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Stratégie d’autoconfinement de l’État et de l’économie

samedi 21 mars 2020, par Louis de Colmar

La mise en place d’un confinement de la population (incroyablement illisible par ailleurs) me semble une réponse, ou plutôt une tentative de réponse, a-économique pour faire face à la faillite des marchés dans l’incapacité d’aborder la problématique soulevée par l’émergence de la crise « sanitaire » du coronavirus.

Il me semble que toutes les solutions alternatives à opposer au confinement sont des solutions qui, au final, comptent sur les mécanismes du marché et ses capacités industrielles pour gérer la crise : toutes les solutions alternatives (masques, gels, tests, médicaments, vaccins, etc.) supposent la continuité fonctionnelle de la machine économique, alors qu’elle est justement prise en défaut !

Le confinement est une tentative de réponse de l’État à l’impéritie de l’économie face à la crise « sanitaire ». Il ne fait pour moi absolument aucun doute que si l’État avait pu mettre en scène et en œuvre une solution technique de type généralisation des masques, des tests, distribution massive de médicaments type chloroquine, etc., il n’aurait pas hésité une seule seconde.

Mais ce n’est pas parce que la technique du confinement est mise en œuvre autoritairement par l’État que le confinement n’est pas une méthode rationnelle et raisonnable. C’est du moins mon humble avis. Pour moi, toute alternative au confinement revient de facto à attendre une solution, à dépendre d’une solution, parfaitement aléatoire des forces du marché. Or, je n’accorde aucune confiance aux marchés : ne pas confiner en donnant des masques à tout le monde pour que rien ne s’arrête, ne pas confiner en prenant les gens pour des cobayes de l’industrie pharmaceutique pour que rien ne s’arrête, ne pas confiner sous prétexte que sa mortalité/létalité serait limitée et qu’il y aurait donc un nombre de décès acceptables par principe (on meurt bien de tas d’autres choses…), revient finalement à dédouaner le monde de l’économie de toute responsabilité dans ce qui se passe… Mais, de toute façon, ces solutions ne sont pas, à l’heure actuelle, opérationnelles. À l’inverse cela ne revient en rien à relégitimer l’État.

Le confinement, et sa relative tolérance sociale, n’implique pour moi en rien une soumission à la logique de l’État, au contraire : le confinement est la démonstration pratique d’un échec politique, une remise en question de sa légitimité à assurer en amont la sécurité du corps social en contradiction avec ce qui fonde sa légitimité fantasmée, l’aveu de son défaut d’anticipation et la mise en lumière d’une erreur stratégique sur la trajectoire politique et sociétale suivie…

Le confinement est en fait un extraordinaire accélérateur de désorganisation sociale, politique, économique ! Si le confinement donne bien à l’État un répit temporel, ce ne peut être que sur le très court terme, ce qu’il sait parfaitement puisque c’est la seule explication plausible au fait qu’il jette par-dessus bord des années et des années d’orthodoxie idéologique (même si c’est encore timidement). Ainsi, on pourrait presque dire qu’on a affaire à un confinement de la responsabilité conjointe de l’État et des marchés dans la mise en scène inversée du confinement de la population.

Les discours martiaux du pouvoir, les références incessantes à la guerre, cachent mal l’aggravation de la désorganisation étatique, son incapacité à contrôler la confusion et les injonctions contradictoires qui naissent et se développent face à son obsession à préserver coûte que coûte les capacités de redémarrage de l’économie : mais plus le confinement durera, plus on s’aventurera en terrain inconnu, à tous les points de vue imaginables. D’ailleurs ces références militaristes continuelles sont en elles-mêmes des indices d’une mauvaise compréhension des choses, une façon de dédouaner son impuissance au regard d’une extériorité fantasmée.

La pandémie de Covid-19 n’est bien entendu pas la première (grippe asiatique de 1957, grippe de Hongkong en 1968, grippe russe de 1977, SRAS de 2003, grippe aviaire de 2009, le MERS en 2012, sans oublier d’autres maladies émergentes comme la maladie de Lyme, la légionellose, Ebola, VIH, Zika, dengue, et sans omettre des maladies plus connues comme le choléra, le paludisme, la peste ou la typhoïde — etc.) et, s’il est évident que le risque pandémique a été depuis des années envisagé, anticipé, programmé, ce qui se passe aujourd’hui n’en est que plus édifiant.

Il est pour moi significatif que la prétendue augmentation des capacités techniques et opérationnelles de l’économie conduise dans les faits à une fragilisation de la situation planétaire globale : on assiste à un début de processus d’implosion de l’économie planétaire, par un effet domino sidérant, dont personne ne peut aujourd’hui imaginer l’issue.

La réalité est bien un pilotage à vue : le confinement pourra éventuellement apparaître ultérieurement comme disproportionné, mais quels sont les critères actuels pour en juger ? J’aurais tendance à dire qu’ils se ramènent finalement tous à la question du coût économique et de la pertinence économique du confinement, comparativement à ses conséquences potentiellement exorbitantes sur la viabilité du système lui-même. Le point de départ de mon analyse est que la situation actuelle s’explique en grande partie par l’absence de solution économique immédiatement opérationnelle, absence de solution qui explique l’incroyable degré d’improvisation des solutions étatiques de remplacement.

Je crois que c’est une erreur de rentrer dans le débat forcément biaisé de savoir quelle serait la meilleure solution économique et/ou politique pour faire face à la crise « sanitaire », personne n’ayant à mon avis de réponse vraiment pertinente. C’est plutôt cette absence de solution pertinente qui m’interpelle, et les réactions des uns et des autres face à l’inconnu, face à l’imprévu, face à l’embardée historique, face à l’absence de visibilité claire de ce qui se passe…

Louis,
Colmar,
le 20 mars 2020
Source : en finir avec ce monde

Messages

  • Effectivement, cette crise met en valeur le dysfonctionnement de notre structure étatique. Pourquoi ne pas avoir acheté de la chloroquine tout de suite ? Peu importait de savoir si elle était ou non réellement efficace. Il aurait toujours été temps d’envoyer le stock au pays africains où cet antipaludéen est extrêmement utile. Et ceci pour des frais de transport qui n’auraient pas été monstrueusement élevés.

  • Salut

    Si je suis globalement d’accord avec ton analyse, je souhaite apporter un court éclairage. Peu importe qui je suis (disons que j’aime le passe-montagne depuis au moins 1994), mais je suis très au fait de la réalité des tenants et aboutissants sanitaires de cette pandémie. Et, en effet, le système gestionnaire (politique) tente de naviguer à vue pour masquer à la plèbe son incurie et son incompétence. Le capitaine du Titanic n’aurait pas fait mieux.
    Alors oui, la stratégie choisie relève du moins pire aux yeux des puissants, car elle évite par exemple que la population descende dans la rue pour réclamer que la santé, qui a sans doute un coût dans un système économique, n’ait pas de prix. Au lieu de ça, il y a des moutons qui se donnent bonne conscience en applaudissant à 20H ! En attendant, il n’y a pas de politique de santé publique en France depuis 50 ans au moins, et le système public de santé a été raboté et détricoté au point de devenir inopérant en temps usuel et donc complétement dépassé en situation d’exception.

    Et puis cette pandémie apporte 2 autres messages (en plus de révéler la nature de l’élite dirigeante) : les ravages d’un système mondialisé où un virus sort de son environnement naturel initial pour conquérir en quelques semaines et en avion le monde, où la production des moyens de protection et de soins est délocalisée donc inaccessible en temps de crise. Et enfin, la grande résilience de la nature qui, en quelques jours de répits grâce au freinage économique tant local que mondial, montre de signes de vivacité étonnants partout.
    Sachant que les études actuelles émettent l’hypothèse que les particules fines (pollution solide de l’air) sont un possible facteur de diffusion du virus,les gens, ceulles qui ont accès aux infos justes et se donnent la peine de réfléchir, ont tout un faisceau d’arguments solides pour contester l’organisation sociale et économique globale et appeler à la décroissance (voire, pour d’autres parmi lesquelles je me sens en affinité, à une sortie de l’économie).

    Par contre, la critique sous jacente de la posture d’un Pr Raoult (il n’est pas nommé, mais je vois bien comment tu évoques son positionnement qui reviendrait « finalement à dédouaner le monde de l’économie de toute responsabilité dans ce qui se passe ») me paraît trop interprétative. Quelques soient les motivations du type à être devenu médecin (beaucoup de soignants ont une forte culpabilité judéo-chrétienne), sa posture éthique est tellement rare à notre époque qu’elle doit être pris en considération. Oui, il convient de ne pas détacher la proposition de « gestion alternative » de la critique économique (et donc du principe de « gestion »). Mais, sinon quoi : laisser le destin faire son travail de sélection « naturelle ». Cette tentation nihiliste pourrait être une réponse, elle ne semble pas très différente de la posture de certains religieux qui mettent là la main de Dieu. Alors, oui, c’est un choix possible, mais il ne faut pas attendre d’un médecin qu’il puisse le penser. Comme le dit le Pr Raoult : « un médecin, ça pose un diagnostic et ça soigne ». L’idée, c’est qu’en dépistant, on peut réduire le risque pour soi et pour les autres avec un traitement précoce et on évite le confinement en jouant l’immunité « grégaire » (dénomination usuelle dans le milieu médical -sic-) afin d’avoir à éviter par exemple le recours à un vaccin (solution technique donc pleins de nombreux inconvénients de la recherche à l’inoculation en passant par la production).
    Si les Hurons, les Caraïbes, les Yanomamis avaient eu le savoir d’un Pr Raoult, nul doute qu’illes ne seraient pas laissé.e.s décimer par les germes (rougeole, variole...) qu’apportaient les conquérants européens. Illes auraient isolés leurs malades, protéger leurs jeunes et vieux fragiles, et laisser les plus robustes d’entre eulles propager l’immunité du groupe.
    PAIX & Adelphité

  • Le tapage qui est fait autour du Professeur Raoult me laisse littéralement pantois : Je veux bien admettre sans la moindre retenue qu’il soit une pointure académique en virologie (et tout le monde insiste lourdement sur ce point), et peut-être bien que son traitement se révèlera pertinent. En attendant, il me semble tout aussi évident que ce que fait Raoult dans cette affaire, ce n’est ni de la science, ni une critique de la science, ni une critique de l’Etat, ni une critique de l’économie. On est dans un autre registre.

    La question de l’efficacité du traitement préconisé par Raoult ne doit pas être réglée par un sondage et/ou une campagne d’opinion, mais suivre un minimum de procédures rationnelles contradictoires. Or, que fait donc Raoult ? Alors que nous ne cessons de dénoncer le rôle et le poids des experts, Raoult demande un chèque en blanc à la communauté scientifique au nom de sa seule expertise et au nom de son intime conviction, prenant l’opinion publique à témoins au nom de sa notoriété. On peut être renommé et raconter des conneries – c’est d’ailleurs plutôt la règle que l’exception. Il faudrait faire confiance à Raoult au nom de ses titres académiques et en même temps le suivre quand il prétend s’en abstraire unilatéralement ? On ne peut pas invoquer la science pour contourner les protocoles qui lui donnent un sens (même si ce sens peut et doit être critiqué).

    Je ne m’explique pas pourquoi Raoult bafoue les règles élémentaires de validation des protocoles de suivi expérimentaux : si ceux-ci ne sont pas bons, ou insuffisants, il faut les dénoncer et les changer, mais certainement pas s’en abstraire. La démarche de Raoult me semble dans cette affaire tout à fait non-rationnelle, et quand on voit les flots d’irrationalités qu’il suscite en masse, je m’interroge vraiment. Pourquoi aussi suscite-t-il une quasi-unanimité contre lui dans le monde médical et scientifique censé lui avoir tressé tant de couronnes de gloire ? Que peuvent valoir des témoignages d’hommes politiques (et pas n’importe lesquels) et d’autres patients ayant suivi les prescriptions de Raoult quand on sait que 80% des patients guérissent dans quasiment les mêmes conditions sans traitement (et je n’ignore pas que la situation sanitaire, médicale et épidémiologique est bien plus complexe que ce raccourci) ? Il faut quand même garder un minimum de sang froid dans cette affaire, mais je commence malgré tout à avoir peur qu’une inflation d’irrationalité sauvage qui gonfle sous nos yeux ne soit ici le meilleur garant de la survie du système.

    Cela fait des décennies que je critique la science et la technique, la dénonciation de sa prétendue neutralité étant chez moi une pierre angulaire, et je maintiens donc qu’il y a quelque chose de vraiment pas clair dans ce qui se passe autour de Raoult.
    Encore une fois, la question n’est pas du tout ici de nier que la chloroquine puisse éventuellement être intéressante, mais seulement de souligner que cette appréciation passe nécessairement par des procédures qui doivent être validées par des éléments objectifs et pas seulement sur la demande de confiance a priori que sollicite Raoult. J’ai très peur que toute cette affaire ne se ramène finalement pour beaucoup trop de monde qu’à celle de savoir SI ON CROIT, ou non, à Raoult.

    J’ai bien noté que Raoult est pour un dépistage massif : mais la question n’est pas là, n’est pas d’être contre ou non un tel dépistage. La question est que les conditions simplement matérielles d’une telle possibilité n’existent pas ! C’est donc cette absence qu’il faut interroger, et tout ce qu’elle implique, et c’est là une clé d’entrée à la critique de l’Etat et de l’économie, débat qui est totalement occulté, de fait, par ces imprécations totalement foireuses autour de la chloroquine puisque le commun des mortels (c’est le cas de le dire…) n’est pas en mesure d’avoir un avis motivé sur la question (du moins à ce jour).

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