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Lettre des habitant·e·s de La Fontié aux zapatistes,
au Congrès national indigène et à leurs ami·e·s

samedi 24 août 2013, par La Fontié

Aux communautés zapatistes en résistance,
aux municipios autonomes,
aux conseils de bon gouvernement,
à toutes les bases de soutien,
miliciens et miliciennes,
insurgé·e·s de l’EZLN.

Au Congrès national indigène,
aux élèves et enseignant·e·s de la Petite École...

Tout d’abord, permettez-nous de vous saluer, et de vous transmettre nos vœux de réussite pour les actions et événements que vous organisez en cet été 2013, à l’occasion du dixième anniversaire de la mise en place des conseils de bon gouvernement, dans vos cinq caracoles. Nous regrettons de n’avoir pu nous rendre aux sessions de la Petite École, mais espérons pouvoir le faire dans une autre occasion...

Qui sommes-nous ?

Nous sommes un groupe de personnes, d’âges différents (nous appartenons à deux, et bientôt trois générations), qui avons décidé de remettre ensemble les pieds sur terre, pour y expérimenter le besoin d’autonomie collective et solidaire que nous inspirent quotidiennement les impostures et les crises humaines et écologiques du système capitaliste.

Nous voulons réinventer des formes de vie en commun, en nous appuyant sur notre mémoire, sur l’expérience d’autres parties de l’humanité — hier et aujourd’hui — et sur nos propres désirs et rêves.

Nous voulons habiter un territoire. À commencer par celui que nous avons acquis collectivement (nous ne disposons pas actuellement du nombre et de la détermination qui nous rendraient capables de récupérer les terres indûment occupées par la propriété privée, par l’État aux différents niveaux). Notre terre commune s’appelle La Fontié, elle se trouve dans le sud de la France. C’est une terre petite et difficile à travailler, mais belle, et nous savons qu’elle peut nous nourrir, la dizaine de femmes et hommes qui y vivons actuellement, et même beaucoup plus. Une partie de ces terres a pour vocation d’être partagée avec celles et ceux qui voudront venir la travailler.

Nous avons également commencé à tisser des liens avec d’autres habitant·e·s de notre région et d’ailleurs, car nous cherchons à redonner un sens à la notion de territoire commun, en contribuant à y reconstruire des solidarités, du travail collectif, des actions de défense et de résistance. Il s’agit, en France, des ZAD (zones à défendre), comme celle de Notre-Dame-des-Landes, d’Avignon, et d’autres dans des pays voisins (finca occupée à Somonte, Andalousie, lutte contre le TAV dans le Val di Susa...), ou plus près de chez nous. Il s’agit également de maisons occupées en ville par des jeunes et des familles, pour trouver un toit et les moyens de s’organiser ensemble pour résoudre les problèmes urgents qui les tenaillent. Ces liens sont physiques, pratiques ou politico-philosophiques, solides et humains en tout cas. Nous ne souhaitons pas les vivre de façon virtuelle, par exemple à travers les pseudo-réseaux sociaux. Nous avons par contre l’ambition de mettre en marche, avec d’autres, une Université de la Terre qui, bien que beaucoup plus modeste, regarde vers le Cideci Unitierra de Jobel, l’Unitierra d’Oaxaca, et d’autres initiatives dont nous avons entendu parler, dans le Michoacán et les Chimalapas.

Comment voyons-nous notre histoire ?

Nous savons que dans nos régions, comme partout ailleurs sur la planète Terre, l’humanité n’a pas toujours vécu sous le règne du capitalisme. Pas plus que sous ceux, plus anciens, de l’aristocratie féodale et de la monarchie, des empires antiques et autres bandes brutales.

Cependant, malgré une résistance parfois farouche, nos ancêtres ont dû céder face à différents phénomènes historiques importants : la hiérarchisation sociale, la division du travail, la domination sexuelle, le pouvoir de l’argent, l’oppression au nom de la religion, l’extension de la propriété privée, l’exode rural, la généralisation du travail aliéné, la soumission devant les exigences du système économique, « scientifique » et technique...

Ils ont subi, avant, et en même temps que vous, la terrible colonisation menée par la monarchie centraliste, puis par l’État républicain. Ce dernier n’a pas hésité à entreprendre des guerres d’extermination, en Afrique, en Asie, en Europe même, qui ont visé les peuples de ces régions éloignées, mais aussi notre propre paysannerie.

Des modes de vie et des traditions collectives, fondées sur la connaissance approfondie de la terre, du monde vivant, sur la solidarité et l’entraide, des actions de résistance et de lutte des paysans de nos régions, nous pourrions vous parler longuement. Mais il nous faut d’abord mieux étudier notre propre histoire. Car celle-ci n’est pas, ou très mal, enseignée dans les écoles officielles. Il en est de même pour les langues de nos grands-parents, qui traduisaient, transmettaient et dessinaient pourtant une cosmovision et une sagesse humaine considérable.

Nous pourrions également vous parler de l’aliénation dans laquelle nous sommes plongés. La très grande majorité de nos concitoyens travaille et consomme dans le cadre d’un système économique, social et politique dont les mécanismes et les objectifs lui sont totalement étrangers. Ouvriers, agriculteurs, personnes âgées, migrants, techniciens, ingénieurs, administratifs, employés ou cadre du commerce, chercheurs, en activité ou à la recherche d’un emploi, tous et toutes dépendent pour manger, se loger, se vêtir, se soigner, d’un salaire, de subsides ou d’aumônes décidés par quelques poignées de dirigeants et « militants » des partis politiques soumis aux logiques gestionnaires du système dominant, à la solde des actionnaires du capital et de l’État qui les sert. Or, nous savons que ce système est partie prenante, un peu partout dans le monde, et par exemple au Mexique, de la guerre d’extermination menée contre vous. Les véhicules blindés de Panhard, les hélicoptères militaires d’Eurocopter, le matériel de chantier Caterpillar, les conseillers des corps « d’élite » de la police française sont au Mexique pour permettre l’exploitation de sites écotouristiques, énergétiques (pétrole, biocarburants, éolien industriel) et miniers, pour vendre les matériels militaires et les services des entreprises de construction, énormes créateurs d’emplois dans notre pays. Des emplois que nous ne défendons pas. La vraie vie est ailleurs, écrivait le poète.

La consommation effrénée d’objets parfaitement inutiles — mais dont il semble impossible de se passer —, la connexion permanente, par l’électronique et l’informatique, à un réseau inextricable, où l’on ne sait plus qui regarde et qui surveille, qui masque en grande partie l’étendue du désastre qui nous touche : la perte de toute autonomie collective et individuelle, car nous ne savons plus comment nous nourrir proprement, nous soigner et nous loger dignement toutes et tous, comment vivre ensemble une existence libre et heureuse. Nous vivons dans une profonde amnésie, la soumission et le renoncement à cette existence. Or, nous savons qu’il est possible, à partir de la défense et la reconstruction de nos territoires, de retrouver une telle vie.

Que voulons-nous ?

Par ce courrier, nous souhaitons nous adresser non seulement à vous, mais aussi à tou·te·s celles et ceux qui nous liront, pour joindre notre voix à un appel plus vaste et plus puissant : organisons-nous, partout où nous le pouvons, pour déserter le système de production et de consommation du capitalisme. Emparons-nous des moyens de production — en premier lieu de la terre —, et construisons, ces petits, moyens ou grands îlots, ou bien ces radeaux et ces barques dont vous avez parlé, qui iront à la rencontre les uns des autres, pour reconstruire les mondes que nous voulons.

Comment vous voyons-nous ?

Certains d’entre nous avons eu l’occasion de vous rendre visite. D’autres vous connaissent à travers vos écrits, des témoignages ou des films documentaires réalisés par vos promoteurs de communication. Nous avons également organisé la visite de Tata Juan Chávez Alonso dans notre région, à l’automne 2008.

La résistance des peuples, tribus et nations indigènes du Mexique, et particulièrement au Chiapas, nous parle et nous stimule. Elle nous tend, comme vous l’avez dit, un miroir, dans lequel nous parvenons à nous reconnaître.

Vous êtes en train de montrer à l’ensemble de l’humanité qu’il est possible de résister à la « fatalité » du développement capitaliste et industriel, à la guerre d’extermination qu’il mène contre vous, peuples primordiaux (comme disait André Aubry), mais aussi contre nous tous, quel que soit le degré du prétendu développement dans lequel nous nous trouvons en fait profondément aliénés.

Vous êtes parvenus, au fil des siècles et malgré une oppression cruelle et implacable, à conserver précieusement les valeurs qui vous ont permis, voilà bientôt vingt ans, de vous lever ensemble et de porter un sérieux coup d’arrêt à l’anéantissement qui vous menaçait, et vous menace encore aujourd’hui. Ces valeurs, telles que nous les comprenons, sont la connaissance, le respect et l’amour du vivant, de la Terre-Mère, de l’humain dans sa totalité. Elles incluent le sens de la dignité, de l’autonomie collective, de la justice et la solidarité, de la véritable démocratie, celle qui vous a fait choisir l’autogouvernement, sur le mode de l’horizontalité et du « commander en obéissant ». Elles s’appuient sur la pratique de la rotation des responsabilités, du partage des tâches, des travaux collectifs. Elles reposent solidement sur votre mémoire, sur le savoir de vos grands-mères et grands-pères, sur vos fêtes et votre attachement à la « bonne vie ».

Votre pratique politique, rejetant les partis institutionnels et les systèmes électoraux trompeurs, cherchant à écouter les autres groupes et catégories sociales opprimés par le capitalisme et le néolibéralisme, et à construire avec eux, « en bas et à gauche », les bases d’une reconstruction nationale et internationale, à travers ce que vous avez appelé la Sexta, l’obstination réfléchie et persistante de votre engagement, alors que vous devez affronter la sale guerre de la militarisation et la paramilitarisation, nous impressionne beaucoup.

Qu’attendons-nous de vous ?

Nous attendons beaucoup de la construction de l’autonomie dans vos territoires. Votre organisation, les assemblées et le partage des responsabilités dans les communautés, au niveau des municipios autonomes, des Conseils de bon gouvernement, vos expériences de commerce et d’échange alternatifs (nous participons au réseau d’achat du café de la coopérative Yach’il), vos écoles primaires et secondaires rebelles et autonomes (et bien sûr l’Université de la Terre), votre reconstruction d’un système de santé, de justice, etc., propres, votre lutte contre toutes les injustices, l’arbitraire, les emprisonnements, votre maîtrise collective des formes de luttes, nous intéressent vivement. Mais nous attendons aussi de nous-mêmes, de nos voisins, d’autres groupes ici en France, et ailleurs. Car il nous faut réapprendre à bien travailler la terre (nous aimerions par exemple mieux connaître la culture du maïs), avec le moins possible de machines et de pétrole, à vivre avec les animaux, réduire les consommations inutiles, retrouver une autonomie énergétique... Et, bien sûr, nous devons apprendre à vivre, nous organiser et décider ensemble de façon solidaire, harmonieuse et horizontale, sur notre terre commune mais aussi avec d’autres groupes et collectifs. Cela en dehors, et contre s’il le faut — nous savons qu’il le faudra toujours plus — les appareils de l’État, du capitalisme, de la multitude d’institutions à leur service.

Quelques mots pour la route...

Nous nous sentons certes bien minuscules, à côté de vous qui vous dites « les plus petits »... Mais nous souhaitons tenter de développer et maintenir avec vous quelques relations et échanges dans divers domaines. Il est par exemple une expérience que nous souhaiterions discuter avec vous, avec celles et ceux qui partagent ces valeurs et luttes qui nous rassemblent : il s’agit de l’emprise sur nos vies de la « technique » et de la « science », de la « machine » (mécanique, motorisée, électronique, informatique) et de ses impératifs. Cette spirale est extrêmement négative à nos yeux, aucune technique ne pouvant être déclarée « neutre », dès lors qu’elle est hétéronome, c’est-à-dire que les membres d’une société ne sont pas en état de la maîtriser totalement, ou le plus complètement possible. Avec la dépossession et l’aliénation, elle représente un péril grave de dépendance, de surveillance généralisée, de contrôle de nos faits et gestes, de manipulation artificialisation et déshumanisation du vivant. Ensemble, nous pouvons envisager de nous dégager de cette emprise.

Voilà ce que nous voulions vous dire.
En attendant peut-être de nous rencontrer, ici ou là,
recevez,
compañeras et compañeros, les salutations fraternelles
des habitant·e·s de la terre commune de La Fontié, France.

Messages

  • Olaa !!

    J’aimerais pouvoir contribuer moi aussi à un mouvement qui pourrait faire changer les choses en les améliorant de manière positive et constructive pour un monde meilleur ! je souffre chaque jour de ce qu’il ne fond pas subir à notre magnifique terre-mere, à nous en tant qu’être humain libre et ego, toutes cettes manipulations des élites, le formatage depuis notre enfance etc.je DIT STOP ! J’en ai souvent le souffle coupé... et puis tous s’accélèrent avec la future mise en place du nouvel ordre mondial et le chaos qui se dessine depuis de nombreuses années et qui arrive à grande vitesse ... La plupart des gens ne fondent rien :(
    Je veux me rendre utile, rejoindre un mouvement et m’y investir . Voilà pourquoi je me tourne vers vous car ici en France je n’ai pas trouvé de mouvement résistant ou militant avec les mêmes idées que moi pourriez-vous m’éclairer ?

  • voici un certain temps que je suie votre histoire et évolution.
    L’alternative que vous proposez m’apparait solide et fondée d’un sens profond : vivre autrement de manière collective , « démocratique ».
    Je fais encore partie du système imposé par la société dans laquelle je suis née.
    Aujourd’hui j’ai envie de vivre et etre « autre chose » qu’un numéro.
    Militante dans diverses associations mais aussi professionnellement parlant, je me rends compte, tristement, que mon énergie est mal employée voir utilisée à mauvais escient.
    J’aimerais vous rencontrer afin de comprendre et découvrir votre lieu de vie, ses possibles, connections et résaux .
    j’aimerai savoir comment les choses se sont construites, comment la communauté c’est crée etc..... merci par avance. Je peux aussi ma déplacer et venir échanger.

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