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Un défi, une autonomie réelle,
une réponse, plusieurs propositions
et quelques anecdotes sur le nombre 300

mercredi 28 novembre 2018, par SCI Galeano, SCI Moisés

Suite et fin de la participation de la Commission Sexta de l’EZLN à la rencontre
des réseaux de soutien au Conseil indigène de gouvernement et à sa porte-parole.
Août 2018.

300

Troisième et dernière partie

Et maintenant ?

Ramer à contre-courant. Rien de nouveau pour nous autres zapatistes.

Nous voulons le réitérer — nous en avons discuté avec nos peuples : nous nous confronterons à tout contremaître, quel qu’il soit ; pas seulement celui qui propose une bonne administration et une répression correcte — autrement dit cette lutte contre la corruption et le plan de sécurité fondé sur l’impunité —, mais aussi ceux qui derrière des rêves avant-gardistes tentent d’imposer leur hégémonie et de nous homogénéiser.

Nous ne changerons pas notre histoire, notre douleur, notre rage, notre lutte pour le conformisme « progressiste » et sa marche derrière le leader.

Il se peut que les autres l’oublient, mais nous, nous n’oublions pas que nous sommes zapatistes.

Et dans notre autonomie et à propos d’elle — vu qu’on discute de savoir si elle va être reconnue ou ne va pas être reconnue —, nous avons fait ce raisonnement : l’autonomie officielle et l’autonomie réelle. Celle qui est officielle est celle qui est reconnue par les lois. La logique serait : vous avez une autonomie, maintenant je la reconnais dans une loi, alors votre autonomie commence à dépendre de cette loi et ne conserve plus ses formes, puis, quand il va y avoir un changement de gouvernement, alors vous devez soutenir le « bon » gouvernement, et voter pour lui, promouvoir le vote pour lui, car si arrive un autre gouvernement, ils vont vous enlever la loi qui vous protège. Ça fait donc de nous les pions des partis politiques, comme cela s’est produit pour des mouvements sociaux dans le monde entier. Ce qui compte, ce n’est plus ce qui s’effectue dans la réalité, ce qui est défendu, mais ce que la loi reconnaît. La lutte pour la liberté se transforme ainsi en lutte pour la reconnaissance légale de la lutte elle-même.

On a parlé à nos chefs femmes et hommes. Ou plutôt nous avons parlé avec les peuples qui nous donnent le pas, le cap et le destin. Avec leur regard, nous voyons ce qui vient.

Nous avons discuté, et nous avons dit, eh bien, si nous disons cela, que va-t-il se passer ?

Nous allons rester seuls, on va nous dire que nous sommes marginalisés, que nous restons en dehors de la grande révolution... de la « Quatrième Transformation » ou de la nouvelle religion (quel que soit le nom qu’on lui donne), et il nous faudra encore une fois ramer contre le courant.

Mais ça n’a rien de nouveau pour nous, de nous retrouver seuls.

Et puis nous nous sommes demandé : bon, avons-nous peur de nous retrouver seuls ? Avons-nous peur de nous en tenir à nos convictions, de continuer à nous battre pour elles ? Avons-nous peur que ceux qui étaient en notre faveur se retourne contre nous ? Avons-nous peur de ne pas nous rendre, de ne pas nous vendre, de ne pas capituler ? Et finalement nous avons conclu : bon, nous sommes en train de nous demander si nous avons peur d’être zapatistes.

Nous n’avons pas peur d’être zapatistes et nous allons continuer à l’être.

C’est comme ça qu’on s’est demandé et qu’on s’est répondu.

Nous pensons qu’avec vous (les réseaux), envers et contre tout, parce que vous n’aviez pour vous ni moyens, ni consensus, ni mode, ni salaire — vous avez même dû payer de votre poche —, que malgré tout ça, autour d’un collectif d’indigènes et d’une petite femme chaparrita, et, elle, réellement morena [1], de la couleur de la terre, nous avons dénoncé un système prédateur et défendu la raison d’être d’une lutte.

Et donc nous cherchons d’autres personnes qui n’aient pas peur. Nous vous demandons donc à vous (les réseaux) : vous avez peur ?

Pensez-y, si vous avez peur, eh bien on cherchera ailleurs.

Nous pensons que nous devons rester du côté des peuples originaires.

Peut-être certains des réseaux croient-ils encore que nous soutenons les peuples originaires. Ils vont voir, le temps passant, que ça va être l’inverse : ce sont eux qui vont nous aider avec leur expérience et leurs formes d’organisation, autrement dit c’est nous qui allons apprendre. Car si quelqu’un est expert en matière de tempêtes, ce sont bien les peuples originaires — ils ont été attaqués de tant de manières et ils sont toujours là, ou plutôt nous sommes toujours là.

Mais nous pensons aussi — et nous vous le disons très clairement, compañer@s — que cela ne suffit pas, que nous devons inclure dans notre horizon l’ensemble de nos réalités avec leurs douleurs et leurs rages, c’est-à-dire que nous devons cheminer vers l’étape suivante : la construction d’un Conseil qui intègre les luttes de tous les opprimés, de tous et toutes les jetables, des disparues et des assassinées, des prisonniers politiques, des femmes agressées, de l’enfance prostituée, de tous les calendriers et de toutes les géographies qui tracent la carte impossible pour les lois des probabilités, les sondages et les votes : la carte contemporaine des rébellions et des résistances sur la planète entière.

Si vous allez, avec nous, défier la loi des probabilités qui dit qu’il n’y a aucune chance, ou très peu, que nous réussissions, si nous allons défier les sondages, les millions de votes, et tous les chiffres que le Pouvoir puisse afficher pour nous soumettre ou pour nous affaiblir, alors nous devons faire que le Conseil devienne plus grand.

Pour le moment c’est seulement une pensée que nous exprimons ici, mais nous voulons construire un Conseil qui n’absorbe ni n’annule les différences, mais au contraire permette d’accroître leurs potentialités dans le cheminement avec d’autres qui ont le même objectif.

Suivant le même raisonnement, ces paramètres ne devraient pas avoir pour limite la géographie imposée par les frontières et les drapeaux : il devrait donc tendre à devenir international.

Ce que nous proposons, c’est non seulement que le Conseil indigène de gouvernement cesse d’être uniquement indigène, mais aussi qu’il cesse d’être national.

C’est pourquoi, nous, femmes et hommes zapatistes, proposons de soumettre à une consultation, outre l’ensemble des propositions formulées durant cette rencontre, ce qui suit :

1. Réaffirmer notre appui au Congrès national indigène et au Conseil indigène de gouvernement.
2. Créer et maintenir des canaux de communication ouverts et transparents entre nous qui nous sommes connus durant le cheminement du Conseil indigène de gouvernement et de sa porte-parole.
3. Commencer ou continuer l’analyse-évaluation de la réalité dans laquelle nous nous mouvons, en produisant et en partageant ces analyses et évaluations, ainsi que les propositions d’action coordonnées qui en découlent.
4. Nous proposons le dédoublement des réseaux de soutien au CIG afin que, sans cesser de soutenir les peuples originaires, notre cœur s’ouvre aussi aux rébellions et résistances qui émergent et persévèrent là où chacun se meut, dans les campagnes ou dans les villes, sans qu’importent les frontières.
5. Commencer ou continuer la lutte qui vise à élargir les revendications et la nature du Conseil indigène de gouvernement, de sorte qu’au-delà des peuples originaires il incorpore les travailleurs des campagnes et des villes, ainsi que tous et toutes les jetables qui ont leur propre histoire et leur propre lutte, c’est-à-dire une identité.
6. Commencer ou continuer l’analyse et la discussion qui vise à faire naître une coordination ou une fédération de réseaux, qui évite toute direction centralisée et verticale, et qui fortifie l’entraide solidaire et la fraternité entre ceux qui la forment.
7 et dernier. Réaliser une réunion internationale de réseaux, quel que soit le nom qu’on lui donne — quant à nous, nous proposons que nous nous appelions pour le moment Réseau de résistance et rébellion... et chacun son nom —, en décembre de cette année, quand nous aurons analysé et évalué ce que décideront et proposeront le Congrès national indigène et le Conseil indigène de gouvernement (lors de leur réunion, en octobre prochain) et aussi afin de connaître les résultats de la consultation à laquelle nous appelons dans la présente réunion. Pour cette rencontre, nous proposons, si vous voulez, l’espace d’un des caracoles zapatistes.

Notre appel ne s’adresse pas seulement aux peuples originaires, mais aussi à toutes celles et tous ceux qui se rebellent et résistent dans tous les recoins du monde. À ceux qui défient les schémas tout faits, les règles, les lois, les préceptes, les chiffres et les pourcentages.

Anecdote n° 1. Dans les premiers jours de janvier 1994, les services de renseignement de l’armée fédérale ont estimé la force de la prétendue ezèdélène à « seulement » 300 transgresseurs de la loi.

Anecdote n° 2. La même année, alors qu’Ernesto Zedillo Ponce de León et Esteban Moctezuma Barragán [2] tramaient la trahison de février 1995, le groupe de la revue Nexos (qui se consacrait autrefois à chanter des louanges de Salinas de Gortari puis de Zedillo) désespérait et, avec Héctor Aguilar Camín, déclarait à peu près en ces termes : « Pourquoi ne les anéantissez-vous pas ? Ils ne sont que 300.  »

Anecdote n° 3. Le rapport de la table d’inscription à la Rencontre des réseaux de soutien au CIG et à sa porte-parole, organisée au Caracol zapatiste « Torbellino de Nuestras Palabras » du 3 au 5 août 2018, indique : « participants : 300  ».

Anecdote n° 4. Les revenus des 300 entreprises les plus puissantes de la planète : aucune idée, mais ça peut être 300, ou un nombre quelconque, suivi de plein de zéros, puis de « millions de dollars ».

Anecdote n° 5. Quantités et pourcentages « encourageants » :

● La différence quantitative entre 300 et 30 113 483 (nombre des votes obtenus, selon l’Institut national électoral, par le candidat AMLO) est de : trente millions cent treize mille cent quatre-vingt-trois ;
300 c’est 0,0009962323 % de ces plus de 30 millions ;
300 c’est 0,00052993 % des suffrages exprimés (56 611 027) ;
300 c’est 0,00033583 % de la liste électorale (89 332 032 032) ;
300 c’est 0,00022626 % de la population totale du Mexique (132 593 000, moins les sept femmes qui, en moyenne, sont tuées quotidiennement ; au cours de la dernière décennie au Mexique, en moyenne, une fille, une jeune femme, une adulte ou une femme âgée est tuée toutes les quatre heures) ;
300 représente 0,0000003012 % de la population du continent américain (996 000 000 en 2017) ;
● la probabilité de destruction du système capitaliste est de 0,00000003929141 %, soit le pourcentage de la population mondiale (7 635 255 247 personnes à 19 h 54 heure nationale le 20 août 2018) que représente 300 (bien sûr, si les 300 personnes supposées ne se vendent pas, ne se rendent pas et ne renoncent pas).

Oh, je sais, même la tortue qui a vaincu Achille ne pourrait servir de réconfort.
Et un escargot ?...
La Sorcière écarlate ?...
Le Chien-Chat ?...

Oubliez la question ; ce qui nous préoccupe, nous, zapatistes, ce n’est pas le défi posé par cette infime probabilité, mais comment va être le monde qui vient ; celui qui, sur les cendres encore fumantes du système, commence à émerger.

Quelles vont être ses formes ?

Des couleurs se parleront-elles ?

Quel sera son thème musical ? (Quoi ? La Fille au ruban rouge ? Pas question).

Quelle sera la formation de l’équipe, enfin complétée, de Defensa Zapatista ? Pourra-t-elle aligner l’ours en peluche d’Esperanza Zapatista et le faire coopérer avec le Pedrito ? Autorisera-t-on Pablito à porter son chapeau de cowboy et Amado Zapatista son casque de laine ? Pourquoi ce fichu arbitre ne marque-t-il pas le hors-jeu du Chien-Chat ?

Et surtout, et c’est fondamental, comment va-t-on danser ce monde ?

C’est pourquoi, quand on nous demande, à nous zapatistes : « et maintenant ? »... eh, bien, comment vous dire ?... nous ne répondons pas tout de suite, et même nous tardons à répondre.

Parce que, voyez-vous, danser un monde pose moins de problèmes que de l’imaginer.

Anecdote n° 6. Ah, vous pensiez que ce titre, « 300 » , se référait au film du même nom et à la bataille des Thermopyles, et vous vous prépariez déjà, vêtu·e·s en Léonidas ou en Gorgo (chacun à sa façon), à crier « Vas-y, Sparte ! » tout en décimant les troupes des « Immortels » du roi perse Xerxès ? Qu’est-ce que je vous disais ? Ces zapatistes, comme d’habitude, en train de regarder un autre film. Ou pire encore, de regarder et d’analyser la réalité. Tant pis.

C’est tout... pour l’instant.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Moisés, sous-commandant insurgé Galeano.
Mexique, août 2018.

Traduit de l’espagnol (Mexique)
par Joani Hocquenghem.

Source et texte d’origine :
Enlace Zapatista.

Notes

[1Morena, le nom du mouvement de López Obrador, veut aussi dire brune (NdT).

[2Ernesto Zedillo et Esteban Moctezuma Barragán étaient à l’époque président et ministre de l’intérieur (NdT).

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