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Bien le bonjour d’Oaxaca, le 15 janvier 2012

mardi 24 janvier 2012, par Georges Lapierre

Bien le bonjour,

Dans un petit texte intitulé « Dans la gueule du requin », j’avais évoqué la résistance des peuples de l’isthme de Tehuantepec face à la construction démentielle d’un parc d’éoliennes couvrant toute la région, de La Ventosa à San Francisco del Mar (plus de cinq mille aérogénérateurs en formation militaire moulinant l’air de leurs grandes ailes d’acier) et mettant en péril la relation construite entre les habitants (paysans et pêcheurs) et leur environnement. En général nous nous arrêtons à la finalité immédiate de l’investissement capitaliste : la production d’énergie ou l’extraction de matières premières en vue de la production de marchandises. En fait, il s’agit de l’investissement de la vie sociale des gens par la pensée spéculative des marchands capitalistes spéculant sur les échanges marchands à venir.

Au cours de la réunion d’analyse et de réflexion sur l’impact des entreprises transnationales dans les régions indigènes du Mexique organisée par le Congrès national indigène à San Mateo del Mar (le 26 novembre 2011) en coordination avec l’Assemblée des peuples de l’isthme de Tehuantepec et les autorités municipales et agraires, il a été décidé de mettre en place un Plan d’action pour la défense du territoire. Rendez-vous fut alors pris pour le vendredi 13 janvier dans les locaux de Radio Totopo, à Juchitan, pour mettre au point les grandes lignes d’action à venir tant sur le plan local que sur le plan régional et national, à brève, moyenne et plus large échéances.

La radio Totopo a été montée à l’initiative d’une bande de jeunes gens fort sympathiques, qui, peu après la venue du délégué Zéro à Juchitan au début de l’année 2006, ont repris un projet datant des années 1980. C’est une radio communautaire installée dans une maison un peu délabrée du quartier des pêcheurs. La plus grande partie des émissions se fait en langue zapotèque, langue vernaculaire qui est largement parlée dans cette partie de l’Isthme et tout particulièrement dans ce quartier populaire. Les autorités ont bien essayé de l’interdire, mais les habitants ont pris fait et cause pour leur radio et l’ont défendue. Elle émet en continu dès trois heures et demie du matin, heure à laquelle se lèvent les habitants du quartier, les hommes pour aller à la lagune pêcher, les femmes pour se rendre au marché vendre les poissons et les crevettes pêchés la veille.

Nous étions une cinquantaine de personnes, les jeunes nous ont raconté qu’ils sont allés pêcher notre nourriture avec quelques pêcheurs du coin (dont quelques-uns étaient présents). Ils ont pu ainsi se rendre compte des duretés de ce métier, douze heures de pêche pour ramener à peine deux bassines de poissons et de crabes, mais aussi des satisfactions et du bien-être qu’il apportait : se trouver dans une relation étroite, en osmose, avec l’environnement. Ils ont compris d’une façon presque charnelle ce que signifiait habiter un lieu, un espace de vie.

La discussion est entrée tout de suite dans le vif du sujet : les comuneros et les petits propriétaires d’Union Hidalgo nous ont annoncé qu’ils avaient décidé de récupérer ce dimanche 22 janvier les terres occupées par l’entreprise Demex chargée d’ériger les éoliennes et qui a continué, malgré le litige, ses travaux d’excavation. Tout est prêt, piquets et fils de fer, les gens concernés aussi [1]. Il s’agit de profiter de l’absence des ouvriers, le dimanche, cela malgré le danger qu’une telle action peut présenter, dans la mesure où l’entreprise est protégée par des hommes de main armés et soutenue par les différentes forces de police. Je les ai sentis déterminés : la terre est communale, elle appartient à la population ; par différents jeux d’écriture obscures et frauduleux, l’État a réussi à modifier le statut de la terre à notre insu afin qu’elle puisse être louée à des entreprises transnationales. C’est maintenant ou jamais que nous devons défendre notre terre qui est notre espace vital, le lieu que nous habitons. Nous ne cherchons pas à négocier ou à renégocier le contrat de location de la terre, nous voulons récupérer notre terre, point final.

Dans le cas d’Union Hidalgo, l’entreprise dévastatrice est l’entreprise Demex ; cette société mexicaine, créée pour l’occasion afin de contourner la loi stipulant le caractère stratégique et national de toutes les questions se rapportant à l’énergie, est, en fait, une filiale de la transnationale espagnole Renovalia Energy. Les maisons-mères des transnationales qui ravagent les territoires indiens se trouvent dans les pays du premier monde : Canada, États-Unis, Grande-Bretagne, Espagne, France, etc. Bien au chaud dans un monde riche et douillet, elles la jouent écolo en toute hypocrisie, peut-être pourrions-nous de temps en temps en solidarité avec nos frères de liberté brouiller leur image de fabrique ?

La résolution a été prise de coordonner les luttes pour la défense du territoire au niveau de l’État d’Oaxaca. Dans cet esprit, une délégation de San Mateo et d’Union Hidalgo se rendra prochainement à Jamiltepec où se tiendra, le samedi 21 janvier, une rencontre des communautés affectées par le projet de barrage de Paso de la Reyna sur le río Verde. Le récent gouverneur d’Oaxaca, Gabino Cué, avait promis de reconsidérer ce projet, ce n’était, évidemment, qu’une promesse électorale destinée à démobiliser les gens. Les gouverneurs des unions dites de gauche que ce soit dans le Guerrero, le Chiapas ou à Oaxaca ont l’art de démobiliser les populations sans lâcher l’essentiel par des pseudo-négociations et quelques concessions sur des points de détail. Ce n’était qu’une parenthèse.

Il y a plusieurs focos rojos dans l’État d’Oaxaca : dans les Chimalapas, à la frontière avec le Chiapas, problèmes avec les entreprises d’exploitation de la forêt, les talamontes, et les éleveurs de bétail, les ganaderos, qui ont envahi une grande partie du territoire communal zoque avec l’assentiment et le soutien de l’État fédéral, et la complicité des deux gouverneurs, celui du Chiapas et celui d’Oaxaca ; à Ocotlan, dans la Vallée centrale, et plus précisément à San José del Progreso, les habitants voient leur espace de vie dévasté par une mine à ciel ouvert (un leader du Comité de défense des habitants vient de décéder à l’hôpital suite à ses blessures par balles lors d’une confrontation avec la police municipale) ; à Zaachila, antique ville zapotèque, la population s’oppose à la construction d’une bretelle d’autoroute traversant les terres agricoles ; nous avons parlé du projet de barrage à Paso de la Reyna dans la sierra donnant sur la côte pacifique, où le peuple chatino entend défendre ses terres riches et fertiles. Il a été décidé de prendre contact avec ces différents mouvements de résistance et de défense du territoire afin de coordonner les luttes au niveau de l’État d’Oaxaca, une rencontre dans ce sens est prévue pour le 27 mai, ce serait la deuxième étape de ce plan d’action pour la défense du territoire.

La troisième étape, plus ambitieuse, consisterait à coordonner et amarrer les luttes au niveau national avec en vue une rencontre à la fin de l’année à Wirikuta, lieu sacré du peuple wixarika (huichol), menacé par un projet minier de grande ampleur.

Tout ce plan d’action repose sur un travail d’information. Le Mexique a bien signé la convention de l’Organisation internationale du travail faisant obligation aux États d’informer et de consulter la population sur tout projet la concernant ; il passe outre à cette obligation sachant pertinemment que la population dans sa grande majorité rejetterait toutes ces ingérences ou projets dont elle ne tire aucun bénéfice et dont elle n’a que les inconvénients. Plusieurs moyens d’information en dehors des radios communautaires ont été envisagés de l’école à la rue et au quartier : débats, films, documentaires, théâtre de rue, mural – l’art des fresques murales est toujours très apprécié et vivant au Mexique, les jeunes ont proposé avec enthousiasme une campagne recouvrant toute la ville de Juchitan. La propagande officielle présente les aérogénérateurs comme une énergie propre, elle oublie les milliers d’oiseaux et de chauve-souris massacrés ; les tonnes de ciment enfouies pour toujours dans le sol – dans de bonnes conditions le socle des tours fait 30 mètres de diamètre sur 40 de profondeur ; les centaines de litres d’huile de vidange et l’immense friche industrielle léguée aux générations futures [2]. Et puis les gens n’ont rien demandé et ils n’ont même pas été consultés. C’est une initiative qui ne leur appartient pas, qui leur est étrangère mais qui s’impose comme pouvoir sur leur vie. C’est la lettre de cachet de notre époque.

Oaxaca, le 15 janvier 2012,
Georges Lapierre

Notes

[1Je viens juste d’apprendre que ce projet a été repoussé à une date ultérieure, par l’Assemblée de défense de la terre et du territoire.

[2Dans les contrats de location des terres pour trente ans, les entreprises se sont bien gardées d’assumer la responsabilité de tout nettoyer en fin de parcours et de remettre le terrain en état comme elle l’avait trouvé : des bénéfices considérables d’un côté, de l’autre, la merde pour les populations. C’est un peu ce qui se passe au niveau planétaire, non ?

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