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Première Rencontre intercontinentale pour l’humanité
et contre le néolibéralisme

Derrière nous-mêmes, nous sommes vous autres

Paroles de bienvenue de la major insurgée Ana María

dimanche 1er janvier 2012, par Ana María, EZLN (Date de rédaction antérieure : 27 juillet 1996).

Aguascalientes II, Oventic, San Andrés Sacamch’en de los Pobres, Chiapas, Mexique.
27 juillet 1996.

Frères et sœurs d’Asie, d’Afrique, d’Océanie, d’Europe et d’Amérique,
bienvenue dans les montagnes du Sud-Est mexicain.

Nous voulons nous présenter. Nous sommes l’Armée zapatiste de libération nationale. Pendant des années, nous avons vécu dans ces montagnes, nous préparant à la guerre. Dans ces montagnes, nous avons construit une armée.

En bas, dans les villes et les exploitations agricoles, nous n’existions pas. Nos vies valaient moins que les machines ou le bétail. Nous étions comme les pierres, comme les plantes du bord des chemins. Nous n’avions pas la parole. Nous n’avions pas de visage. Nous n’avions pas de nom. Nous n’avions pas de futur. Nous n’existions pas.

Pour le pouvoir, qui, dans le monde entier, s’habille du nom de “néolibéralisme”, nous ne comptions pas, nous ne produisions pas, nous ne consommions pas, nous ne vendions pas. Nous étions un chiffre inutile pour les comptes du grand capital.

Alors, nous sommes allés dans la montagne pour nous chercher et pour voir si nous trouvions un remède à notre douleur d’être pierres et plantes oubliées.

Ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, vivent nos morts. Ils savent beaucoup de choses, nos morts qui vivent dans les montagnes. Leur mort nous a parlé, et nous avons écouté. Des petites boîtes qui parlent nous ont raconté une autre histoire, qui vient d’hier et va vers demain. La montagne nous a parlé à nous, les macehualob, les gens communs et ordinaires. Les gens simples, comme disent les puissants.

Tous les jours, et toutes les nuits que les jours traînent derrière eux, le puissant veut nous danser le x-tol et répéter sa brutale conquête. Le ka-dzul, l’homme faux, gouverne cette terre et possède de grandes machines de guerre qui, comme le boob, qui est moitié puma et moitié cheval, apportent la douleur et la mort parmi nous. Fourbe, le gouvernement nous envoie les aluxob, les menteurs qui trompent nos populations et leur offre l’oubli.

C’est pour cela que nous nous sommes faits soldats. C’est pour cela que nous continuerons d’être soldats. Parce que nous ne voulons plus de la mort et de la tromperie pour les nôtres, parce que nous ne voulons plus l’oubli.

La montagne nous a dit de prendre les armes pour avoir une voix, de nous couvrir la face pour avoir des visages, d’oublier nos noms pour être nommés, de garder notre passé pour avoir un avenir.

Dans la montagne vivent les morts, nos morts.

Avec eux vivent le votán et le ik’al, la lumière et l’obscurité, l’humide et le sec, la terre et le vent, la pluie et le feu. La montagne est la maison du halach uinic, l’homme vrai, le grand chef. Là nous avons appris, là nous nous sommes souvenus de qui nous étions, des hommes et des femmes vrais.

Et, avec la voix armant nos mains, avec le visage né à nouveau, avec notre nom nommé à nouveau, le passé a réuni le centre aux quatre extrémités de Chan Santa Cruz dans le balam ná, et l’étoile est née qui définit l’homme et qui rappelle que les parties qui constituent le monde sont au nombre de cinq.

Quand les chaacob à cheval répartissaient les pluies, nous sommes descendus à nouveau pour parler avec les nôtres et préparer la tourmente qui allait signaler le temps des semences. Nous avons fait naître la guerre avec l’année et nous avons commencé à suivre ce chemin, qui nous a conduits à vos cœurs mêmes, et aujourd’hui je vous apporte même nos cœurs.

Nous sommes cela :

L’Armée zapatiste de libération nationale.
La voix qui s’arme pour se faire entendre,
Le visage qui se cache pour se montrer,
Le nom que l’on tait pour le nommer,
L’étoile rouge qui appelle l’homme et le monde pour qu’ils écoutent, pour qu’ils voient, pour qu’ils nomment,
L’avenir qui se récolte dans le passé.

Derrière nos visages noirs, derrière nos voix armées, derrière nos noms innommables, derrière nous, que vous voyez, nous sommes vous. Derrière nous sommes des hommes et des femmes simples et ordinaires, de ceux qui se retrouvent dans toutes les races, qui ont toutes les couleurs, qui parlent toutes les langues et qui vivent en tous les lieux. Les mêmes hommes et femmes oubliés, les mêmes exclus, les mêmes intolérables, les mêmes persécutés.

Nous sommes vous-mêmes.
Derrière nous-mêmes, nous sommes vous autres.

Derrière nos passe-montagne se trouve le visage de toutes les femmes exclues. De toutes les Indiennes oubliées. De tous les homosexuels persécutés. De tous les jeunes méprisés. De tous les immigrants battus. De tous les emprisonnés pour leurs paroles et leurs pensées. De tous les travailleurs humiliés. De tous les morts d’oubli. De tous les hommes et toutes les femmes simples et ordinaires, qui ne parlent pas, qui ne sont pas vus, qui ne sont pas nommés, qui n’ont pas d’avenir.

Frères et sœurs, nous vous avons invités à cette Rencontre pour venir vous chercher, pour venir vous trouver, pour venir nous rencontrer. Vous tous êtes arrivés jusqu’à notre cœur et vous voyez bien que nous ne sommes pas extraordinaires. Nous sommes des hommes et des femmes simples et ordinaires. Vous voyez bien que nous sommes le miroir rebelle qui veut être de verre et se rompre. Vous voyez bien que nous sommes ce que nous sommes pour cesser d’être ce que nous sommes, pour être les vous autres que nous sommes. Nous sommes les zapatistes. Nous vous invitons à nous écouter et à nous parler. Pour voir tout les tous que nous sommes.

Frères et sœurs, dans la montagne, les petites boîtes parlantes nous ont parlé et nous ont raconté des histoires antiques qui se souviennent de nos douleurs et de nos rébellions. Ils ne détruiront pas les rêves où nous vivons. Notre bannière ne se rendra pas. Notre mort vivra toujours.

Voilà ce que disent les montagnes qui nous parlent. Voilà comment brille l’étoile de Chan Santa Cruz. Elle nous dit que les cruzob, les rebelles, ne seront pas vaincus et poursuivront leur chemin aux côtés de tous ceux qui sont dans l’étoile humaine. Elle nous dit que toujours viendront des hommes rouges, les chachac-mac, l’étoile rouge qui aidera le monde à être libre. Voilà ce que dit l’étoile qui est dans la montagne.

Qu’un peuple qui est cinq peuples, qu’un peuple qui est l’étoile de tous les peuples, qu’un peuple qui est homme et qui est tous les peuples du monde viendra aider dans leur lutte les mondes qui se font humains. Pour que l’homme et la femme véritables vivent sans douleur et que les pierres soient moins dures.

Vous êtes tous des chachac-mac, ceux qui viennent aider l’homme que l’on trouve dans les cinq parties du monde, dans tous les peuples. Vous êtes tous l’étoile rouge qui se reflète dans le miroir que nous sommes. Nous pourrons continuer notre chemin si les vous autres que nous sommes marchent à nos côtés.

Frères et sœurs, dans nos villages, les vieux sages ont mis une croix, qui est une étoile, là où naît l’eau qui donne la vie. C’est ainsi que l’on marque le début de la vie dans les montagnes, par une étoile. C’est ainsi que naissent les ruisseaux qui descendent des montagnes et portent la voix parlante de notre Chan Santa Cruz.

La voix de la montagne a parlé et elle a dit qu’allaient vivre libres les hommes et les femmes véritables quand ils seront les tous que promet l’étoile à cinq pointes. Quand les cinq peuples se feront un dans l’étoile. Quand les cinq parties de l’homme qu’est le monde se rencontreront et rencontreront les autres. Quand les tous qui sont cinq trouveront leur place et la place de l’autre.

Aujourd’hui, des milliers de chemins, qui viennent des cinq continents se rencontrent ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, pour joindre leurs pas.

Aujourd’hui, des milliers de paroles des cinq continents se taisent ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, pour s’écouter les unes les autres, et pour s’écouter elles-mêmes.

Aujourd’hui, des milliers de luttes des cinq continents combattent ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, pour la vie et contre la mort.

Aujourd’hui, des milliers de couleurs des cinq continents se montrent ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, pour annoncer un avenir sans exclusion, un avenir de tolérance.

Aujourd’hui, des milliers de cœurs des cinq continents vivent ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, pour l’humanité et contre le néolibéralisme.

Aujourd’hui, des milliers d’êtres humains des cinq continents crient ici leur ¡Ya basta !, ici dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Ils crient “¡Ya basta !”, assez de conformisme, d’inaction, de cynisme, d’égoïsme, devenus dieux modernes.

Aujourd’hui, des milliers de petits mondes des cinq continents tentent ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, de commencer la construction d’un monde nouveau et bon, c’est-à-dire un monde où tous aient leur place.

Aujourd’hui, des milliers d’hommes et de femmes des cinq continents commencent ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, la Première Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme.

Frères et sœurs du monde entier, bienvenue dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Bienvenue dans ce petit coin du monde où nous sommes tous égaux parce que nous sommes différents. Bienvenue à la recherche de la vie, dans la lutte contre la mort. Bienvenue à la Première Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme.

Frères et sœurs d’Italie, d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, du Danemark, de France, de Grèce, de Norvège, de Suisse, des États-Unis, du Canada, d’Australie, du Brésil, du Chili, du Pérou, d’Uruguay, du Venezuela, de Colombie, du Nicaragua, d’Haïti, du Japon, du Costa Rica, de Hollande, d’Espagne, du Pays basque, de Catalogne, des Canaries, de Porto Rico, de Mauritanie, de Grande-Bretagne, des Philippines, d’Argentine, du Guatemala, d’Iran, d’Équateur, du Turkestan, de Cuba, d’Afrique du Sud, du Portugal, de Turquie, de Bolivie, du Mexique.

Frères et sœurs des cinq continents, au nom des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards zapatistes, au nom des indigènes de l’Armée zapatiste de libération nationale, au nom de la dignité rebelle, au nom du Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale, je déclare formellement ouverte cette Première Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme.

Il est 11 h 28, heure du Sud-Est, nous sommes le 27 juillet 1996. Ici, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, lieu de résistance contre la stupidité et petit coin de dignité humaine.

Démocratie ! Liberté ! Justice !

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Comité clandestin révolutionnaire indigène,
Commandement général de l’EZLN.

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