la voie du jaguar

informations et correspondance pour l’autonomie individuelle et collective


Accueil > essais et documents > réflexions et analyses > La révolution mexicaine 1910-1920

La révolution mexicaine 1910-1920

2000, par Benjamín Cano Ruiz (Date de rédaction antérieure : novembre 1973).

Antécédents

Le processus de là révolution mexicaine présente des caractéristiques idéologiques difficiles à classer et très complexes, comme on peut le supposer d’un peuple sortant d’une longue période de colonialisme esclavagiste et qui a reçu l’impact des nouvelles idées d’émancipation et de justice projetées depuis l’Europe et reflétées ici par ses penseurs et sociologues les plus clairvoyants., Vers le milieu du XIXe siècle, les idées de Fourrier et Proudhon trouvèrent écho chez des personnes comme Ignacio Ramirez et Melchor Ocampo (ce dernier en vint à traduire quelques oeuvres de Proudhon), qui s’efforçaient de faire connaître ces idées au peuple pour ce qu’elles signifiaient d’espérance et de moyens vers la conquête de son émancipation intégrale. À l’opposé, le régime politique dans lequel le Mexique vivait, était pratiquement dictatorial, surtout depuis la mort de Benito Juárez, survenue en 1872, époque à laquelle la présidence de la République est occupée par Sebastián Lerdo de Tefada, élu pour la période 1873-1876, à la fin de laquelle il sera réélu. En 1884, le général Porfirio Díaz conquiert la présidence de la République pour la seconde fois et ne la quittera pas avant 1911, date à laquelle la Révolution le met en déroute. Ce gouvernement qui dura 30 ans vit se dérouler sept élections : 1877-1880 (de 1880 à 1884, le général Manuel González assuma la présidence), 1884-1888, 1888-1892, 1892-1896, 1896-1900, 1900-1904, 1904-1910, et en 1910, on le déclara élu pour la période 1910-1916. Durant ces trente ans, le gouvernement de Porfirio Díaz s’employa à « pacifier » la république en employant une poigne de fer contre le petit peuple, en aidant au développement matériel dans le but de fortifier les grands propriétaires et le clergé, et finalement, les grands capitalistes qui entreprenaient la formation d’une industrie débutante.

La révolution

En pleine domination porfiriste, le 7 août 1900, paraît le journal Regeneración fondé par Ricardo Flores Magón, dans lequel on combat la dictature porfiriste et propage des idées très proches des conceptions anarchistes et révolutionnaires. Le 30 du même mois, un groupe de libéraux, dirigés par l’ingénieur Camilo Arriaga, lance un manifeste pressant le peuple mexicain à former le Mouvement Libéral mexicain et dès lors, avec l’apparition des frères Flores Magón (parmi lesquels se distinguait Ricardo), de Praxedes Guerrero, Librado Rivera, et d’une pléiade de lutteurs, anarchistes, la lutte contre la dictature porfiriste ne connut plus de trêves ; les publications, les manifestes, les emprisonnements et les faits sanglants se succédèrent, tel le massacre de Cananea, où les sbires des compagnies minières de la région mirent à mort plus de cent travailleurs, ceux de Río Blanco et de Veracruz qui suscitèrent une haine croissante contre la tyrannie et un sentiment révolutionnaire chaque fois plus intense, qui allait en s’étendant dans tout le pays. Parallèlement à ce mouvement révolutionnaire, surgit un mouvement politique anti-porfiriste, dominé par Francisco I. Madero, qui, en 1908, publia un livre contre la réélection.

Le 4 octobre 1910, Porfirio Díaz est réélu président pour la période de 1910 à 1916. Madero lance le plan de San Luis (en date du 5 octobre) déclarant nulles... ces élections et proclamant la non-réélection comme loi suprême, en même temps qu’un appel aux armes, fixant au 20 novembre un soulèvement général. À cette date éclate la révolution à Puebla et à Chihuahua. En Basse-Californie, Ricardo Flores Magón se soulève et s’empare provisoirement de Mexicali. Six mois après le soulèvement du 20 novembre, Porfirio Díaz est vaincu.

On signe le 21 mai 1911 l’accord de Ciudad Juárez. Le vieux dictateur, maître absolu du Mexique durant trente ans, part pour l’Europe.

Madero entre à Mexico le 7 juin. Il est élu président en octobre et prend possession de ses fonctions le 6 novembre. En moins d’un an, la rébellion servit de tremplin à Madero pour s’élever jusqu’à la présidence. Madero, qui n’était pas un vrai révolutionnaire, mais un bourgeois libéral assez modéré et propriétaire terrien, s’engagea dans la tâche impossible de détruire la tradition gouvernementale porfiriste viciée, avec les éléments mêmes qui la composaient et qui en avaient profité. Et en réalité, même s’il avait appelé à son cabinet des ministres plus radicaux que ceux qu’il avait choisis, la situation n’aurait pas été substantiellement modifiée, car les nécessités étaient beaucoup plus profondes.

Madero n’ébaucha même pas les profonds changements que l’on espérait d’une révolution tant désirée et aux racines si radicales. Les révolutionnaires qui exigeaient l’accomplissement des demandes de la révolution pour ce qui était des véritables transformations sociales, finirent par prendre les armes.

C’est ainsi que le fit Emiliano Zapata dans le sud de la République et le 28 novembre 1911, il expédia le plan d’Ayala. De même, Pascual Orozco, dans le Nord, lança le 25 mars 1912 le plan de Chihuahua. Zapata, avec le drapeau Tierra y Libertad (Terre et Liberté), et en relations avec le mouvement magoniste (relations niées par quelques historiens), représentait le désir de la terre exprimé par les dépossédés tout au long de l’histoire mexicaine. Par héritage ancestral, sa famille était dépositaire des désirs revendicatifs des communautés indigènes de sa région et jouissait de l’adhésion quasi religieuse des multitudes paysannes du Sud.

Les réactionnaires se levèrent aussi contre Madero, et le général Bernardo Reyes se joignit à la révolte avec quelques éléments, confiant dans le fait que les partisans qu’il eut en d’autres temps le suivraient. Mais il échoua et se livra à Linares (Nuevo León), le 25 décembre 1911, et fut emmené à la capitale pour être enfermé dans la prison militaire de Santiago Tlaltelolco. De même, Félix Diaz, neveu du dictateur Porfirio Díaz, se souleva à Veracruz, le 16 octobre 1912, et au bout d’une semaine tomba au pouvoir du général Beltrán et fut transporté à la prison de Santiago Tlaltelolco. Pendant ce temps, en plein développement de la révolution, les éléments avancés des forces ouvrières de la capitale fondèrent, le 10 juillet 1912, la Maison de l’Ouvrier mondial, où se formèrent les célèbres bataillons rouges dans lesquels intervinrent quelques éléments anarchistes. Mais ni la Maison de l’Ouvrier mondial ni les bataillons rouges ne purent donner à la révolution une orientation proprement socialiste ou anarchiste.

La décade tragique

Après quinze mois de gouvernement madériste, les divers mouvements armés qui prétendaient radicaliser la révolution, et l’opposition constante des forces réactionnaires créèrent un climat propre à un soulèvement dans la ville même de Mexico. Le dimanche 9 février 1913, à l’aube, les forces d’artillerie de Tacubaya et les jeunes militaires de l’École des Aspirants de Tiaipan arrivèrent à la ville et ouvrirent les portes de la prison de Santiago Tlaltelolco aux généraux Bernardo Reyes et Félix Díaz qui, accompagnés de Manuel Mondragón, se dirigèrent vers le palais national, en pensant qu’il était déjà entre les mains des forces insurrectionnelles. Mais le général Lauro Villar, qui avait réussi à maintenir le palais en son pouvoir, reçut avec une décharge les insurgés qui avançaient sûrs et confiants sur la place de la Constitution. Le général Bernardo Reyes fut tué et ses alliés Félix Díaz et Manuel Mondragón fuirent et se réfugièrent dans la citadelle.

Alors commença la Décade tragique, épisode qui opposa durant dix jours les forces du gouvernement qui avaient comme centre d’opérations le Palais national et les forces réactionnaires qui s’étaient retranchées dans la citadelle. Le président Madero surveilla personnellement les opérations pour étouffer la rébellion et donna le commandement des troupes au général Victoriano Huerta qui avait déjà vaincu, le rebelle Pascual Orozco à la bataille historique de Bachimba. Mais Huerta trahissait le gouvernement et une semaine après, le 21 février, il faisait prisonnier le président Madero et le vice-président Pino Suárez qui, le jour suivant, sous prétexte qu’ils essayaient de fuir pendant leur transfert en prison, furent assassinés.

La révolte renaît

Après avoir assassiné Madero, le général Huerta s’empara de la présidence pour rétablir la vieille politique, implantant, une dictature de type porfiriste. Mais les assassinats de Madero et de Pino Suárez indignèrent et émurent le pays. Le 8 mai 1913, Ignacio L. Pasqueira, gouverneur de l’État de Sonora, renie Huerta, et nomme le général Alvaro Obregón, qui avait déjà ; combattu contre Pascual Orozco, chef de la section de guerre. Au même moment, Venustiano Carranza, ancien gouverneur de l’État de Coahuila, lance le 26 mars son plan de Guadalupe, en reniant aussi Huerta et en appelant le pays à prendre les armes, en même temps qu’il déclarait assumer la charge de premier chef de l’armée constitutionnaliste.

Alors commence une lutte féroce entre l’armée fédérale au service de Huerta et les divers contingents révolutionnaires, formés de la façon la plus bigarrée et la plus hétérogène. Voyant sa déroute imminente, Victoriano Huerta abdiquait le 15 juillet 1914 et quittait le pays. Durant cet inter-règne intervient le gouvernement des États-Unis, tout d’abord par l’intermédiaire de son ambassadeur à Mexico, Henry Lane, et ensuite, par désir express de Woodrow Wilson, récemment nommé président des États-Unis Henry Lane, ami personnel de Porfirio Díaz, qu’il connut dans la splendeur des fêtes du centenaire de l’indépendance était ennemi de la révolution et durant la Décade tragique, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour le triomphe de la cause de la réaction.

Woodrow Wilson voyait avec plus de sympathie le mouvement révolutionnaire et se déclara ennemi de Huerta. Il intervint alors dans la lutte en ordonnant l’occupation du port de Veracruz par les forces de la marine de guerre nord-américaine, dans le but d’empêcher que Huerta ne reçoive un chargement d’armes que lui apportait le bateau à vapeur allemand Ipiranga. Mais la réaction du peuple mexicain fut de refuser cette occupation et les forces nord-américaines rencontrèrent une résistance et entamèrent une lutte dans laquelle moururent quelques militaires et civils qui opposèrent une vaillante résistance à une occupation qui, finalement, eut lieu.

Les groupes révolutionnaires qui se multipliaient dans tout le pays, eurent trois principaux pôles d’attraction : Emiliano Zapata, Francisco Villa, et Venustiano Carranza.

Emiliano Zapata représentait les désirs de revendication agraire, généreux et qu’on ne pouvait facilement émouvoir, guidé par des idéaux un peu confus, mais avec de vigoureux principes libertaires et justicialistes, il se concentra dans la zone de l’État de Morelos, rendant propice de tous côtés la répartition de la terre aux paysans.

Francisco Villa, guérillero audacieux et téméraire, sans pitié et presque toujours brutal, qui mit une note d’agressivité et d’enthousiasme dans la lutte contre Huerta, ne faisait pas reposer son action sur des idéaux concrets et définis de justice sociale, mais la projetait principalement vers la vengeance contre les puissants qui maintenaient le peuple mexicain dans la misère et l’ignorance. Dans l’action de Villa, pleine de génie et de valeur, il manquait le désir qui s’ébauchait dans la lutte de Zapata. Venustiano Carranza, premier chef de l’armée constitutionnelle, homme énergique, put compter sur des collaborateurs capables pour planifier et établir un gouvernement. Avec quelques variantes, c’était le continuateur des idéaux démocratiques, libéraux et bourgeois de Madero. Quand, le 14 juillet 1914, Huerta renonçait et quittait le pays, la révolution avait triomphé pour la seconde fois. Il ne restait qu’à consolider ce triomphe cimenté par le sang.

Le manque d’idéaux à véritable contenu social et l’influence ancestrale de la politique de soumission au chef requerraient impérieusement une dictature pour stabiliser la révolution.

Lequel des trois chefs révolutionnaires assumerait cette dictature ?

Les luttes internes de la révolution

Même si la Convention convoquée par Carranza ne fut suivie d’aucun résultat positif, l’idée d’une convention prévalut et celle-ci fut à nouveau remise, mais cette fois-ci à Aguascalientes, dans la région contrôlée par Francisco Villa. Carranza craignant un mauvais tour de la part de Villa ne voulut pas y assister et la Convention résolut les problèmes du mieux qu’elle put, même si les problèmes restèrent sans résultat.

La Convention suspendit Carranza comme chef de l’exécutif, nommant à cette charge le général Eulalio Gutiérrez. Elle destitua Pancho Villa de sa fonction de chef de la fameuse Division du Nord, l’armée avec laquelle il réalisa ses exploits légendaires. Mais ces mesures ne menèrent à rien, et les deux Conventions qui continuèrent à fonctionner durant quelques mois réussirent seulement à prouver que la rivalité entre les trois chefs ne pourrait se régler que par la voix des armes.

En décembre 1914, le gouvernement de la Convention que coiffe Eulalio Gutiérrez arrive dans la ville de Mexico, et en janvier 1915, commencent les Campagnes de l’armée constitutionnaliste de Venustiano carranza pour récupérer le terrain perdu. La lutte reprend et les groupes révolutionnaires qui s’étaient dispersés dans tout le pays durant le bref laps de temps que dura la paix se trouvèrent dans l’alternative de s’unir avec Villa ou Carranza (les armées de Zapata, unies par un idéal plus défini, continuèrent toujours à soutenir le romantique général Suriano).

En juillet 1915, les forces carrancistes occupèrent Aguascalientes, San Luis Potosi, Zacatecas et Querétaro ; le 2 août, elles s’emparèrent de la ville de Mexico et en septembre de Saltitto et de Torreón. En octobre, Carranza transporte son gouvernement de Veracruz à Mexico, et le 19 du même mois, Woodrow Wilson, après avoir pris le pouls de la situation mexicaine par l’intermédiaire de ses agents personnels, reconnut le gouvernement de Carranza comme gouvernement de fait. Les principaux pays d’Amérique du Sud en firent autant au même moment.

Pour mettre fin à la lutte, les États-Unis, décrétèrent l’embargo sur les armes à destination du Mexique avec toutefois une exception pour celles destinées au gouvernement reconnu. Dans ces conditions, la situation de Villa empira de semaine en semaine.

En octobre, il perd le port de Guaymas, en novembre, il est repoussé à Agua Prieta et à Hermosillo et battu à San Jacinto (province de Sonora). En janvier 1916, désespéré et sans possibilité de triompher, Villa est une bête sauvage, cernée et enragée. Il accuse, non sans raisons, les États-Unis d’avoir contribué en grande partie à cette situation désastreuse, il veut se venger et en janvier 1916, il arrête un train dans la gare de Santa Isabel (Chihuahua) et fusille quinze Nord-Américains qui s’y trouvent ; le 8 mars suivant, il entre dans la ville de Colombus aux États-Unis (dans l’État du Nouveau-Mexique), tue quatorze Nord-Américains et incendie entièrement deux pâtés de maisons. Comme on peut le supposer l’indignation aux États-Unis fut énorme.

Bon nombre demandèrent l’invasion immédiate du Mexique, mais Wilson trouva le moyen de satisfaire en partie ces demandes en envoyant une expédition punitive qui, on doit le reconnaître, n’exerça pas de représailles contre le Mexique, mais se consacra uniquement à poursuivre Villa, qu’elle ne put d’ailleurs pas trouver.

En avril 1919, les forces de Carranza assassinèrent Emiliano Zapata, en se servant d’un traître rusé. Les forces que dirigeait la victime se trouvèrent désorientées et se soumirent passivement au développement postérieur de la révolution. Mais on trouvait toujours, ayant pris les armes : Villa, Peláez, Félix Díaz et Almazán et un climat de haine et de mécontentement imprégnait tout le pays.

La véritable phase sociale et revendicative qui avait pu se manifester dans la révolution était terminée et la lutte se polarisa dans des personnes et des problèmes exclusivement politiques.

À l’approche des élections présidentielles pour la période 1920-1924, Carranza appuya Ignacio Bonillas, ambassadeur du Mexique à Washington, à la place d’Alvaro Obregón qui, en juin 1919, accepta depuis Sonora sa candidature. Carranza envoyait alors des troupes à Sonora, foyer de l’obregonisme et Obregón, qui avait vaincu Villa au profit de Carranza, renia ce dernier et se découvrit en envoyant son plan d’Agua Prieta. Obregón nomme Plutarco Elias Calles chef de ses troupes et celles-ci envahissent Sinaloa et occupent Culiacán.

La rébellion se propage rapidement et les États de Guerrero, Michoacán, Zacatecas et Tabasco s’y rallient. Le 7 mai, Carranza et ses ministres abandonnent la ville de Mexico dans laquelle, deux jours après, entrera Obregón. Sur la route de Veracruz, la suite de Carranza est surprise.

Celui-ci est assassiné à Tlaxcalaltongo le 21 mai 1920.

Adolfo de la Huerta est nommé président provisoire et aux élections du 5 septembre Obregón est élu président pour la période 1920-1924.

La révolution mexicaine fut le premier grand événement révolutionnaire de ce siècle et son, impact eut des répercussions sur la conscience du monde occidental, où les idéaux du socialisme avaient puissamment germé à travers les semailles d’idées et l’arrosage de sang si prodigue durant les trente années qui précédèrent cette révolution, dans laquelle « Terre et Liberté » fut la devise de ses contingents les plus sains et les plus forts.

Benjamin Cano Ruiz
Traduit de Tierra y Libertad, novembre 1973.
Article tiré du site Increvables anarchistes.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

SPIP | Octopuce.fr | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0