la voie du jaguar

informations et correspondance pour l’autonomie individuelle et collective


Accueil > essais et documents > réflexions et analyses > La guerre de conquête qui frappe les campagnes mexicaines

La guerre de conquête qui frappe les campagnes mexicaines

jeudi 29 mars 2007, par SCI Marcos

Cinq siècles plus tard...
Une nouvelle mise à sac

Avant toute chose, permettez-moi de commencer cet exposé en remerciant les compañeros et les compañeras du Centre d’analyse politique et de recherches sociales et économiques (plus connus par les zapatistes sous le nom de Capise) et tous ceux qui ont rendu possible l’organisation de cette table ronde - table ronde qui est, qui l’eût cru, carrée (ou rectangulaire, selon le cas ou la chose, c’est selon). Nous remercions également le Cideci et le docteur Raymundo Sánchez Barraza de leur habituelle hospitalité dans ces locaux qu’ils parviennent contre vents et marées à maintenir en activité, comme alternative éducative et écologique.

En tant qu’EZLN, nous avons été invités à cette sorte de nouveau départ dans la deuxième étape de notre participation directe à l’Autre Campagne pour prendre part aux débats sur le thème « la guerre de conquête qui frappe les campagnes mexicaines ».

Pour mieux comprendre notre position en cette matière, il faut d’abord évoquer...

Quelques réflexions préalables :

A. Sur la guerre néolibérale

1. Dans l’un de ces textes qui permettent aux zapatistes de dire « désolé d’avoir à vous dire que je vous l’avais dit, mais je vous l’avais bien dit » et intitulé Sept pièces du puzzle mondial, écrit il y a bientôt sept ans (juin 1997), nous avions décrit dans les grandes lignes le chemin que suivrait, et suit, le capitalisme dans sa phase actuelle. À l’époque, nous l’avions défini comme un sentier de la guerre, de guerre de conquête, une guerre mondiale, la quatrième, totalement totale. Une guerre qui dépassait toutes les autres en brutalité mais qui renouait cependant avec la conduite d’une guerre de conquête classique : détruire et dépeupler pour ensuite reconstruire et repeupler.

2. La phase dans laquelle se trouve actuellement le capitalisme est, au sens strict, une nouvelle guerre de conquête. La Quatrième Guerre mondiale, une guerre en tout lieu, à tout instant, sous toutes les formes. La plus mondiale des guerres. Le monde se trouve ainsi redécouvert mille et une fois, à tout bout de champ, chaque fois que le nouveau dieu, le marché, transforme en marchandise des biens autrefois négligés ou qui demeuraient hors du circuit mercantile.

3. De sorte que l’eau, l’air, la terre, les biens que contient le sous-sol, les codes génétiques et toutes ces « choses » qui étaient auparavant inconnues ou qui n’avaient aucune valeur d’usage et d’échange ont été transformés, au cours des vertigineuses dernières années, en marchandise.

Un bon exemple pour illustrer ces propos, ce sont les nappes phréatiques et les sources que les indigènes zapatistes essaient de protéger dans le campement qu’ils ont installé sur la colline de Huitepec, dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Une entreprise multinationale qui met en bouteille une boisson de cola rafraîchissante bien connue (je demande votre attention), extrait du liquide de ses sources et nappes phréatiques, et le transforme en marchandise.

En échange des grands profits que cette compagnie en obtient, l’orgueilleuse et superbe Jovel ne reçoit rien d’autre que la saturation de son paysage par l’irritant drapeau bicolore rouge et blanc du logotype de l’entreprise en question, ondulant fièrement au vent.

4. La marchandise qui reste inchangée en dépit des bouleversements et des progrès technologiques et informatiques, c’est la force de travail : les travailleuses et les travailleurs de la campagne et de la ville. Le songe capitaliste d’un monde sans travailleurs, uniquement avec des robots et des machines qui ne vont pas exiger leurs droits ni se syndicaliser ni faire grève, n’est que cela : un songe. Un autre monde sera possible, mais sur le cadavre du capitalisme comme système dominant.

5. La mondialisation du capital a aboli les frontières nationales et réaménagé le monde. C’est maintenant la logique du marché qui détermine les relations internationales et les relations à l’intérieur des États-nations moribonds.

6. Sous une apparence innocente, la logique du marché cache la logique de l’exploitation, de la spoliation, de la répression et du mépris, c’est-à-dire la logique du capitalisme. En dehors des doux rêves que chantait Chava Flores, c’est-à-dire à part la loterie nationale, le melate et autres friandises, il n’existe pas de richesse propre et innocente dans ce système. La richesse capitaliste repose sur le vol et sur l’exploitation.

7. La révolution technologique et informatique entraînait avec elle la possibilité de la simultanéité et de l’omniprésence du capital, essentiellement de son secteur le plus représentatif : le capital financier.

8. Dans la Mondialisation économique capitaliste, autrement dit, dans la Quatrième Guerre mondiale, « l’ennemi » est la planète elle-même. Non seulement la plupart de ses habitants, mais aussi tout ce qu’elle contient : la nature. Ne vous étonnez pas que cela ressemble à s’y méprendre à un but marqué contre son propre camp, la stupidité est la dame de compagnie de la convoitise capitaliste. Dans cette guerre, la « nation » qui est l’agresseur est multinationale ou, comme diraient les classiques, transnationale.

9. L’impérialisme peut fort bien avoir changé de façon de faire la guerre, mais son maître continue d’être le capital, et son empereur nommé à vie, le capital financier, poursuit sa politique de caméléon dans la Bourse des valeurs.

La liste publiée dans le magazine Forbes égrène les noms des personnes censées être les plus riches de la planète, mais elle oublie systématiquement de nommer ce que nous avons appelé « La Société du Pouvoir », un petit groupe de patrons d’industries, de commerces, de banques et d’entreprise de tourisme.

Ainsi les Bill Gates et Carlos Slim, pour ne nommer qu’eux, croient qu’ils sont parmi les plus riches de ce monde et la « Société du Pouvoir » fait mine d’y croire aussi. Pendant ce temps-là, 53 compagnies qui ont leur siège aux USA ont obtenu, il y a sept ans, 40 % des gains au niveau mondial. Ces entreprises américaines, ainsi que d’autres basées en Allemagne, en Corée du Sud, en France, en Italie, au Japon, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse, ont obtenu à elles seules 90 % des profits mondiaux. 193 compagnies qui ont leur siège social dans ces divers pays ont gagné plus de 225 milliards de dollars sur les 250 milliards constituant les profits mondiaux en 1997.

Monsieur « Coca-Cola » n’existe pas, aussi ne figure-t-il pas sur la liste des personnes les plus riches. Pas plus que Monsieur « Wall Mart », Monsieur « Ford », Monsieur « Chrysler », Monsieur « General Motors », Monsieur « HSBC », Monsieur « Santander », Monsieur « Monsanto », etc.

10. Le territoire qui appartenait au camp socialiste ayant été « conquis » lors de la Troisième Guerre mondiale, le capitalisme tourne ses serres pleines de sang vers les pays pauvres qui regorgent d’abondantes ressources naturelles : Afrique, Amérique latine, Asie et Moyen-Orient. Ces régions du monde se sont spécialisées dans la production des deux choses, à savoir : la possession d’abondantes ressources naturelles et une désormais légendaire très grosse production de pauvres.

11. Les peuples originels à l’échelle mondiale (ce qui représente plus de 300 millions de personnes) vivent dans des zones recelant 60 % des ressources naturelles de notre planète. La reconquête de ces territoires est l’un des objectifs principaux de la guerre capitaliste.

12. L’Amérique latine est d’ores et déjà l’un des nouveaux théâtres de cette guerre de conquête, ce qui fait que les peuples indiens d’Amérique joueront, comme il y a cinq cents ans, un rôle primordial dans la résistance. Mais la bataille qu’ils livrent s’achèvera par une défaite définitive s’ils ne s’allient pas avec les travailleurs des campagnes et des villes, ainsi qu’avec ces nouveaux sujets qui ont leur propre identité, c’est-à-dire qui sont différents : les femmes, les jeunes et les « autres amours ». Ces trois secteurs de la société, bien qu’ils puissent être et sont incorporés à une classe, possèdent pourtant leur identité propre, différentes de celle des autres, et construisent bien souvent leur propre identité, mais pas toujours, dans la culture.

B. Sur la politique d’en haut dans le cadre de la mondialisation

1. Dans cette guerre de conquête, les corps expéditionnaires présents dans la plupart des pays d’Amérique latine sont leur propre gouvernement et la classe politique. À l’exception de Cuba, de la croissante rébellion du Venezuela et de la spécificité encore à définir de la Bolivie, les gouvernements des pays de l’Amérique latine se sont tous convertis, toutes idéologies confondues, en capitaines de reconquête des territoires qui avaient vu s’épanouir les civilisations des peuples originels de ces terres.

2. Les gouvernements nationaux ne sont aujourd’hui manifestement rien de plus que de simples gérants aux ordres de leur patron. Or un gérant, c’est avant tout un contremaître.

3. Le marché national à l’agonie, avec lui agonise aussi tout ce qu’il colportait : la classe politique traditionnelle, la classe moyenne, la pensée critique, le corporatisme, les grandes centrales syndicales ouvrières et paysannes, l’autonomie relative des institutions éducatives, de la recherche scientifique, de la culture et de l’art, les liens communautaires, le tissu social, la sécurité sociale, la sécurité des personnes et la démocratie parlementaire.

4. La dénommée « classe moyenne » dont l’épanouissement alla de pair avec les États-nations et qui devint son pilier social, idéologique et politique, est aujourd’hui totalement désemparée (au Mexique, du moins) et, malgré ses aspirations à un changement paisible qui lui redonne sa prospérité et sa tranquillité, elle assiste avec désespoir à une destruction qui s’étend à son ancienne forteresse et tour d’ivoire, la famille.

5. Étant donné les logiques actuelles qui président aux travaux politiques, là-haut, il n’y a rien à faire. L’enthousiasme de certains secteurs plus ou moins éclairés qui parient sur un « changement sans rupture » est voué à l’échec et à souffrir plus d’une cruelle désillusion et crise de conscience.

6. Le chemin de la Liberté n’est pas une autoroute à péage sur laquelle circuleraient les « masses » menées par une élite de dirigeants et d’illuminés. Non, le chemin qui nous rendra libres n’est même pas encore tracé. Il est construit par les sans-nom et les sans-visage qui explorent avec leurs luttes toutes les voies jusqu’à ce qu’ils arrivent là où ils veulent en arriver.

C. Sur les moyens de communication

1. Si auparavant l’armée, la police, le bataillon Olympia, les « Faucons » ou les gardes blanches incarnaient les inhibiteurs de la lutte démocratique et sociale, aujourd’hui ce sont les grands moyens de communication informatisés.

2. Les mass media sont en même temps ministère public, jury artistique, chaire flamboyante pas toujours laïque, cabinet extra-officiel, police plénipotentiaire, juge expert à condamner ceux d’en bas et à absoudre ceux d’en haut... Oh ! Et puis, parfois ils sont même amusants.

3. Wag the dog [1] est une expression propre à la langue anglaise qui signifie quelque chose comme « remuer le chien par la queue » (restez attentifs, s’il vous plaît, sinon c’est incompréhensible). C’est la suprême aptitude à la manipulation médiatique. Actualités, tables rondes d’experts, commentaires et colonnes des rubriques politiques ont tous pour objectif de « remuer le chien par la queue », c’est-à-dire « faire en sorte que les choses arrivent », mais en partant d’un mensonge.

Voilà la nouvelle « habileté » des médias électroniques. De même qu’ils font « disparaître » des réalités et des mouvements en les ignorant ou en les diffamant (des exemples récents : San Salvador Atenco, le mouvement de l’APPO dans l’Oaxaca, la mobilisation citoyenne contre la fraude électorale du 2 juillet 2006), de même ils peuvent « créer » des simulacres médiatiques sans aucun fondement réel. Autrement dit, ils créent des mythes postmodernes.

Exemples de mythes créés, crus et diffusés par les moyens de communication :

Mythes politiques : le gouvernement de Felipe Calderón Hinojosa est fort, légitime et légal et veille au bien-être de tous les Mexicains ; le PRD est un parti de gauche ; le PAN est le parti du « renouveau culturel » ; le PRI est un parti politique.

Mythes sportifs : l’équipe de foot nationale du Mexique possède une qualité footballistique de niveau international ; les World Series du base-ball gringo sont une compétition mondiale ; la tenue des Jaguars du Chiapas a une belle couleur.

Mythes militaires : l’armée fédérale existe pour protéger la souveraineté nationale ; la vieille femme indigène qui a été violée par les soldats dans la Sierra de Zongolica, au Veracruz, est morte de gastrite aiguë et non de viol ; l’armée combat le narcotrafic.

Mythes policiers : les attaques lancées par le gouvernement du DF contre le noble quartier de Tepito ont pour objectif d’en finir avec la délinquance et non de favoriser l’installation de centres commerciaux ; la police empêche les délits d’être commis ; l’AFI combat le crime organisé.

Mythes des spectacles : Britney Spears souffre dans le programme de désintoxication auquel elle s’est soumise ; RBD est un groupe de musique.

Mythes culturels : Conaculta est une institution qui promeut la culture et les arts ; le Congrès de l’Union mexicaine est réellement intéressé à la promotion du cinéma mexicain ; Sebastián est un sculpteur.

Mythes éducatifs : Elba Esther Gordillo est institutrice ; le Ceneval bénéficie à l’enseignement moyen et supérieur ; Josefina Vázquez Mota travaille à l’amélioration de l’enseignement au Mexique.

Mythes juridiques : la justice mexicaine est honnête, propre, impartiale et objective ; la Constitution est la loi suprême dans notre pays ; l’État de droit règne au Mexique.

Mythes économiques : les privatisations sont nécessaires et urgentes pour le bien de l’économie nationale ; les réformes de l’ISSSTE réussiront à le sauver ; la banque est utile à l’économie mondiale.

Mythes comiques : il existe une différence entre les nouvelles de la classe politique et les vignettes comiques des journaux.

Mythes religieux : Onésimo Cepeda est un évêque catholique.

Mythes éthiques : la position que l’on adoptera en ce qui concerne l’avortement sera une position en faveur de la vie ou en faveur de la mort.

Mythes historiques : Cuauhtémoc Cárdenas Solórzano a quelque chose du général Lázaro Cárdenas del Río (en plus du patronyme, je veux dire).

Mythes de l’information : Gutiérrez Vivó et Jacobo Zabludovski sont des représentants de la presse libre, indépendante et honnête ; Crónica est un journal ; Joaquín López Dóriga et Javier Alatorre sont des journalistes.

Mythe sexuel : le Sup Marcos a de belles jambes... (« Quii veeeeeeeeeeeut du riz au lait ? »)

D. Sur les campagnes mexicaines

1. Dans les campagnes mexicaines, et comme l’a brillamment et brièvement expliqué le compañero Rafael Alegría, de Vía Campesina au Honduras, le monde entier connaît un processus de destruction et de dépeuplement et, simultanément, de reconstruction et de repeuplement.

2. Le compañero Sergio Rodríguez Lazcano en dira plus long sur ce sujet...

(Note : suivit l’exposé de Sergio Rodríguez Lazcano.)

3. Trois exemples illustrant ce phénomène dans trois États gouvernés par les trois principaux partis politiques mexicains :

a. État de Sonora (gouverné par le PRI), les deux photos. Cela s’est passé alors que nous faisions route vers le territoire du peuple mayo, dans le Sonora. Sur le bord de la chaussée, un gigantesque panneau publicitaire proclamait : « Le gouvernement du Sonora tient parole : avec la création d’emplois. » Une dizaine de mètres plus loin derrière le panneau gisait une vieille usine décrépite, rongée par la rouille.

Autre cliché. Dans une communauté indigène mayo, un des dirigeants procède à la « lecture » d’une photo parue dans Ojarasca, supplément à La Jornada, et nous raconte l’histoire de la spoliation dont a été victime le peuple mayo. Une histoire qui se répète en territoire des Tohono O’Odham, des Seri ou Comc’ac, des Yaqui et des Pima.

b. État de San Luis Potosí (gouverné par le PAN), les hauts-plateaux du Potosí. « Une échelle », disaient les Autres habitants du Potosí, en montrant une carte où la végétation s’échelonnait de la Huasteca jusqu’au désert. « Oui, une échelle », avons-nous dit quand nous les avons écoutés raconter le déplacement de la population paysanne autochtone des hauts-plateaux et leur remplacement par des indigènes de la Huasteca, du Puebla et du Veracruz. On ne s’est pas contenté de changer la composition ethnique des habitants, mais aussi la possession de la terre. Là où il y avait auparavant des ejidos, maintenant il y a des latifundia. Là où il y avait auparavant des commissaires des biens de l’ejido, maintenant il y a des contremaîtres. Là où l’on produisait auparavant des aliments assurant la subsistance des habitants, maintenant on produit des migrants pour l’exportation.

c. État de Zacatecas (gouverné par le PRD). Dans la communauté de La Tesorera, une entreprise prête-nom appartenant à Ricardo Monreal, chantre de la démocratie membre du PRD et du FAP, qui avait cru pouvoir humilier les habitants, s’est heurtée à une chose dont elle ignorait l’existence : la dignité. Sur place, un membre de l’Autre Zacatecas nous racontait que dans un autre village l’émigration des habitants d’origine avait augmenté de manière significative, mais que, curieusement, le nombre d’habitants avait fait de même ! Ayant fait sa petite enquête, il a constaté que les habitants du Zacatecas se voyaient forcés d’émigrer aux USA parce qu’on leur ôtait leurs terres, par manque de subsides pour les paysans et à cause des bas salaires. Alors, des grands propriétaires occupaient leurs ejidos et la force de travail des habitants d’origine était à son tour remplacée par des contingents d’indigènes emmenés sur place pour y travailler comme péons, comme au temps de Porfirío. Dans le Zacatecas gouverné par le PRD, les deux tiers de la population d’origine vivent aujourd’hui aux USA !

Au Cerro de La Bufa, le musée créé pour commémorer la bataille de Zacatecas possède un exemplaire d’un journal de l’époque, sur lequel on peut lire que l’on ne tardera pas à écraser les « bandits » du général Villa. Quelques jours plus tard, les troupes de Villa s’emparaient de Zacatecas, la capitale.

4. En examinant dans le détail ce qui a été exposé à peu près correctement par Joao Pedro Stédile, par ce véritable ramasseur de la pluie de ceux d’en bas qu’est Eduardo Galeano et par les évêques réellement catholiques Don Pedro Casaldáliga et Don Thomas Balduino, on peut suivre les traces, souvent simultanées, de la guerre de conquête des campagnes mexicaines. Démantèlement de la politique sociale : ni crédits, ni aides, ni marché. Nouvelles réglementations qui abattent les « défenses » juridiques : réforme de l’article 27 de la Constitution, inflation galopante (des prix des produits et de la consommation), prospectives de niveau de vie, vulnérabilité juridique, vente ou spoliation, migration, réaménagement capitaliste du territoire, repeuplement.

5. Atenco et le FPDT, l’Oaxaca et l’APPO, le Chiapas et l’EZLN.

a. Atenco constitue un moment décisif dans la lutte pour la défense de la terre. Le courage de ses habitants ainsi que la participation intelligente et déterminée du Front des communes pour la défense de la terre, dont un des dirigeants est Ignacio del Valle (qui continue à ce jour d’être injustement emprisonné), permit d’obtenir l’une des victoires qui ont donné des ailes à la mobilisation paysanne en bas et à gauche. Atenco, ce n’est pas que la répression des 3 et 4 mai 2006, avec son cortège de violations des droits humains fondamentaux et l’agression systématique contre les femmes érigée en politique d’État. C’est aussi, et il est indispensable de ne pas l’oublier, la lutte victorieuse contre l’aéroport voulu par Vicente Fox et un mouvement qui s’est affronté à l’alliance formée par les divers gouvernements, des patrons, le clergé et les grands médias. Le peuple d’Atenco et le FPDT ont beaucoup à apprendre à toutes et à tous.

b. Le mouvement social en première ligne duquel se trouve l’APPO, dans l’Oaxaca, est lui aussi riche d’enseignements pour la lutte sociale. Même si les médias se sont arrangés pour faire croire que ce mouvement est resté essentiellement limité à la ville d’Oaxaca, la capitale, il a pourtant connu et connaît encore des moments brillants dans les zones rurales de l’État d’Oaxaca, où les peuples indiens ont mis en évidence leurs traditions de lutte et de résistance. Une grande leçon enseignée par le mouvement de l’APPO est son acharnement, sa capacité de récupération et la constance dont il fait preuve dans la poursuite de ses objectifs. Oaxaca, ce n’est donc pas uniquement la répression du 25 novembre et le solde d’actions illégales et d’arbitraire qu’il a laissé, c’est aussi et surtout l’organisation populaire autonome, sans la tutelle d’institutions ou de partis politiques, et la démocratie directe appliquée dans des circonstances très difficiles.

c. Dans le Chiapas de notre douleur et de nos espoirs, les communautés indigènes zapatistes démontrent qu’un autre monde est possible. Et aussi qu’il est possible de le construire à partir de la culture indigène, de sa conception de la terre et du territoire. « La Dignité », c’est ainsi que nous appelons ce mot, cette démarche, cette manière de vivre, c’est-à-dire de lutter.

Une légende toute récente raconte que dans la pénombre du petit matin, au plus profond des montagnes du Sud-Est mexicain, des hommes et des femmes à la peau brune n’ont le cœur habité que d’une seule crainte, celle de ne rien faire face à l’injustice. Los Vigilantes (les veilleurs, les vigilants), c’est le nom par lequel on désigne ces hommes et ces femmes. Ils constituent le noyau dur du Votán Zapata, gardien et cœur du peuple. Ce sont elles et eux qui veillent sur nous et nous accompagnent. Quelqu’un leur demande de quoi retourne toute cette histoire. Elles et eux répondent : « Il s’agit d’être meilleurs, de la seule façon dont il est possible de devenir meilleurs : collectivement. » Bien que ce ne soit qu’un murmure, la voix des Vigilantes est perçue comme un cri quand elle ajoute : « D’être dignes, tous et toutes, c’est de cela qu’il s’agit dans cette histoire. » Et moi, j’ajoute maintenant : « Une des voies qu’emprunte la dignité est celle que suit Vía Campesina dans le monde entier. »

Liberté et Justice pour Atenco !
Liberté et Justice pour l’Oaxaca !

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, mars 2007.

Traduit par Ángel Caído.

Notes

[1Il existe un film du même nom (en anglais), interprété notamment par Robert De Niro campant une sorte de « gorge profonde » et par Dustin Hoffmann dans le rôle d’un cinéaste bien allumé. Par-là passent toute une ribambelle de « seconds couteaux » recrutés pour jeter un « écran de fumée » (La cortina de humo étant d’ailleurs le titre du film en espagnol) sur certain scandale sexuel d’un président américain, en... déclenchant un faux conflit armé, qui n’existera que sur les écrans et que les médias s’empresseront de reprendre tous en chœur. Les images de guerre sont celles de « l’invasion » de l’île de la Grenade (NdT).

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

SPIP | Octopuce.fr | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0