d’auto-entrepreneur 2.0. Autant de phantasmes technologiques qui derrière leur façade collective masquent une réalité atomisée, où chacun est tenu pour responsable de sa propre misère, de ses propres échecs. Il y a peu de chance que le revenu de base réduise cette division sociale là, puisqu’il n’abolit pas l’obligation plus ou moins implicite de « s’efforcer à réussir », seul de préférence. D’autant plus que notre époque nous a contraints à la débrouille ; version euphémisée de « marche-ou-crève ». Nous sommes acculés. Et le comble de notre aliénation est de ne plus parvenir à nous ériger en « communauté de débrouillards » ou en « communards de la débrouille », autrement dit en classe sociale. Pourtant, notre tâche est bien là, faire en sorte que nos séparations groupusculaires ne soient plus uniquement une réaction de repli face à la violence du monde, mais une force qui fasse sens collectivement, et qui produise tout ce qu’il faut pour la vie de ceux qui brûlent de faire sécession. Faire « service public » là où l’actuel est en pleine déliquescence. Là-même où il a largué la réponse aux besoins de tous pour l’obsession du contrôle de chacun. Voilà tout l’enjeu du mouvement en cours. Si nous ne franchissons pas ce cap, nous serons dilués dans un futur Podemos, franchouillard qui plus est.

Pris dans nos boulots toujours plus insatisfaisants, au mieux, nous bredouillons quelques vieux tics de langage pour décrire la source de notre malheur (« c’est la faute du capitalisme, de la finance »), comme pour se figurer une nouvelle fois un ennemi abstrait dont nous ne reconnaissions plus le visage. Bien sûr, le capitalisme et la finance nous ont dévastés. Ces structures qui nous plient sont effectivement incarnées par des formes et des représentants identifiables ; banques, assurances, holdings, médias, actionnaires, et leurs collègues de classe (sociale et scolaire), qui assurent leur santé en « occupant les places » dans les gouvernements. Mais ils semblent tellement à l’abri derrière leur plafond de verre qu’on se demande bien comment entrer en conflit direct avec eux. Nous n’avons le plus souvent affaire qu’à leurs flics et leur mobilier urbain. À défaut, nous nous tournons vers nos chefferies locales, nos banques de village et nos élus de quartier sans pouvoir. Dans leurs lieux, nous ne rencontrons que du petit personnel politique affairé sur des questions subsidiaires, des voisins de palier employés là, les pères et mères de nos amis d’enfance dans leurs bureaux, et il arrive que nos amis eux-mêmes tiennent le guichet. En somme, des gens qui ont plus ou moins l’air aussi démunis que nous. À l’usine, dans les bureaux, nos cadres et nos contremaîtres ressemblent presque autant que nous à des pantins. Ce qui par ailleurs aurait dû les vacciner définitivement contre les coups de cravache qu’ils continuent de nous infliger. Il y a comme un grand brassage des rôles, un brouillage des lignes, qui bien loin de supprimer les violences de classe, les a rendues innommables. À l’évidence, ces collusions sensibles et humaines ne sont qu’un leurre, mais en avoir conscience n’empêche pas cet « à quoi bon ? » qui nous habite toujours un peu plus. Le capitalisme et ses structures sociales, la finance et ses actionnaires sont certainement pour partie responsables de nos plaies béantes, mais leurs déclinaisons dans le quotidien ont été rendues si peu tangibles, si brouillées, que nous en avons perdu nos cibles et nous nous rongeons nous-mêmes. Nos localités sont désormais faites de ce vide que les superstructures ont laissé derrière elles. Alors occupons d’abord ce désert qui nous est donné là. Jouissons de la liberté offerte par cet espace public abandonné. Et si le croquemitaine se dévoile, se rue sur nous, il aura enfin un visage.

Du haut de nos croyances au caractère exceptionnel de nos individualités, nous refusons de nous envisager comme les produits tous frais de ce monde, ses jouets et ses variables d’ajustement. Cette illusion de libre-arbitre nous limite dans notre capacité à nous arracher hors des programmes et risque bien ne nous faire éternellement réinventer l’eau chaude. C’est là toute la force de ce régime aux apparences libérales, qui nous a dépossédés des moyens de débusquer et de perturber les phénomènes de reproduction. Tout nous paraît moderne et providentiel. À tel point que nous ne voyons même plus comment la République ou la Constitution nous ont si parfaitement domestiqués pendant tant d’années. Si nous sommes incapables de comprendre en quoi les structures actuelles nous enfantent, il est logique que nous nous précipitions à en fabriquer de semblables plutôt que de nous rendre imprévisibles, incontrôlables. Si toute notre action perturbatrice doit se conclure par une assemblée constituante, une République sociale et un revenu garanti, c’est que l’on nous aura définitivement enlevé le sens du rêve.

Comme une vie

La question de la souveraineté du peuple ne cesse de monopoliser les assemblées spontanées. Sa redondance n’est que le signe d’une dépossession extrême du pouvoir d’organiser nos vies. Car en réalité, sa question est bien mal posée. Nous avons une fâcheuse tendance à rechercher prématurément les bonnes modalités d’organisation de la souveraineté politique des individus, comme si nos conditions de vie exécrables nous permettaient d’attendre. Preuve en est, l’inflation actuelle de propositions autour du « tirage aux sorts des représentants » ou de la « révocabilité des mandats ». Et nous laisserions, en vertu de cette logique programmatique, le soin à ces futures institutions républicaines d’organiser pour nous la satisfaction de nos besoins, aussi égalitaire qu’elle puisse être. Or ce programme-là, nous courons après depuis tant d’années et tant de régimes successifs, sans réussite. Notons d’ailleurs que les « grandes avancées sociales » du siècle dernier ont davantage été arrachées aux représentants de la République qu’elles n’en n’ont été les fruits.

Nous proposons donc d’envisager le pouvoir d’organiser nos vies comme un début inévitable. Nous sommes capables, et nous ne partons pas de zéro, d’aller vers une autonomisation dans un maximum de domaines vitaux, de la nourriture au déplacement, en passant par l’habitat ou l’éducation. Jusqu’alors, nous avons été dépossédés de ces savoir-faire par l’expertise technologique propriétaire et la division du travail. À nous d’utiliser la technique à notre avantage, en faveur d’un quotidien qui fait sens, et d’une forme de luxe vital pour tous et toutes. Pas une égalité comptable qui serait là pour nous pacifier en nous abreuvant d’un égal pouvoir d’achat, mais un partage dispendieux de nos moyens, de nos possibilités d’autonomie collective, de nos richesses diverses, qui annulerait tout besoin de calcul. Si devait persister une notion telle que la « souveraineté du peuple », elle passerait probablement moins par son enfermement dans des corps administratifs et constitutionnels que par notre autonomisation collective, et par notre capacité à élaborer nos interdépendances et la mise en pratique(s) de notre tenace passion égalitaire… là où nous sommes et avec ceux avec qui il nous est donné de nous rencontrer, de nous lier, d’où qu’ils viennent. Cela ne peut être programmé, commandé, calculé, ou même revendiqué. Mais seulement mis en route dès maintenant. Nous aurons tout loisir, au terme de quelques avancées, de décider si nous avons besoin d’une Constitution et si oui laquelle.

Dans la situation présente, nous sentons bien un manque de structuration, un flottement, des aléas, que les plus ordonnés d’entre nous voudraient réguler. Nous devrions plutôt suspecter le retour des techniques de management édulcorées, l’utilisation à outrance des savoirs universitaires, des compétences gestionnaires, des élans de planification, des représentants et des écritures de programmes. Plus généralement, nous aurions intérêt à prendre nos distances avec ces pensées toutes faites, qui rampent sur la toile et que l’on nous somme d’adopter. Elles vont si bien à cette société en plein écroulement… Cela ne veut pas dire qu’il faille abandonner tous les outils. Mais que nous aimerions d’abord — et avant tout le reste — nous laisser le temps de vivre ce moment et de nous mettre à l’épreuve.

Car nous n’avions pas vu situation si prometteuse depuis longtemps. Quand bien même nous fabriquions des organisations collectives, elles n’étaient que des outils nécessaires à notre survie. Alors que notre insatisfaction profonde nous soufflait à l’oreille les mots du désordre, du chamboulement, nous nous contentions de pis-aller. Or ce « mouvement », de manifs ensauvagées en Nuits debout agitées, a tout du débordement, de l’échappement, de la perte de contrôle et c’est bien là toute sa force.

Sur les places, quand nous prenons la parole, nous sommes comme nus, dépouillés de nos histoires, de nos bandes, et seuls nos mondes séparés semblent compter (1 plus 1, plus 1, plus 1…). Mais enfin, nous ne sommes pas « un, plus un », nous sommes plusieurs, nous avons des histoires à raconter, des tentatives, des trucs à partager, une expérience en marche qui a besoin de se confronter, de te rencontrer, de le rencontrer lui aussi, et cette bande de potes là aussi, cette famille, ces collègues, ces camarades-là… ce que nous cherchons c’est joindre nos forces, toutes diverses qu’elles sont, pour rouvrir l’espace du choix, les pages de l’histoire.

Non il n’y a pas ici que des individus éthérés, des solitudes numériques, il y a de la vie qui a besoin de prendre sa place, d’exprimer toute son hétérogénéité, de faire tomber des murs, de mettre des pieds dans la porte, de serrer quelques arrogantes cravates, de retourner contre ceux qui les produisent quotidiennement les sentiments de tristesse et d’impuissance.

L’État lui-même, cet appareil technique à qui nous présentions jadis nos revendications respectueuses comme s’il était vivant, est si éclaté dans sa fonction moribonde de gestion et de contrôle au service de l’ordre économique qu’il perd totalement sa capacité à influer sur notre quotidien. En conséquence, prenons acte que nous n’avons plus rien à lui demander.

Au-dessous du volcan

Nous avons en tête cette folle épopée en cours depuis près de vingt ans au Mexique. Cette aventure qui a commencé par le soulèvement des indigènes zapatistes du Chiapas contre la mise en place de l’espace de libre-échange des Amériques, en 1994. Cette irruption locale de ceux qu’on n’attendait plus a trouvé tout un tas de prolongements localement, à l’échelle du pays, à l’échelle du monde. De là sont nés à la fois le mouvement anti-globalisation et, au Mexique, un autre processus plus rampant, plus tenace aussi, qui s’est nommé un temps « La Otra Campaña ».

Cette « autre campagne », avait pris le prétexte d’une élection présidentielle mexicaine pour agréger, pan par pan, toutes les forces distinctes pour lesquelles il était impossible de se projeter, une nouvelle fois, dans un tel numéro d’illusionnisme électoral. Communautés indigènes en lutte, syndicats enseignants, usines occupées, comités de quartier, bandes de jeunes émeutiers, villages ruraux, écoles agraires, radios locales, journaux, centres sociaux occupés, collectifs divers se sont mis à s’inventer un plan de bascule commun. Ce qui s’est formé alors, au fil des mois puis des années, c’est un mouvement discontinu, hétérogène, illimité, de sécessions d’avec le champ irrespirable de la politique des partis et de la représentation. Une façon de déposer le cadre, sans prétendre le refaire. Ne pas laisser qui que ce soit prétendre le refaire, c’est d’emblée penser les plans de coopération, d’alliances, de stratégies communes entre tous ceux qui ne veulent plus être contenus dans quelque cadre (national) que ce soit, fût-il a priori « bienveillant ».

Le moment étant venu d’imaginer l’étape d’après des manifestations et de l’occupation des places, nous ne pouvons plus nous contenter de reproduire de place en place les dernières trouvailles issues de la place de la République. Chaque localité pourrait trouver son propre tempo, sa propre texture, revisiter les lieux qu’elle occupe d’un regard neuf et trouver en elle les ressorts du dépassement que tout le monde appelle de ses vœux. Ce dépassement est une mise en commun et un déploiement de nos puissances d’agir propres à notre classe débrouillarde. Que nous soyons sortis de l’emploi en prenant les baffes moralisatrices de ceux qui aimeraient nous voir souffrir au travail, ou que nous y trimions encore, contraints par dépendance aux revenus qu’il nous concède et forcés par son organisation de plus en plus démente, il y a là une multitude inattendue de groupes qui commencent à se constituer et à prendre vie sur les places.

Ce débordement de vie collective n’entre pas dans les cases des prêts-à-porter militants. « La Commune », elle-même, est peut-être moins un nom emblématique pour notre désir actuel de dépassement qu’un des rendez-vous avec le passé et son inaccompli. Sortir du programme va sans doute nous amener à transcender nos localités, nos communes, avec ou sans « c » majuscule. Ainsi ces vies collectives, tout en s’autonomisant, auraient depuis leurs situations singulières, et en miroir les unes des autres, à penser de fond en comble les problèmes dont elles se saisissent et les plans sur lesquelles elles peuvent communiquer entre elles, construire des objectifs communs. Un de ces plans, en écho à cette expérience mexicaine, et dans le but d’en finir avec ce qui nous programme, ne pourrait-il pas être d’envisager que l’élection présidentielle de 2017 — à l’idée de laquelle tout le monde suffoque déjà — n’ait tout simplement pas lieu. Car la laisser advenir « normalement », c’est s’assurer qu’elle aura sur le soulèvement naissant, l’effet d’un bon vieux Tour de France bien commode, qui tous les ans trahit les promesses du printemps, mais pour bien plus longtemps.

Ne plus se contenir, ouvrir les vannes

La perspective de l’absence d’élection présidentielle comme emblème de tout ce qui nous programme ouvrirait un champ de possibles et de déclinaisons pratiques :

Comment constituer un véritable espace public sous l’espace médiatique et institutionnel ? Faire surgir notre propre agenda ?

Comment arracher un maximum de lieux à l’emprise du rouleau compresseur électoral (qu’ils ne trouvent plus nulle part où aller serrer des mains tranquillement) ? Comment perturber les canaux par lesquels il s’impose à tous ?

Et depuis là, faire ce nous avons à faire pour construire nos forces et dévier le cours du temps. Car du temps il nous en faudra bien plus que celui qu’est prêt à nous concéder l’éternel parti de l’urgence et son État. Faisons disparaître cette échéance de l’horizon et en lieu et place de ce mauvais spectacle déployons nos expérimentations, diverses, parfois même antagoniques… ouverture de lieux de convergence et d’organisation, grèves, occupations illimitées de places, enquêtes, déploiement de nos services publics libres (seuls à même d’entraîner avec nous tous ceux qui nous entourent), transversalité des expériences et des savoirs. Prendre enfin le temps de ne pas suivre la course folle de ce monde qui ne court qu’après son effondrement toujours imminent.

Arrêter les pendules, déchirer le calendrier. À chacun de décliner ce non-programme comme il lui paraîtra juste, et d’emplir ce vide de la vie qu’il mérite.

Nous sommes nombreux.
Nous sommes insatisfaits.
Nous sommes (à) la fin du programme.
On arrive.

Source : autographie.org.
Publié le 6 mai 2016.

Messages

  • N’oublions pas que le mouvement chiapanèque a mis plus de 500 ans à mûrir et au moins 10 ans à éclore.

    Las, nous sommes. Mais cette lassitude n’efface pas notre rage de vaincre. Même dans le silence, la résignation est un leurre qu’on laisse filer.

    A point nommé, dans ce pays, l’humain a su trouver ses rendez vous avec l’histoire pour montrer que l’Humanité peut arpenter des chemins de libération.

    L’altruisme sera notre moteur. Si la lutte contre est vaine, l’imagination est notre pouvoir de rêver et créer un monde nouveau, inspiré j’espère de l’exemple qui nous vient du nouveau monde. Et ce monde existe déjà, dans plusieurs géographies et de nombreux calendrier.

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